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Après la crise politique, la France vers une crise économique ? « Cette impression de chute sans fin est catastrophique »

Après la crise politique, la France vers une crise économique ? « Cette impression de chute sans fin est catastrophique »


Lundi, 8h45, le patron d’une grande banque française reçoit L’Express. L’entrée en matière se veut rassurante : « Les crédits immobiliers sont en légère croissance, ceux accordés aux entreprises aussi. Le coût du risque sur les défaillances est relativement élevé, pour autant ce n’est pas encore un niveau de crise. Notre économie est résiliente, c’est sa caractéristique. » Une pause. Café. Puis la sentence tombe : « Je suis fatigué de cette résilience dont on se berce. L’enjeu, ce n’est pas que ça tienne, mais que ça reparte ! »

Sur la nappe, les smartphones se mettent à vibrer. Le rebond attendra : Emmanuel Macron vient d’accepter la démission surprise de Sébastien Lecornu et de son gouvernement, moins de 24 heures après sa composition. Le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République explique devant les caméras que « les partis politiques continuent d’adopter une posture comme s’ils avaient, tous, la majorité absolue à l’Assemblée nationale », rendant impossible la poursuite de sa mission. « Il y a beaucoup de lignes rouges, rarement des lignes vertes », conclut d’un ton grave le quatrième locataire de Matignon depuis la dissolution du 9 juin 2024.

A la Bourse de Paris, les valeurs bancaires, plus sensibles que les autres aux incertitudes budgétaires et à la trajectoire explosive de la dette, piquent du nez, entraînant dans leur sillage l’ensemble du CAC 40. L’écart de taux – le fameux « spread » – entre l’emprunt de l’Etat français à 10 ans et son pendant allemand se creuse de nouveau. Dans moins de trois semaines, l’agence Moody’s doit se prononcer sur la note de crédit de la France, après la dégradation de Fitch intervenue le 12 septembre qui a relégué la deuxième économie de la zone euro au même rang que Malte et l’Estonie. « Je ne crois pas aux vertus de la purge que certains, dans les dîners parisiens, appellent cyniquement de leurs vœux, insiste notre hôte du matin, en prenant congé. Mais il faut que la prise de conscience de nos faiblesses advienne. Vite. »

La production industrielle freinée

Croissance atone, dérive des comptes publics, maelström parlementaire… Ces faiblesses françaises tiennent tout entières en un seul graphique, représentant l’évolution des principaux indices boursiers en Europe. Sur les seize derniers mois, le CAC 40, censé refléter la confiance des marchés dans les grandes entreprises tricolores, et par construction dans l’économie du pays, fait du surplace, quand le PSI portugais, le MIB italien, l’Ibex espagnol et, plus encore, l’Athex grec s’envolent. Raillés il y a quinze ans pour leur addiction au déficit public et leur incapacité à se réformer, les pays du « Club Med » ne sont pas les seuls, aujourd’hui, à nous faire la nique : le Dax allemand et le Footsie britannique ont progressé eux aussi sur la période.

Depuis la dissolution, le CAC 40 a peu augmenté en comparaison de ses homologues européens.

« Les investisseurs étrangers ont trois boussoles : la prévisibilité, la stabilité, et la non-rétroactivité, rappelle le consultant en stratégie Gilles Bonnenfant, président d’Eurogroup Company. La France pèche aujourd’hui sur ces trois points, ce qui nous écarte de plus en plus de nos voisins européens. L’instauration de la flat tax en 2018 et la réforme des retraites de 2023 allaient clairement dans le bon sens. Imaginer que la France pourrait revenir dessus est une folie. » Professeur au Cnam et fin connaisseur de l’industrie, Olivier Lluansi observe lui, sur le terrain, les effets délétères de l’impasse politique : « Cette impression de chute sans fin est catastrophique. Pour deux raisons. Primo, l’incertitude renchérit le coût du crédit pour les entreprises. Si les multinationales empruntent désormais moins cher que l’Etat, ce n’est pas le cas de la majorité des PME. Deuzio, quand vous décidez d’un investissement industriel, c’est pour dix ans. Le besoin de lisibilité est un élément prépondérant. Or, notre outil productif est plus vieillissant qu’ailleurs. Depuis le Covid, la production manufacturière a progressé moins vite en France que chez nos homologues. »

A la tête de Trendeo, une société de veille qui suit au jour le jour les ouvertures et fermetures d’usines dans l’Hexagone, David Cousquer rembobine le film. Juste après la dissolution, les annonces d’extension ou de création ont marqué un net coup d’arrêt, pendant 4 à 5 mois. « Puis les affaires ont repris, au printemps, précise-t-il. Les projets dévoilés lors du sommet Choose France allaient dans ce sens, même s’ils étaient concentrés autour des data centers. Cette nouvelle séquence politique, c’est un peu la deuxième lame. » Avec un facteur aggravant : la lassitude de nos partenaires.

