Evacuons tout de suite une idée reçue : tous les psychopathes ne sont pas uniquement des tueurs sanguinaires comme le personnage de fiction Hannibal Lecter ! Ils sont aussi des prédateurs sociaux qui se cachent parfois habillement dans notre entourage, voire sont parfaitement intégrés à notre société. Un professeur charlatan, un supérieur hiérarchique manipulateur, un mari séducteur jusqu’à l’homme politique charismatique pour lequel nous venons de glisser un bulletin dans l’urne… On estime qu’aujourd’hui environ 1% de la population se situe dans le haut du spectre de la psychopathie.
Fort de décennies de recherche et d’expérience pratique, le professeur Vicente Garrido*, criminologue de renom en Espagne, déconstruit dans son nouveau livre Le psychopathe intégré (éditions Arpa) les mythes et dresse un portrait clair et accessible de ces tyrans au bureau ou dans la sphère politique qui manipulent, humilient, exploitent et détruisent souvent en toute impunité. Sans surprise : Donald Trump et Vladimir Poutine en font partie. Mais avec des différences notables. Entretien.
L’Express : Comment définir le « psychopathe intégré » ?
Vicente Garrido : Ce terme désigne une personne qui présente une image d’honnêteté et de respectabilité, souvent séduisante et agréable, mais qui dissimule en réalité une personnalité sombre, négative ou déviante. Cette façade, artificielle et falsifiée, masque le fait que l’ensemble de son comportement vise l’exploitation des autres à son profit. Le danger réside précisément dans cette capacité à rester non identifié comme tel. Contrairement aux criminels violents et multirécidivistes incarcérés – parfois même sans diagnostic – le psychopathe intégré évolue dans la société conventionnelle sans éveiller de soupçons.
Comment cela se traduit-il dans la sphère privée ou professionnelle ?
Le psychopathe a une aptitude élevée à manipuler et à mentir qui repose sur un fort sentiment de supériorité et d’autovalorisation, pouvant prendre la forme d’un narcissisme exacerbé ou d’un sentiment mégalomaniaque. Il a une profonde déconnexion émotionnelle et est incapable de ressentir des émotions morales telles que la compassion, la loyauté, l’empathie ou le sens de la justice. Il ne connaît ni remords ni culpabilité. Ses émotions sont superficielles et limitées à des affects négatifs comme l’envie, la colère, le mépris ou la soif de vengeance. Il est dans la recherche permanente de succès.
Le psychopathe poursuit ses objectifs sans se soucier des moyens employés, adoptant un comportement socialement irresponsable mais qui lui procure des bénéfices personnels. Il se nourrit des situations de risque, de la transgression et de l’excitation que lui procurent des expériences intenses. C’est pourquoi beaucoup d’entre eux développent des conduites addictives (alcool, jeux, prises de risque inconsidérées).
Pourquoi dites-vous que la société produit aujourd’hui davantage de psychopathes qu’avant la Révolution industrielle ?
Les environnements favorables à la psychopathie sont ceux où le capital social et humain se délite. Autrement dit, là où disparaissent la confiance, l’entraide et la capacité d’une communauté à cultiver la coopération et l’altruisme. Ce capital collectif, qui fonde la vie en paix et offre un cadre sain pour l’éducation des enfants, constitue un rempart contre les dérives antisociales.
Lorsque ce tissu social se fragilise, les psychopathes trouvent un terrain idéal. Ils prospèrent dans la division, la tromperie et le conflit. Tout ce qui alimente l’individualisme exacerbé, la compétition sans limite, la fragmentation favorise donc l’émergence de ces comportements. Quand la quête de profit supplante la création de capital humain, le terrain devient fertile pour l’égoïsme, la manipulation et la brutalité compétitive.
Dans le milieu professionnel, vous affirmez que le psychopathe tire profit de ses capacités pour « tromper » ceux qui sont au-dessus de lui et dompter ceux qui sont en dessous « par la menace et le pouvoir ». En quoi l’entreprise est un terrain fertile pour le psychopathe ?
Dans le monde des affaires, la vision, la prise de décision en situation de risque, l’innovation et la capacité à mobiliser et inspirer sont des qualités essentielles. Les psychopathes excellent à feindre la possession de ces compétences. Ils donnent l’apparence de détermination, d’ingéniosité et d’esprit innovant, alors qu’en réalité, ces qualités ne sont que simulées.
