Marine Tondelier le confesse volontiers : elle n’est pas « devenue écologiste en lisant un rapport du Giec ». La secrétaire nationale des Ecologistes a trouvé sa vocation « par instinct », depuis l’enfance. Avant d’adhérer chez les Verts suite à un meeting dans lequel la plupart des participants arboraient des t-shirts sur les OGM, le nucléaire et Gaza, vaste programme. « Je m’étais sentie sur la même longue d’onde » confie-t-elle dans son nouveau livre, Demain, si tout va bien….
L’ouvrage fait la démonstration de ce rapport très détendu à la science. Page 77, on lit : « Ces trente dernières années, le nombre de cancers a augmenté de 80 % chez les moins de cinquante ans. Je le répète, parce que c’est énorme : ces trente dernières années, le nombre de cancers a augmenté de 80 % chez les moins de cinquante ans. Cette statistique n’est pas liée à la consommation d’alcool et de tabac qui a baissé sur la même période ». Un chiffre destiné à faire peur, à entretenir l’idée reçue d’une épidémie de cancers chez les jeunes, et bien sûr à incriminer les pesticides. Un chiffre répété, mais fourni sans aucun contexte ou source, laissant entendre qu’il s’agit de la France et qu’on a ainsi 80 % de risques supplémentaires d’être touché par un cancer précoce.
Ces 80 % sont en réalité 79 %, et proviennent d’une estimation publiée par la revue British Medical Journal (BMJ). L’augmentation concerne la population mondiale, et fait référence au nombre absolu de cas de cancers, soit 3,26 millions détectés en 2019. Marine Tondelier aurait pu lire L’Express. Notre excellent journaliste scientifique Antoine Beau avait, il y a deux ans, lu avec attention l’article du BMJ et interrogé les épidémiologistes pour mettre en perspective cette hausse. Elle aurait appris que ce chiffre « énorme » s’explique en large partie par l’accroissement de la population mondiale, passée de 5,3 milliards d’humains en 1990 à plus de 8 milliards aujourd’hui, mais aussi par de meilleurs diagnostics. Composée d’experts du monde entier, l’équipe qui a mené l’étude a-elle même convenu qu’aucune conclusion définitive ne pouvait être tirée, mais elle s’est inquiétée de certains facteurs liés au mode de vie, notamment le surpoids, une alimentation riche en viande rouge et en sel et la sédentarité. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Marine Tondelier, si la consommation de tabac a reculé dans le monde de 2000 à 2022, ce n’est pas le cas de l’alcool comme le montre l’OMS.
Page 187, on retrouve un autre détournement des statistiques : « Les cancers pédiatriques augmentent beaucoup, aussi. Terriblement. En 2023, plus de 2300 enfants et adolescents ont été diagnostiqués. […] Et nous savons qu’une part importante de ces drames a des causes environnementales. » L’incidence des cancers chez les moins de 15 ans en France a bien augmenté depuis plusieurs décennies alors même que la mortalité a elle baissé. Toutes les analyses sérieuses l’expliquent avant tout par le fait que les diagnostics se sont considérablement améliorés, grâce notamment à la généralisation de l’imagerie par résonance magnétique pour les tumeurs cérébrales ou par des meilleurs classifications et diagnostics histologiques.
Marine Tondelier utilise les mêmes méthodes que les climatosceptiques : le cherry picking, c’est-à-dire une présentation très sélective des données destinée à entretenir un biais de confirmation idéologique. On sourit ainsi quand, page 211, elle s’en prend « aux responsables politiques ou économiques » qui « nient les faits scientifiques », comme à ceux qui « instrumentalisent les croyances et les fragilités pour diviser et gouverner ».