« L’attentisme des bailleurs de fonds est patent, renchérit Daniel Cohen, le PDG de Zalis, un cabinet spécialisé dans les restructurations. Nous étions sur le point de conclure un deal avec des Canadiens pour une prise de participation minoritaire chez un sous-traitant aéronautique. Ils viennent tout juste de lever le stylo. Motif : trop d’incertitudes. Dans le montage financier des dossiers, les investisseurs ont besoin de connaître les règles du jeu, pour mesurer et quantifier leur risque… Aujourd’hui, ils ne le peuvent pas. Résultat : tout est ajourné. »

Un coût de 9 milliards d’euros

Quel est le prix de ces « appétits partisans » que Sébastien Lecornu a dénoncé sur le perron de Matignon ? Maxime Darmet, économiste chez Allianz Trade, a fait les comptes. Entre l’été 2024 et l’été 2025, la dissolution et l’introuvable consensus qui en a résulté ont coûté 0,3 point de PIB au pays, soit environ 9 milliards d’euros. « Deux hypothèses sont maintenant sur la table, poursuit l’expert. Un gouvernement technique qui pourrait faire passer une loi spéciale sur le budget, laquelle constituerait un moindre mal. Ou une nouvelle dissolution, au coût significatif pour les finances publiques, avec moins de croissance – elle pourrait être amputée de 0,5 point encore -, moins de recettes fiscales et aucune réduction du déficit public. » Attendu à 5,4 % du PIB cette année, ledit déficit pourrait même bondir à 5,7 % en 2026, estime le cabinet d’études Oxford Economics dans une note publiée le soir même de la démission du gouvernement.

Balloté lors de cette folle journée, l’euro a cédé du terrain face au dollar. Un signal inquiétant sur les possibles effets de contagion de la crise politique au-delà de nos frontières. La France est à la fois protégée et piégée par la monnaie unique. La comparaison avec le Royaume-Uni est frappante à cet égard, comme le souligne Raphaël Gallardo, chef économiste chez Carmignac. « Les Britanniques, avec un déficit de 3 %, subissent plus fortement la pression des marchés (NDLR : le taux de leur emprunt à 10 ans est de l’ordre de 4,7 %). Mais ils sont aidés par la faiblesse de la livre sterling. Dans la zone euro, en revanche, aucune dévaluation n’est envisageable. »

Impossible, donc, d’alléger le fardeau de la dette en recourant au levier de l’inflation. « Le seul ajustement possible viendra, dans ce cas, du marché du travail. C’est l’effet pervers de l’euro qui nous donne une fausse impression de sécurité », ajoute-t-il. Pour l’instant, les investisseurs, surtout les étrangers, restent relativement complaisants vis-à-vis de la France, dont le taux d’emprunt oscille autour de 3,6 %. Et pour cause, ils sont convaincus que la Banque centrale européenne assurera les arrières de Paris. Raphaël Gallardo y voit une incohérence. Si les marchés pensent que Francfort activera la planche à billets pour soutenir la dette française, l’euro devrait être bien plus faible qu’il ne l’est aujourd’hui. A contrario, si ce soutien n’est pas acquis, le spread avec l’Allemagne devrait être bien plus sévère. Au bout du compte, ce calme relatif avant la tempête n’éveille pas chez les responsables politiques le sentiment d’urgence nécessaire pour décider enfin de s’entendre, et de couper dans les dépenses. « Plus on laisse la dette s’accumuler, plus douloureux sera le coût de l’ajustement », prévient Raphaël Gallardo. Les jours qui viennent s’annoncent décisifs. Pour l’économie française, et la pérennité de nos institutions.



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Publish date : 2025-10-07 16:00:00

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