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Edouard Philippe appelle à la démission d’Emmanuel Macron : un candidat « sérieux » peut-il remporter la course à l’Elysée ?

Edouard Philippe appelle à la démission d’Emmanuel Macron : un candidat « sérieux » peut-il remporter la course à l’Elysée ?

Le regretté Patrick Devedjian a toujours assuré qu’il avait entendu de ses propres oreilles ce propos dont certains se demandaient s’il était apocryphe. « Je vous surprendrai par ma démagogie. » Jacques Chirac fait cette confidence au début de sa campagne présidentielle de 1995, celle qui lui promettait le désastre, celle qui lui voudra la plus inattendue des victoires. « Il avait l’habitude de ces provocations, c’était évidemment une boutade », corrige aujourd’hui Dominique de Villepin, qui allait devenir son secrétaire général à l’Elysée. Pour gagner l’élection clef de la Ve République, quel chemin faut-il emprunter ? On pourrait penser, notamment depuis le premier choc pétrolier de 1973 dont les ravages abîmeraient durablement la société française, qu’une prime reviendrait aux candidats les plus sérieux sur le plan économique, au moins les plus crédibles, en tout cas les meilleurs gestionnaires. On pourrait le penser, et alors on se tromperait – plutôt deux fois qu’une : sur la nature de ce scrutin à nul autre pareil, sur le rapport qu’entretiennent les Français avec l’économie.

« Les Français attendent des présidentielles des promesses et non des mobilisations, ils veulent qu’on leur rapporte et non qu’on leur demande, constate Alain Duhamel. Ceux qui ont le profil de la rigueur et de l’effort se heurtent au tempérament français, d’abord redistributif. » Peu de pays ont un scrutin comparable, un homme ou une femme seul devant plus de 40 millions de citoyens. « Cette élection, c’est l’éloge de la folie, relève Gérard Courtois, auteur d’une formidable Saga des élections présidentielles (Perrin, 2025). Elle se joue sur l’image, la personnalité, la capacité à faire rêver, à tracer un horizon qui soit excitant. La psychologie y est beaucoup plus importante que la rationalité. » Or par un hasard qui n’en est sans doute pas un, les candidats se voulant raisonnables ne sont pas les plus débridés, quand ils ne sont pas carrément corsetés. « Ceux qui prônent le réalisme sont souvent orgueilleux », pointe Alain Duhamel.

Ce n’est pas un succès, c’est un plébiscite. Gabriel Zucman président ! Selon un sondage Elabe publié en septembre, 74 % des Français sont favorables à la désormais fameuse taxe de 2 % de la valeur des gros patrimoines. Aucun clivage ne résiste, tous les électorats approuvent : 63 % au RN, 74 % chez les macronistes, 96 % au sein du Nouveau Front populaire. Seuls les électeurs des Républicains sont très partagés (50 % / 50 %).

Edouard Philippe a-t-il des migraines ? Est-ce là le pays qu’il veut conquérir ? Lui a déjà fait trembler dans les chaumières en plaidant pour repousser l’âge de départ à la retraite « à 65, 66 ou 67 ans ». En 2020, il avait publiquement prévenu son supérieur hiérarchique qui s’interrogeait sur la prolongation de son bail à Matignon : « Emmanuel Macron sait qui je suis, ce que j’incarne, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire » – traduction : je ne reste pas pour augmenter les déficits. Dans le podcast Legend, il rode ce qui ressemble à une feuille de route : « rendre à la France les moyens de sa puissance ». « Notre pays va arriver au sang et aux larmes indépendamment de ce que je dis, confie le maire du Havre à L’Express. On peut concilier ambition et lucidité : il ne s’agit pas d’être simplement lucide. » Le chemin est étroit autant que sinueux. « Ce qui le différencie des autres aujourd’hui, c’est le sérieux !, souligne l’un de ses amis. Mais il ne sera pas que le candidat du sérieux. Le président de la Cour des comptes ne se fait pas élire président de la République, même s’il faut bien équilibrer les comptes. »

« Il faut être soi-même »

Que donnera-t-il quand la bataille sera engagée ? C’est à ce moment-là que les uns et les autres démontrent qu’ils ont – ou pas – les qualités. « C’est la campagne qui créera la dynamique, sauf s’il s’appelait Sarkozy, complète l’ami. Chacun joue avec ses armes. » Le boxeur qu’est Edouard Philippe, adepte de l’école cubaine (il ne s’agit pas de donner l’uppercut fatal mais plutôt de pilonner les biceps de l’adversaire et de finir, à l’usure, au bout de plusieurs rounds, par prendre le dessus), prévient : « Il faut être soi-même. Je n’ai pas envie de faire la campagne en étant autre chose que moi-même. » Qu’on n’attende donc pas qu’il dise ce qu’il ne pense pas. « Le fait qu’on soit dans une période tellement anxiogène, avec une dimension budgétaire que les gens ont intériorisée même sans en tirer de conclusion pour eux, peut le servir : un discours d’effort ne sera pas populaire, il peut être moins inaudible », avance Alain Duhamel.

