Début septembre, Steve Witkoff, l’un des plus proches conseillers de Donald Trump, s’est rendu à Miami. Il y a rencontré dans le plus grand secret Eric Adams, l’actuel maire démocrate de New York. L’objectif était, selon les médias américains qui ont eu vent de l’entretien, de lui offrir un poste d’ambassadeur en Arabie saoudite en échange de l’abandon de sa campagne de réélection. Cela devrait permettre de consolider les voix derrière Andrew Cuomo, l’ex-gouverneur de l’Etat, et de barrer ainsi la route au favori, Zohran Mamdani, lors du scrutin du 4 novembre prochain. Une intervention extraordinaire de la part d’un président dans une élection municipale qui se jouait pourtant entre des candidats du camp adverse.
C’est « un scrutin sans précédent », estime Christina Greer, professeur de sciences politiques à Fordham University. Zohran Mamdani, en tête dans les intentions de vote, est un obscur élu de l’assemblée locale de l’Etat de New York, membre du Parti socialiste démocrate, autant dire un rouge pour la majorité des Américains. Après avoir démarré à 1 % dans les sondages en février, il a remporté quatre mois plus tard, à la surprise générale, les primaires démocrates avec 12 points d’avance sur l’ancien gouverneur Andrew Cuomo, pourtant bien plus connu et mieux financé. Autre incongruité, ce musulman de 33 ans d’origine indienne s’est retrouvé à l’issue des primaires face à trois adversaires. Outre Curtis Sliwa, le républicain, il avait contre lui deux opposants qui se présentaient sous la bannière indépendant. Car Andrew Cuomo, malgré son humiliante défaite aux primaires, a décidé de se maintenir en lice. Tout comme Eric Adams, l’actuel maire sortant, empêtré dans plusieurs scandales.
Mamdani promet de geler les loyers
Cela a donné une drôle de campagne à suspense qui a pris une dimension nationale avec l’ingérence de Donald Trump. En plus de ses pressions sur Eric Adams et Curtis Sliwa pour qu’ils se retirent, le chef de l’Etat s’est entretenu directement par téléphone avec Andrew Cuomo, lui apportant implicitement son soutien. « En tant que président des États-Unis, je ne vais pas laisser ce communiste cinglé détruire New York. Soyez tranquille, je tiens tous les leviers et toutes les cartes. Je la sauverai », a-t-il écrit sur son réseau social début juillet. Le leader républicain y passe peu de temps et n’y vote plus depuis qu’en 2019, il a transféré sa résidence à Mar-a Lago, en Floride. Mais il a gardé un attachement à sa ville natale. C’est là qu’il a édifié sa marque et sa fortune. Il y possède toujours de gros intérêts immobiliers. Et récemment ses alliés milliardaires, promoteurs et patrons de fonds d’investissement, très inquiets de l’irruption de Mamdani l’anticapitaliste le supplient d’intervenir.
Le candidat à la mairie de New York et ancien gouverneur de New York, Andrew Cuomo, s’exprime lors d’une soirée électorale après les primaires à New York, le 24 juin 2025
Ce barbu charismatique se révèle une cible coriace. Il mène une campagne modèle en centrant tout son message sur le coût de la vie astronomique à New York, le sujet de préoccupation central des électeurs. Il a promis des mesures très à gauche : la gratuité des bus et des crèches, le gel des loyers pour près d’un million d’appartements, la création d’épiceries municipales à bas prix, le triplement du nombre de logements abordables… Pour financer ce programme onéreux, il a proposé une hausse de l’impôt sur les entreprises et la création d’une surtaxe de 2 % sur les revenus supérieurs à 1 million de dollars. Comme Donald Trump en 2024, il s’est focalisé sur les électeurs qui boudent traditionnellement les primaires, les désillusionnés de la politique, les jeunes, les immigrés, les musulmans… Il a arpenté des mosquées du Bronx aux quartiers populaires du Queens et a pris le temps d’écouter leurs doléances. La tactique s’est révélée efficace. Les inscriptions des moins de 30 ans sur les listes électorales se sont envolées. « Sa candidature a suscité un mouvement de mécontents, notamment démocrates, à la recherche de nouveauté, de grandes idées. Mamdani pour eux représente l’avenir du Parti », analyse Basil Smikle, l’ex-directeur du Parti démocrate de l’Etat de New York. Ce fils d’un professeur de Columbia et de la cinéaste Mira Nair a diffusé sa vision à coups de vidéos brillantes sur les réseaux sociaux.