Néanmoins, ils savent parfaitement jouer ce rôle pour convaincre et influencer les autres. Si les entreprises ne mettent pas en place de mécanismes pour identifier et écarter ce type de candidats, il pourrait être trop tard une fois qu’ils accèdent au pouvoir. Le psychopathe en entreprise ne cherche pas le bien-être de l’organisation, mais uniquement à s’approprier le pouvoir. C’est pourquoi les entreprises dirigées par ces profils finissent généralement par connaître l’échec ou la faillite. C’est le cas par exemple pour Bernard Madoff et sa célèbre escroquerie de plusieurs milliards de dollars, qui l’a conduit en prison.
Est-il facile à détecter ?
Non. Mais est donc crucial de ne pas les confondre avec une personne simplement déterminée. Par exemple, lorsqu’un psychopathe licencie 2 000 employés, il le fait uniquement pour préserver son pouvoir et son contrôle, sans éprouver de remords ni être affecté émotionnellement. En revanche, une personne normale prenant une décision similaire peut être guidée par des considérations stratégiques, organisationnelles ou humaines, et non par la simple volonté de domination.
Lorsqu’un psychopathe occupe un poste à responsabilité, il est fréquent que son secteur soit marqué par la peur et l’anxiété. Un groupe de collaborateurs peut alors devenir ses fidèles ou ses complices. À long terme, un tel environnement se traduit généralement par une baisse de productivité et un climat de travail destructeur. Plus ce manager toxique est installé depuis longtemps, plus il aura laissé des traces de ses actions, souvent sous la forme de licenciements ou de graves difficultés émotionnelles et psychologiques chez les employés.
Ces individus cherchent aussi à entretenir de bonnes relations avec ceux qui peuvent les avantager, notamment leurs supérieurs, afin de sécuriser leur progression et renforcer leur position.
Vous évoquez des cas emblématiques de psychopathes dans votre livre comme dans le secteur de la banque durant la crise des subprimes ou celui de la cryptomonnaie qui connaît de nombreux déboires actuellement. Les entreprises avec une rentabilité rapide et à forte pression ne sont-elles des terrains parfaits pour le psychopathe ?
Les psychopathes sont parmi les principaux générateurs de stress, qu’ils utilisent comme instrument pour acquérir et consolider le pouvoir. Ils provoquent des tensions en divisant les employés, en répandant des calomnies et en manipulant les situations à leur avantage. Physiologiquement et psychologiquement, ils sont mieux adaptés pour résister au stress, qu’ils transforment en arme pour atteindre leurs objectifs. Ces derniers excellent dans les contextes où ils peuvent réaliser d’importants gains, sans avoir à investir des années dans le développement d’une entreprise. Les secteurs de la finance, du capital-risque et des cryptomonnaies leur offrent cette opportunité, car ils permettent de générer rapidement des profits considérables. L’affaire FTX avec Sam Bankman-Fried illustre parfaitement ce comportement.
Une fois qu’ils ont acquis pouvoir et avantages, ils violent la loi, détournent des fonds et adoptent des comportements à haut risque, souvent au point de provoquer leur propre emprisonnement et la faillite complète de l’entreprise.
Aux Etats-Unis, le débat a été relancé sur la radicalisation en ligne après l’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk. Internet fabrique-t-il aujourd’hui davantage de potentiels psychopathes ?
Les réseaux sociaux offrent une capacité d’influence qu’un psychopathe de l’ère pré-numérique n’aurait jamais pu imaginer. L’affaire Charlie Kirk apparaît comme une conséquence directe de la présidence Trump. Depuis son arrivée au pouvoir, le contrôle des contenus s’est considérablement affaibli, ce qui facilite encore davantage la diffusion de messages frauduleux, haineux et clivants, nourrissant ainsi l’avidité de pouvoir de nombreux individus dépourvus de scrupules.
Toutefois, il importe de distinguer un psychopathe d’une personne défendant des opinions extrémistes ou fanatiques : le fanatisme idéologique ne constitue pas en soi de la psychopathie, qui correspond à un ensemble spécifique de traits de personnalité. Néanmoins, dans la mesure où certains influenceurs propagent la haine, la division et la confrontation – instaurant une forme de guerre symbolique entre groupes sociaux – ils créent un environnement où ils prospèrent, alimentant la méfiance, la peur et le ressentiment.
