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Sébastien Lecornu, les coulisses d’une folle séquence : le jeu d’Olivier Faure, les manœuvres de Bruno Retailleau

Sébastien Lecornu, les coulisses d’une folle séquence : le jeu d’Olivier Faure, les manœuvres de Bruno Retailleau

« Il y a des choses à dire sur le 49.3. » Mercredi 10 septembre : il est arrivé à Matignon depuis quelques minutes et déjà Sébastien Lecornu réfléchit à remiser cette arme qui a tant abîmé certains de ses prédécesseurs. Pas si simple. Le nouveau Premier ministre est très Ve République, il connaît la valeur de cet article de la Constitution, utile pour que la France se dote dans les temps d’un budget sérieux. Pour que le gouvernement puisse nettoyer des textes que le débat parlementaire aurait entraînés trop loin. Il sait aussi qu’il ne pourra pas faire ce qu’il veut. « C’est nous qu’on est les duchesses » : voici une expression qu’il aime bien. Voici ce qu’il ne veut pas être, un Premier ministre vertical et autoritaire.

Il a noté avec beaucoup d’attention la suggestion d’Olivier Faure le matin même à la radio : renoncer au 49.3 pour démontrer un changement de méthode. Vendredi 3 octobre : juste avant de recevoir le Premier secrétaire du PS, Sébastien Lecornu finit par lui obéir. Pressé par ses propres amis d’abandonner le 49.3, François Bayrou n’avait pas voulu s’engager dans cette voie.

Son successeur, s’il n’en dit rien publiquement, a bien l’intention de travailler à rebours de ce qu’ont fait avant lui le centriste et Michel Barnier. Il tente donc un ultime coup de poker, après des premières consultations guère concluantes. Aux parlementaires de prendre leurs responsabilités. Au risque que les députés fassent n’importe quoi ? Un complice l’a alerté sur le risque de dérapage budgétaire après son annonce. Le chef du gouvernement compte sur les sénateurs pour rattraper les glissades.

Olivier Faure a-t-il vu venir le coup ? Pas Marine Tondelier. « Vous ne voulez pas utiliser le 49.3 sauf si vous avez besoin ? », ironise-t-elle face au nouveau chef de gouvernement. « C’est un peu ça », répond-il. Le patron du PS, lui, sait que Sébastien Lecornu est « un vrai malin », il l’a glissé à ses amis. Ces deux-là se connaissent plus qu’on le croit. En décembre 2024, le ministre de la Défense s’est fait voler Matignon par François Bayrou mais il n’a pas dit son dernier mot. Alors, dans le secret de son bureau de l’hôtel de Brienne, il échange avec Olivier Faure. C’est entendu, il n’est pas candidat au poste de Premier ministre, il adore les Armées. Ce n’est pas une raison pour ne pas se préparer au cas où l’histoire repasse les plats.

Ce ne sera pas un gouvernement et de droite et de gauche.

Il arrive que Sébastien Lecornu et Olivier Faure se comprennent. « Je ne veux pas de débauchage de personnalité issue d’une formation politique qui ne soutiendrait pas le gouvernement », dit le Premier ministre dans Le Parisien à propos de ministres socialistes. Cette phrase, c’est le premier secrétaire du PS qui lui a demandé de la prononcer, pour éviter toute confusion : non, ce ne sera pas un gouvernement et de droite et de gauche.

Les difficultés surviennent lorsque sont traitées les questions de fond. « Mon problème, ce n’est pas de taxer les super riches, c’est de ne pas taxer les pauvres », explique le socialiste à Lecornu lors de leur premier rendez-vous. Le Premier ministre prend des notes. Il ne s’aventurera pas sur la taxe Zucman, ce que Faure est prêt à entendre. Le 3 octobre, ça coince. « Copie très inquiétante, voire alarmante », lâche Olivier Faure en sortant de Matignon. Qu’on se le dise : l’ode à la démocratie parlementaire du Normand ne l’anesthésiera pas.

Le socialiste se veut, se croit au centre du jeu. Qu’il est doux de se faire courtiser : le 9 septembre, Emmanuel Macron l’appelle pendant douze minutes – Gabriel Attal n’aura droit qu’à une minute trente. Le président informe le socialiste de la nomination imminente de Sébastien Lecornu. Il se veut prévenant, agréable même : son interlocuteur doit bien comprendre que des concessions seront faites aux socialistes pour échapper à une censure. Difficile d’imaginer pareil échange avec Boris Vallaud. Quand Gérald Darmanin croise le président du groupe socialiste le jour de la chute de Bayrou, il voit bien l’animosité du Landais envers le président. « Il veut que Macron souffre, c’est tout. »

Les propositions du PS, formulées en août, sont devenues une doctrine, plébiscitée par l’opinion. Les roses sont dans le même bouquet, une fois n’est pas coutume. À sa nomination, Sébastien Lecornu passe un coup de fi à François Hollande. Courtoisie républicaine, tentative de discussions informelles ? Parce qu’impossible n’est pas socialiste, l’ancien président le renvoie vers son + 1, Olivier Faure.

