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Emmanuel Macron, les dessous d’un jeu incompréhensible : coups de fil sans réponse, poker menteur et cachotteries

Emmanuel Macron, les dessous d’un jeu incompréhensible : coups de fil sans réponse, poker menteur et cachotteries

Il a succédé à François Bayrou il y a tout juste une heure. Le mercredi 10 septembre, Sébastien Lecornu confie au détour d’une phrase : « Je sais bien que, si ça se trouve, dans trois semaines, je suis ancien Premier ministre. C’est dans un coin de ma tête, ce truc. » Mais il ne peut pas y croire : une censure préventive coûterait tellement cher au pays, c’est plus tard qu’il devra sans doute l’affronter. S’il regarde alors du côté des oppositions, ce sont ses propres amis qui vont lui tirer le tapis sous les pieds.

Les ruptures les plus terribles sont celles qui ne se laissent pas présager. Il y a quelques semaines – autant dire, vu l’époque, une éternité… -, avant d’accéder à Matignon, Sébastien Lecornu admettait volontiers qu’il se laissait amadouer par le tout feu tout flamme locataire de Beauvau, Bruno Retailleau. Il observait avec plaisir son ancien camarade des Républicains mûrir dans son costume de ministre : « J’ai vu mon Retailleau changer au fur et à mesure qu’il exerce l’État, confiait-il. Il est parvenu à ne pas diluer ses convictions tout en gérant les affaires du pays. On peut toujours discuter avec lui sur les sujets graves et difficiles. » Dimanche soir, Bruno Retailleau a démontré à celui qui, entre-temps, a été nommé Premier ministre pourquoi maturité rimait toujours avec brutalité ; comment, en quelques heures, coopération rimait avec séparation.

En un tweet – hostile à la composition du nouveau gouvernement – Bruno Retailleau a précipité la chute du Normand. Acculé par les oppositions et en proie à l’hostilité du socle commun, le Premier ministre a remis sa démission ce lundi 6 octobre à Emmanuel Macron. Voilà la France en crise. Voici Bruno Retailleau épinglé pour avoir craqué l’allumette de l’incendie. Lui juge avoir été dupé par Sébastien Lecornu. Dimanche, le locataire de Beauvau souhaite le voir avant l’annonce du nouveau gouvernement. « Je dois travailler mon discours de politique générale. Le mieux est qu’on s’appelle », lui rétorque Sébastien Lecornu. Premier malaise. Une discussion se tient finalement à Matignon. On échange sur l’architecture de l’équipe et la place de LR, qui a décidé de rester à bord du navire. Le patron des Républicains la juge un peu frêle. Survient la question des Armées : « Domaine réservé. C’est le choix du président », entend Bruno Retailleau.

La nomination de Bruno Le Maire, symbole à droite de la dette publique, provoque la rupture. Le Vendéen la découvre à la télévision. Il juge que Sébastien Lecornu lui a sciemment caché son choix… et qu’il a perdu son pari : non, la droite n’est pas prête à rester à tout prix au gouvernement. La couleuvre Le Maire est trop grosse. Les contempteurs du ministre de l’Intérieur raillent, eux, cette crise née sur une affaire de casting et pas d’orientation programmatique. Demeure un fait : l’ex-Premier ministre a scellé son destin en sortant du placard l’ancien locataire de Bercy. Un complice de Lecornu l’alerte aussitôt, ce choix est trop urticant pour la droite. Le coup est parti, il n’est pas rattrapable. Dans la soirée, Bruno Le MAire appelle Bruno Retailleau, qui ne lui répond pas. A quoi bon ? Et ce ne sont pas un échange téléphonique avec Sébastien Lecornu puis un SMS du Normand après le tweet de Bruno Retailleau qui apaiseront l’affaire. Sébastien Lecornu n’a que ses yeux pour pleurer. Et sa voix pour dénoncer les « appétits partisans » – suivez son regard – qui l’ont condamné.

« Ils ne voient plus juste au Palais ! »

Dès l’annonce de sa démission, les ouailles du camp présidentiel se sont mises à osciller entre colère, honte et dépit. Les erreurs, de casting comme de stratégie, lassent et agacent. « Lecornu, je le connais bien. On le présente comme un génie, mais on voit surtout un conseiller général de l’Eure. Surcoté », glisse l’un des présidents de groupe du « socle commun », qui n’en a guère plus que le nom. L’un des cadres du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée nationale se lamente : « Non seulement Lecornu a fait n’importe quoi après trois semaines où il ne s’est rien passé, mais au Palais, ils ont le viseur complètement pété ! Ils ne voient plus juste ! »

Car le coupable originel est moins à Matignon qu’à l’Élysée. Concernant l’étincelle Le Maire qui a fait exploser le gouvernement, tout porte à le croire, tant le portefeuille est stratégique par les sombres temps qui courent. Pas qu’Emmanuel Macron se soit enamouré de l’ex-patron de Bercy pendant sept ans ; au contraire, leur relation fut émaillée de tensions et de crises piquées au Château. Seulement, selon un fin connaisseur des questions de Défense à l’Assemblée nationale, le chef de l’État porterait une attention toute particulière à l’aboutissement des coopérations entre Paris et Berlin, notamment à propos du « Système de combat aérien du futur » (Scaf), visant à construire un avion de nouvelle génération franco-allemand et, ainsi, renforcer la souveraineté européenne en matière de défense. Après le refus d’Édouard Philippe d’occuper le poste, le germanophile et germanophone Bruno Le Maire, habitué des tractations avec notre voisin d’outre-Rhin, s’est donc imposé dans l’esprit du président de la République et, par capillarité, dans celui de Sébastien Lecornu. « Emmanuel Macron voulait reprendre la main et installer le trio Bruno Le Maire – Emmanuel Moulin – Roland Lescure (NDLR : tous les trois à Bercy durant le passage d’Élisabeth Borne à Matignon), se persuade un ex-ministre LR. Je ne comprends pas que quelqu’un d’aussi intelligent, avec une telle confiance en lui, puisse en même temps manquer à ce point d’intelligence des situations. »

Gabriel Attal a détesté la première dissolution, qui l’a chassé de Matignon. Voici maintenant qu’il s’interroge : et si, quoi qu’il affirme publiquement, le président de la République en cherchait une seconde ? En 2024 d’ailleurs, celui-ci l’avait déjà mené en bateau, il n’a donc aucune raison de le croire. Cette fois, l’ex-Premier ministre constate que chaque décision prise par Emmanuel Macron le rapproche un peu plus du précipice. Pourquoi, du point de vue élyséen, accepter que François Bayrou sollicite la confiance quand le résultat (inverse) est couru d’avance ? Pourquoi, ensuite, lorsqu’il s’agit de tendre la main aux socialistes, nommer à Matignon le plus fidèle de vos ministres… Et donc celui que la gauche ne pourra pas voir en peinture ?

Pourquoi diable, enfin, solliciter à nouveau son Premier ministre démissionnaire après l’une des journées les plus ubuesques de la Ve République ? Ce lundi soir, Emmanuel Macron a demandé à Sébastien Lecornu de mener « d’ici à mercredi soir d’ultimes négociations » afin de définir « une plateforme d’action et de stabilité pour le pays ». La bonne blague : le 26 août 2024, le président publiait déjà un communiqué dans lequel il se présentait comme « garant de la stabilité institutionnelle ». On connaît la suite.



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Author : Erwan Bruckert, Paul Chaulet, Eric Mandonnet

Publish date : 2025-10-06 17:06:00

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