Dans l’une, on le voit plonger tout habillé dans les eaux glacées de l’océan Atlantique pour attirer l’attention sur sa proposition de geler les loyers. En quelques mois, il a réussi l’exploit de monter une campagne optimiste, et de « forger une coalition unique qui transcende les classes sociales avec des individus à hauts revenus et issus de milieux populaires, des immigrés et même des électeurs juifs alors qu’il défend les Palestiniens », observe Richard Florida, professeur détaché à Vanderbilt University. Curieusement, ajoute-t-il, « trois des figures politiques les plus charismatiques et les plus intéressantes de notre ère, – Donald Trump, Alexandria Ocasio-Cortez (jeune élue à la Chambre idole de l’aile gauche) et Zohran Mamdani – sont originaires de New York. La ville avec sa population diverse, son dynamisme économique et ses énormes inégalités reste, plus que toute autre, un laboratoire politique ».
Chez les milliardaires, c’est la panique. Le 8 septembre, au Seagram Building, un groupe d’hommes d’affaires s’est réuni après avoir reçu un courriel alarmiste de Jeff Blau, un des plus gros promoteurs de la ville. « Nous devons agir de manière décisive pour être sûr que le prochain maire sera bien Andrew Cuomo, » disait son message. « Si nous échouons à nous mobiliser, la capitale financière du monde risque de revenir à un socialiste en novembre. Nous ne laisserons pas cela se produire ». Mais tous leurs millions ne peuvent changer une dure réalité. Les adversaires de Mamdani ne sont guère reluisants. Même Donald Trump l’a reconnu. L’élection, a-t-il dit, représente une « rébellion contre de mauvais candidats. » Andrew Cuomo, 67 ans, a démissionné en 2021 après avoir été accusé, à la suite d’une enquête, d’avoir harcelé sexuellement au moins 11 femmes. Il s’est fait épingler aussi pour avoir caché les statistiques désastreuses de décès dans les maisons de retraite au temps de la pandémie. L’ex-gouverneur était pourtant donné favori au départ et a reçu le soutien (et les dollars) de l’establishment dont les Clinton, le milliardaire Michael Bloomberg, ex-maire de la ville… Il a mené cependant lors des primaires une campagne terne et sans grand punch. Il s’est concentré sur un message sécuritaire, promettant la lutte contre la criminalité. Il a évité également au maximum les forums avec ses opposants et les interactions avec le public alors que Mamdani se montrait partout.
Les milliardaires font grise mine
Le retrait d’Eric Adams l’aidera-t-il à se relancer ? Cinq semaines avant le scrutin, le maire sortant vient de tirer sa révérence. Il était est impliqué jusqu’au cou dans des affaires de corruption. En septembre 2024, cet ancien policier noir a été inculpé de fraude et de trafic d’influence pour avoir reçu de proches du gouvernement turc des billets d’avion et des séjours dans des hôtels chics. En remerciements, il a fait pression sur le Département des incendies pour qu’il expédie son inspection et permette ainsi l’ouverture du nouveau consulat de Turquie. Pour éviter d’être condamné, Eric Adams a courtisé tant et plus Donald Trump. Apparemment avec succès. En février, le ministère de la Justice a abandonné ses poursuites, au grand dam de la procureur de New York. Elle a démissionné après avoir accusé les avocats d’Adams d’avoir promis, en échange de ce non-lieu, le soutien du maire aux opérations de la police de l’immigration dans la ville. Ce petit arrangement n’a pas été du goût de ses partisans et il a chuté dans les sondages.
Il n’y a pas que les milliardaires qui font grise mine. Nombre de démocrates sont très hostiles à Zohran Mamdani dont les vues sont aux antipodes de leurs positions centristes. Outre ses mesures populistes, il est pro-palestinien, ne s’est pas prononcé sur le droit d’Israël à exister… « On n’a pas besoin d’un socialiste tueur d’emplois qui veut augmenter les impôts et emploie une rhétorique antisémite », a déclaré Josh Gottheimer, un élu du New Jersey. Une autre l’a accusé d’être « trop extrémiste » et de s’engager sur des « promesses irréalisables ». Ils s’inquiètent de son expérience politique très limitée pour gérer une ville de 8,5 millions d’habitants. Ils craignent surtout que sa victoire ne donne une image radicale du parti et n’inspire une génération de candidats trop à gauche qui lui coûtent des voix lors des élections de mi-mandat. Du bout des lèvres, plusieurs membres de l’establishment ont fini par appeler à voter pour lui mais Hakeem Jeffries, le chef de file des démocrates à la Chambre, et Chuck Schumer, son homologue au Sénat, n’ont toujours rien dit. « C’est troublant. Mamdani a pourtant accompli deux choses que le parti clame être nécessaires : mettre l’accent sur un message économique et attirer les jeunes », commente Christina Greer.