Transfuge régionale
Mais qu’importent les chiffres. Cet essai n’est pas un programme, mais un outil de promotion du phénomène marketing Tondelier. Le livre s’ouvre sur le jour où elle a pleuré sur France Inter parce que Bruno Le Maire, avant le second tour des législatives de 2024, avait renvoyé dos à dos extrême droite et extrême gauche. Le lecteur aura ensuite droit à la fameuse veste verte qui l’a propulsée dans le classement des « 100 leaders de demain » du magazine Time. Comme au fait d’être « l’autre Marine », tout ça parce que sa mère avait lu dans Paris Match que c’était le prénom de la fille de Michel Platini. Marine Tondelier est aussi très fière de son humour (« le judo de la parole politique ») et livre un florilège de ses meilleures réparties.
Tout ouvrage sur soi doit aujourd’hui faire la démonstration que son auteur est issu d’un milieu modeste. Comme un père médecin (homéopathe) et une mère dentiste ne font pas de Marine Tondelier une transfuge de classe ayant déjoué le déterminisme social, l’élue mise tout sur sa région. La patronne des Ecologistes le répète, elle vient d’Hénin-Beaumont, aime les frites (« dans le croustillant d’une frite, c’est toute une part d’enfance et de fierté populaire qui ressurgit »), Pierre Bachelet et le Racing Club de Lens. Elle a même été victime de préjugés provincialistes quand, cherchant un stage d’été dans la capitale, on lui a fait une remarque sur le fait qu’elle étudiait à Sciences-Po Lille et non pas Sciences-Po Paris. « J’ai vingt ans, je suis fière de mon parcours, mais je vois bien qu’il existe un monde où cela ne sera jamais suffisant », déclare la battante.
Carte vitale verte
Soucieuse d’associer la lutte contre le réchauffement climatique à la justice sociale, Marine Tondelier propose l’instauration d’une carte vitale « verte », qui permettrait de bénéficier d’aides concrètes pour ses actions environnementales. Vous rénovez votre maison, achetez un véhicule électrique, réparez un appareil électroménager ? Hop, vous actionnez votre carte pour obtenir des remboursements. La Sécurité sociale a beau connaître un déficit de 15 milliards d’euros, étant confrontée au vieillissement de la population, Marine Tondelier propose ainsi qu’on y ajoute une composante écologique. Avec quel argent ? « Les marges de manœuvre budgétaires existent, mais il faut pour cela engager une autre politique économique et fiscale que celle menée par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron » jure-t-elle. Au passage, on apprend que la taxe Zucman, aujourd’hui brandie par la gauche pour résorber, en toute petite partie, la dette de l’Etat français, doit également servir à la transition écologique. Rappelons qu’avec 20 milliards d’euros (selon l’estimation généreuse de son concepteur, contestée par de nombreux économistes), cet impôt sur les plus riches ne pourra pas sauver le monde.
En conclusion, Marine Tondelier fait deux promesses. Son écologie est emplie d’amour et « tend la main », sauf aux « élites obscurantistes ». Ce sera les « 99 % contre les 1 % » assure-t-elle. Et « l’antifascisme » est sa ligne directrice, avec une « unité de la gauche – de toute la gauche » autour de l’écologie, mais surtout face au Rassemblement national. Dans le livre, Marine Tondelier ne cesse de revenir au grand moment de sa carrière, les longues et difficiles négociations pour le Nouveau Front populaire, coalition électoraliste aujourd’hui bien mal en point.
Cet essai intéressera ceux qui veulent comprendre comment l’écologie politique a, en France, fini par devenir le maillon – faible – entre Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, alors même que l’urgence climatique s’impose à tous, ou presque. En revanche, en ce qui concerne le climat, la transition énergétique et la rigueur scientifique, mieux vaut se reporter aux écologistes qui préfèrent les chiffres à la communication politique, qu’ils soient pessimistes (Jean-Marc Jancovici, Vaclav Smil) ou optimistes (Hannah Ritchie, chercheuse à l’université d’Oxford qui publie le 9 octobre Première Génération).
Demain, si tout va bien…, par Marine Tondelier. Albin Michel, 237 pages, 16,90 euros.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-10-04 14:00:00
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