Pour vous, Donald Trump n’échappe pas à cette catégorisation du « psychopathe impulsif »…
Sa personnalité intime a également été étudiée, notamment par l’une de ses nièces, Mary Trump, psychologue clinicienne reconnue, qui a consacré un ouvrage entier à la pathologie de son oncle. Pour Trump, la fonction présidentielle ne représente rien d’autre que l’exercice du pouvoir, comme tout psychopathe parvenu à un poste offrant un pouvoir considérable. Les principes démocratiques, les droits humains ou même le bien-être de son peuple ne constituent pas des préoccupations. Son bilan général apparaît clairement destructeur.
Il affaiblit les garanties de l’État de droit, attaque la science et les universités, et compromet la santé publique par une politique vaccinale déraisonnable… En définitive, le psychopathe accède toujours au pouvoir en se construisant contre un adversaire. Hitler s’est construit contre les juifs et les communistes. Staline s’est opposé aux démocrates bourgeois, jugés décadents. Milei combat aujourd’hui les gauchistes et les radicaux.
Le récent revirement de Donald Trump à l’égard de la Russie est-il un autre signe d’une psychopathie ?
Tant que ses intérêts coïncidaient avec ceux de Poutine, leurs relations étaient cordiales, comme c’est souvent le cas entre psychopathes : ils se soutiennent mutuellement tant qu’ils en retirent un bénéfice. Mais dès lors que leurs objectifs divergent, l’alliance se transforme en antagonisme. Donald Trump ne supporte pas de voir son autorité contestée ni d’être privé du rôle d’artisan de la paix mondiale qu’il ambitionnait d’incarner. Ce changement de position n’est pas motivé par des principes démocratiques ou par le respect du droit international, mais par son ego blessé : il ne tolère pas d’avoir été ignoré et humilié par Poutine.
Ce comportement illustre un trait fondamental de la personnalité psychopathique : le culte de l’image et la quête de reconnaissance. Trump veut être admiré et considéré comme l’homme le plus puissant et le plus important au monde. À l’ONU, il s’est même attribué le mérite d’avoir »arrêté sept guerres », affirmant que certains le voyaient comme un prétendant légitime au prix Nobel de la paix. Ses décisions ne reposent ni sur des valeurs morales ni sur les principes de la démocratie, mais uniquement sur la satisfaction de son ego. Son soutien actuel à l’Ukraine n’échappe pas à cette logique.
Au « psychopathe impulsif » que serait Donald Trump vous opposez, le « psychopathe contrôlé » que serait Vladimir Poutine. Quelle est la différence ?
Le psychopathe contrôlé se distingue par une approche plus machiavélique et réfléchie. Il n’éprouve pas le besoin constant de voir sa supériorité reconnue. Poutine, issu du KGB, illustre ce profil : il agit avec discrétion, mais ses actions finissent toujours par être visibles. Déclenchement de guerres, élimination d’adversaires par empoisonnement, exils forcés en Sibérie dans la continuité des pratiques soviétiques : ses méthodes laissent peu de doute sur la nature de son pouvoir.
Trump aimerait être le psychopathe « contrôlé » qu’est Poutine. Ce qui l’entrave, ce sont les contre-pouvoirs : les juges qui bloquent ses décrets, les médias qui critiquent sa politique, les universités libres et critiques capables de contester son autorité. C’est pour cette raison qu’il tente de les réduire au silence. Son ambition profonde est celle d’un pouvoir sans limite. Comme Poutine, il souhaite gouverner sans avoir à rendre de comptes, ni aux lois, ni aux institutions, ni aux voix qui lui sont contraires.
Vladimir Poutine envoie des drones au-dessus des pays de l’Otan pour tester l’Alliance, agitant la crainte d’un embrasement généralisé. En quoi ce harcèlement est un autre signe d’un psychopathe ?
Poutine cherche à restaurer la gloire de l’ère soviétique. À ses yeux, l’Europe et le monde libre représentent les ennemis historiques de la Russie soviétique. Les psychopathes comme lui, disposant d’une puissance militaire significative, cherchent à étendre leur influence ainsi que leur capacité de domination et de contrôle.
C’est dans cette logique qu’il a annexé la Crimée, sans justification extérieure. Aujourd’hui, il considère l’Occident comme son principal adversaire, celui qui le critique, le boycotte et traite la Russie comme un État parasite. Pour mobiliser la population et renforcer le sentiment de puissance nationale, il construit un récit selon lequel le monde entier serait contre la Russie, tout en affirmant sa supériorité et sa force. Cette stratégie vise à galvaniser le peuple russe et à légitimer ses actions à l’international. L’objectif fondamental est de nourrir son désir de pouvoir.