Demander des efforts ou demander des suffrages, faut-il choisir ? Etre sérieux et être guindé, l’un ne va-t-il pas sans l’autre ? En voilà un qui pourrait être considéré comme l’archétype. « Le meilleur économiste », avait osé Valéry Giscard d’Estaing à la télévision le soir où il l’avait nommé à Matignon, en 1976. Raymond Barre se présente à l’élection présidentielle de 1988. Il a longtemps bénéficié d’une bonne popularité et incarne la sagesse par rapport au fougueux Jacques Chirac. Avant même de se déclarer, lors d’un déjeuner à Vichy devant quelque 1 500 notables, il ne cherche pas à caresser la salle dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire : « Je ne vous ferai pas de promesses. Ce n’est pas mon genre et je n’ai pas l’intention de changer. Ce n’est pas non plus médiatique, mais c’est bien le cadet de mes soucis. »

Un autre jour, à Metz, s’il ne gronde pas son public, il ne faudrait pas trop le pousser : « Je tente de tenir un discours responsable à des adultes responsables. » Plutôt que de soulever les foules, l’ancien professeur disserte sur l’impartialité de l’Etat, la compétitivité des entreprises, la réforme fiscale. Et met un point d’honneur à assumer son style : « On me dit, faites donc rêver les Français ! Pour faire rêver, il faut d’abord endormir et je respecte trop mes concitoyens pour m’y prêter. » « Du sérieux, du solide, du vrai », annonce l’une des affiches de campagne. Pas de l’efficace : peu à peu, celui que redoutait le plus le président sortant François Mitterrand recule dans les intentions de vote. Il terminera troisième au second tour, et donc éliminé.

D’Edouard Balladur à François Fillon

Dans la même catégorie, Edouard Balladur peut revendiquer une place sur le podium. En 1995, fort de son bilan comme Premier ministre, c’est sur le terrain de l’efficacité gestionnaire qu’il espère l’emporter ; c’est sur ce terrain que Jacques Chirac va le mitrailler. En février, il présente son programme « Croire en la France ». Lui non plus ne veut pas faire rêver, tout juste parvient-il à assoupir les centaines de journalistes présents avec son interminable catalogue de réformes. « Réformer sans fractures ni ruptures » est son mot d’ordre ; ce sera son épitaphe. Au nom d’une « fracture sociale » qu’il s’empressera d’oublier après sa victoire, Jacques Chirac lui fait aussitôt un efficace procès en immobilisme. Les courbes s’inversent et le grandissime favori, celui dont un certain Nicolas Sarkozy avait souhaité la victoire dès le premier tour, ne se qualifie pas pour le second. « J’ai toujours refusé d’être solliciteur, chercher à plaire me paraît humiliant car c’est reconnaître sa dépendance. Est-ce de l’orgueil ? Non, c’est ma conception de la dignité », explique le perdant à Gérard Courtois dans son livre.

Nicolas Sarkozy fut balladurien, pas balladuriste. Quand son tour vint, en 2007, bien qu’adossé à son expérience de ministre du Budget puis de l’Economie, c’est sur les thématiques régaliennes qu’il porta l’estocade. Et lorsqu’il aborda les sujets économiques, il ne fit pas entendre aux Français la petite musique de la rigueur mais celle, plus chaleureuse, du « gagner plus », quitte à « travailler plus » – slogan ô combien malin. Alain Juppé fut chiraquien, pas chiraquiste. Les promesses à tout va, très peu pour lui. Eliminé. François Fillon fut filloniste. Pour gagner la primaire de son camp en 2016, il présente un programme économique qui n’est pas à l’eau de rose : réduction de 100 milliards d’euros des dépenses de l’Etat, hausse de 2 points du taux de TVA, suppression de 500 000 postes dans la fonction publique, relèvement de 62 à 65 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Sa volonté de « désétatiser » le système de santé suscite la polémique, y compris à droite. « Il est compliqué de savoir ce qu’aurait été sa campagne si elle n’avait pas été percutée par les affaires, mais il faut relever que la Sécurité sociale le plombe avant même les révélations du Canard enchaîné », rappelle Gérard Courtois.