« Mon petit communiste »
Les réticences de son camp ne semblent pas trop l’handicaper. A quelques semaines des élections, le socialiste caracole en tête avec 22 points d’avance sur Andrew Cuomo dans deux sondages récents. Même Donald Trump paraît résigné à sa victoire, peut-être convaincu par son entourage que son accession à la mairie devrait lui être utile électoralement. S’il gagne, ce sera « de loin le faire valoir le plus efficace pour les républicains sur le plan national, a expliqué sur CNN Elise Stefanik, une élue conservatrice. Ça résume l’état du Parti démocrate aujourd’hui, son virage à l’extrême gauche et sa radicalisation ». Sans attendre, les trumpistes se déchaînent et traitent le candidat « d’antisémite », de « sympathisant terroriste », d’ »islamo-gauchiste »…
Le camp Cuomo garde tout de même espoir. Plus de la moitié des démocrates n’ont pas voté lors des primaires et ce sont en général les plus modérés. Après l’abandon d’Eric Adams, Andrew Cuomo espère pouvoir récupérer certains de ses électeurs Noirs et juifs orthodoxes. Mais Adams, très impopulaire, recueille moins de 10 % dans les sondages. Le nombre de voix susceptibles de se reporter sur Cuomo risque donc d’être limité. D’autant qu’il reste peu de temps.
Pour contrer Zohran Mamdani, il faudrait également que Curtis Sliwa se retire. Le républicain de 71 ans est une figure haute en couleur de la scène politique new-yorkaise depuis des décennies. Il a fondé dans les années soixante-dix les Guardian Angels, une milice de bénévoles coiffés d’un béret rouge pour patrouiller dans le métro et lutter contre la violence. C’est aussi un animateur de radio flamboyant qui a multiplié les déclarations fracassantes, parfois sexistes, racistes et mensongères. Il a failli mourir des balles d’un tueur à la solde de la famille mafieuse Gambino furieuse de ses critiques contre l’un de ses membres. Ce défenseur de chats errants (il en abriterait 17 chez lui) ne porte guère Trump dans son cœur. Encore plus inédit, il se dit en faveur de l’avortement, du contrôle des armes et des LGBTQ et refuse d’être financé par les lobbyistes. Dans les sondages, il obtient 15 % d’intentions de vote, soit davantage qu’Adams. Curtis Sliwa n’a aucune envie d’abandonner : il ne quittera la course à la mairie, a-t-il dit, que si « quelqu’un (lui) tire une balle dans la tête ».
Dans le même temps, Zohran Mamdani s’active à modérer ses positions dans le but de rassurer Wall Street, le patronat, la communauté juive et surtout la police. Il a affirmé sur les réseaux, à la suite de la bavure policière qui a entraîné la mort de George Floyd en 2020, que le NYPD (New York City police department) était « raciste, anti-gay et une menace majeure à la sécurité publique » et a appelé à couper ses budgets. Récemment, il s’est excusé de ses propos. Donald Trump, lui, a commencé à fourbir ses armes. Il a menacé d’enquêter sur son statut d’immigration, l’accusant d’être en situation illégale. Mamdani est né en Ouganda de parents indiens et a été naturalisé en 2018.
Sur son réseau social, le président multiplie les pressions sur celui qu’il surnomme son « petit communiste » : » Il a besoin d’argent de ma part, en tant que président pour accomplir toutes ses FAUSSES promesses communistes. Il n’obtiendra pas un centime, donc quel intérêt de voter pour lui ? » », a-t-il cinglé récemment. « Que Trump envoie la garde nationale, coupe les budgets fédéraux ou se contente d’attaquer constamment New York, il va jouer un rôle bien plus important dans ce mandat que tout autre président », estime Bradley Tusk, ancien directeur de campagne de Michael Bloomberg, dans une tribune publiée sur le site VitalCity. Ce qui va exiger du nouveau maire « beaucoup de temps et d’énergie ».
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Author : Hélène Vissière
Publish date : 2025-09-30 03:45:00
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