Céder à un psychopathe menaçant constitue une erreur, car l’histoire démontre que plus on lui accorde de marge de manœuvre, plus il devient audacieux, provocateur et déterminé. C’est pourquoi il est crucial que l’Europe ne renonce pas au soutien de l’Ukraine.
Un psychopathe utilise des subordonnés ou des alliés pour atteindre ses objectifs. Les oligarques russes ou l’ex-patron de Wagner Evgueni Prigojine sont-ils des exemples probants en la matière ?
Le psychopathe a toujours besoin de complices et d’exécutants, et cela est vrai depuis toujours. Hitler, par exemple, s’est entouré de Goering et Goebbels pour mettre en œuvre ses politiques sans hésitation et n’a pas hésité à sacrifier son meilleur soldat, le général Rommel qui a été poussé au suicide. De même, Staline disposait d’une garde rapprochée chargée d’exécuter ses ordres…
Ce phénomène ne se limite pas aux régimes totalitaires. Dans les démocraties également, les psychopathes s’entourent de personnes loyales et dévouées. Ainsi, dès son arrivée au pouvoir, Trump a nommé un ensemble de collaborateurs qui lui étaient fidèles, occupant des postes stratégiques tels que la direction du FBI, de la CIA ou du ministère de la Santé. Certains de ces individus n’avaient aucune expérience administrative et venaient du monde des médias, mais partageaient ses idées et étaient prêts à servir ses objectifs.
L’essentiel est de s’entourer de personnes en qui il peut avoir confiance, capables de protéger ses intérêts et de mettre en œuvre ses décisions. Il sélectionne donc ses proches pour leur loyauté, leur conformité et leur capacité à exécuter ses volontés sans remise en question.
Donald Trump a aussi multiplié les coups de pression sur les médias. Jimmy Kimmel a été suspendu par ABC avant de finalement revenir. Y a-t-il une forme de paranoïa chez les psychopathes ?
La paranoïa, c’est-à-dire le développement d’une sensibilité extrême à toute forme de critique, fait partie intégrante du fonctionnement des psychopathes au pouvoir. Trump est dans la même logique. Il cherche à s’attaquer systématiquement aux humoristes qui se moquent de lui, une attitude qui va à l’encontre même de ses propres intérêts… Cette incapacité à tolérer les critiques s’explique par son profil impulsif. Il est irrité par les blagues et les parodies dont il fait l’objet.
Vous dressez une liste de personnalités politiques que vous qualifiez de psychopathes et qui attaquent régulièrement « l’État profond » comme Erdogan, Bolsonaro, Netanyahou, Orban… Les psychopathes sont-ils forcément des populistes dans le champ politique ?
Etre populiste et être psychopathe ne sont bien sûr pas synonymes ; ces notions ne coïncident pas nécessairement. Dans une dictature, par exemple en Russie, le recours au populisme n’est pas nécessaire, car le pouvoir est détenu directement par le dirigeant.
En revanche, le populisme constitue une stratégie politique particulièrement adaptée à ces profils. Le populiste adopte une vision messianique et simplificatrice du monde, proposant des solutions rapides à des problèmes complexes et s’adressant directement aux émotions du public, au détriment des analyses approfondies et des débats sérieux. Ce type de communication correspond parfaitement au langage et aux méthodes du psychopathe.
Comment se prémunir d’un psychopathe dans la sphère privée comme politique ?
Quand nous interagissons avec quelqu’un, il est important de nous demander si cette personne ne remet pas en cause nos principes essentiels. En effet, nous pouvons être trompés, influencés ou manipulés au point de faire, sans y réfléchir, des choses qui ne correspondent pas à nos envies ou à nos convictions. Être manipulé, c’est justement agir à l’encontre de ce que l’on souhaite vraiment, ou encore adopter des pensées et des émotions qui ne nous appartiennent pas.
C’est, selon moi, l’un des plus grands obstacles : lorsque nous sommes en relation avec quelqu’un qui paraît bienveillant, qui semble vouloir nous soutenir, mais que nous réalisons peu à peu que cette relation nous pousse à poser des actes contraires à nos véritables désirs, un signal d’alerte doit s’allumer. Pour l’éviter, il est crucial de connaître en profondeur nos valeurs et nos aspirations. Cela suppose avant tout d’être sincère avec soi-même.
*Le psychopathe intégré, Vicente Garrido, éditions Arpa, 2025 (traduit par Christiane Barbon)
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Author : Charles Carrasco
Publish date : 2025-09-28 15:15:00
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