Le premier secrétaire se sent d’autant plus fort qu’une manœuvre l’a intrigué : par des intermédiaires discrets, le RN cherche à savoir ce que le PS ferait. Les députés lepénistes ne veulent pas rester seuls à bord avec les macronistes et les Républicains. Du coup, croit savoir le Premier secrétaire, si ses ouailles votent la censure, le Rassemblement national fera de même.

Un déjeuner avec Bruno Retailleau

Lui ne baissera pas le pouce contre le prochain gouvernement. Bruno Retailleau a découvert en direct vendredi le coup de poker de Sébastien Lecornu, comme chaque Français. Lundi 29 septembre au soir, le Vendéen n’a pas encore la tête à cette « coalition des démagogues » qu’il craint de voir surgir à l’Assemblée. On reçoit à Beauvau. Le ministre de l’Intérieur convie les huiles de son parti pour leur rendre compte de son déjeuner avec Sébastien Lecornu et les dirigeants du socle commun. Voilà Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Gérard Larcher et François-Xavier Bellamy réunis. On évoque la participation de la droite au gouvernement et les orientations du Premier ministre. De la conjugalisation de l’impôt aux aides aux clandestins, les sujets de fond sont abordés. Valérie Pécresse plaide pour davantage de décentralisation. « C’est l’un des seuls projets sur lequel les socialistes peuvent être intéressés », a-t-elle expliqué en substance à Sébastien Lecornu.

La politique n’est jamais loin. Xavier Bertrand a une idée. Il conseille au président de LR de voir seul le chef du gouvernement : « Tu lui as parlé remaniement ? Il est temps de le faire. » Bruno Retailleau a remporté l’élection interne haut la main. Un chef, ça doit cheffer. Seul, cela veut surtout dire sans son rival Laurent Wauquiez, pas convié au dîner à Beauvau. Quelques heures plus tôt, Sébastien Lecornu a trouvé Bruno Retailleau bien sage, comparé au hâbleur patron des députés LR. « On ne distinguait pas le chef de parti de l’autre », note un participant à la réunion.

« Muscle ton jeu, Bruno ! », pourrait être tenté de dire Aimé Jacquet. A l’issue d’une rencontre jeudi avec le Premier ministre, le locataire de Beauvau hausse le ton. « Le compte n’y est pas », assure-t-il au Figaro. Le flou stratégique agace le Vendéen, en quête de garanties. « Lecornu, malgré son talent, ne doit pas prendre les gens pour des imbéciles », glisse un fidèle. Le ministre de l’Intérieur énumère le soir même ses exigences lors d’une visioconférence avec les parlementaires LR, de la fermeté régalienne à une plus juste représentation de LR au gouvernement. Les ministres démissionnaires ont pris goût aux responsabilités. Ils échangent sur une boucle de messagerie, avant le verdict. « On se remonte le moral, on prend des nouvelles », sourit l’un d’eux.

Bruno Retailleau est soumis à des injonctions contradictoires. Il souhaite rester en poste, mais pas au prix de reniements. S’il mesure combien l’exercice du pouvoir a sauvé la droite, il doit composer avec les doutes de son électorat, partagés par de nombreux sénateurs LR. Le macronisme est radioactif, la présidentielle approche. Et puis, il n’est pas interdit d’être stratège. Un Premier ministre faible peut être pressé comme un citron. Bruno Retailleau est coutumier du fait. Après la nomination de François Bayrou, il théorisait sa stratégie dans un SMS à un député LR : « Faut monter le son, rien ne peut se faire sans nous, sinon c’est mort. » Rien n’a changé.

Ne rien changer pour que tout change : sera-ce la marque du gouvernement qui doit être nommé ? Il faudra bien quelques nouvelles têtes. A Bercy, c’est la panique. Ici le vent souffle plus qu’ailleurs depuis la chute de François Bayrou, les ministres argentiers ont peur d’être les boucs émissaires de la séquence et cherchent à sauver leur peau. Ou plutôt chacun cherche à sauver sa propre peau. C’est ainsi qu’en toute discrétion et sans en parler à leur colocataire, Eric Lombard et Amélie de Montchalin rendent visite à Bruno Retailleau pour qu’il les soutienne. Doutes à Beauvau : auprès d’un dirigeant du socle commun, le ministre de l’Intérieur s’interroge un jour sur l’opportunité d’une entrée du turbulent Laurent Wauquiez au gouvernement. Un détail, au regard du sommet budgétaire à gravir.



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Author : Paul Chaulet, Mattias Corrasco, Eric Mandonnet

Publish date : 2025-10-03 16:00:00

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