Cinq ans plus tard, Valérie Pécresse trouva les mots – « cramer la caisse » – mais pas les oreilles pour se faire entendre. « Un jour il y aura un retour de balancier, remarque la candidate de 2022. La notion de ‘Il y a un pilote dans l’avion’ va finir par être le sujet de la présidentielle, quand les Français percevront que l’état de nos finances publiques entraîne notre chute. La question est de savoir si ce sera à la prochaine élection ou à celle d’après. »

« Il a raison intellectuellement mais il a tort électoralement »

La droite n’a pas le monopole du cuir. En 2002, après cinq ans à Matignon, Lionel Jospin apparaît en position de force. Il s’appuie sur son bilan pour se présenter en candidat sérieux, qui a fait baisser le chômage ; jamais il ne parvient à passer à son projet, ni à fendre l’armure. L’austère préconiserait-il l’austérité ? « Quand il soutient que l’Etat ne peut pas tout, il a raison intellectuellement mais il a tort électoralement : c’est le contraire de ce que dit la gauche », se rappelle Alain Duhamel, qui l’avait interrogé pour son livre de candidat, Le temps de répondre.

Le cas Giscard est plus complexe. En 1974, côté pile : il a été inspecteur des finances, secrétaire d’Etat au Budget, ministre des Finances et des Affaires économiques. « Il serait invraisemblable que quelqu’un qui a exercé pendant des années les fonctions ingrates de ministre de l’Economie ait pu conserver aussi longtemps une certaine confiance de ses compatriotes, notamment des plus modestes, s’ils n’avaient pas eu le sentiment que j’ai travaillé pour eux » : l’économie est son atout, le choc pétrolier et ses effets ne sont pas encore très perceptibles en France. Il ne s’en contente pas. « Alors qu’il voulait sans cesse montrer son inégalable expertise, il redevient juvénile au moment où il entre en campagne », se souvient Alain Duhamel. Et c’est sur les réformes sociales que VGE insiste (augmentation immédiate du minimum vieillesse, garantie de ressources pour les chômeurs, droits à la retraite pour les mères de famille au titre de l’éducation des enfants), au point que Le Monde s’interrogera : « Où est passée la droite ? » VGE l’emporte.

En 1981, Giscard côté pile. Bien sûr il voudrait continuer de jouer le grand sorcier de l’économie. Lors de sa première émission télévisée comme candidat, il évoque la crise : « On a voulu faire croire qu’il y a des remèdes miracles ; il n’y en a évidemment pas. » Il a toujours goûté aux mises en scène, soudain il se lève et se place à côté d’un tableau installé dans le studio. Avec un feutre, il écrit les chiffres clés de son bilan : niveau de vie + 22 %, production + 21,7 %, minimum vieillesse + 28,2 %. Mais il est devenu « l’homme du passif », selon la magistrale formule de François Mitterrand en plein débat télévisé de l’entre-deux-tours, réplique à « l’homme du passé » que Giscard avait accusé le socialiste d’être sept ans plus tôt. Jacques Chirac aussi, qui n’a jamais reculé devant aucune audace ni outrance, le canonne et souligne le risque que la France, sans changement, aille à la « faillite ». VGE est balayé.

« Une part de sérieux, et une part de tactique »

« Les candidats de la rigueur essaient davantage que les autres de dire leur vérité, les candidats de l’espérance ou de la poésie vantent plus les grandes aventures qui vont réussir », observe Alain Duhamel. La vengeance est un plat qui se mange froid, mais quand il se mange à l’Elysée, il est tout de suite beaucoup plus digeste. Certains vainqueurs n’échappent pas au tête-à-queue quand ils se heurtent à la réalité : ce fut le cas de François Mitterrand, de Jacques Chirac ou de François Hollande. Le cas de ce dernier est intéressant. Précédé d’une bonne réputation en matière d’économie et de fiscalité, il avait inscrit le rétablissement des comptes publics de manière précise à la fin de son petit livret de candidat. « S’il est convaincu par la politique de l’offre, il n’ose pas l’annoncer réellement ni l’engager immédiatement, note Gérard Courtois. Il y a chez lui une part de sérieux, et une grande part de tactique. » Il ne veut pas être un autre Jospin. Pour ne pas se faire déborder par la gauche de la gauche, il invente donc un « taux d’imposition » de 75 % pour la part des revenus dépassant un million d’euros par an.

Le « Mozart de la finance » : il y a pire surnom. En 2017, Emmanuel Macron bénéficie d’une aura de gestionnaire, quatre ans banquier d’affaires chez Rothschild, deux ans à Bercy. S’il promet la « révolution » – un mot qui claque mieux que dégagisme – son projet économique (réformes du droit du travail, de l’assurance chômage, de la formation professionnelle et de l’apprentissage) repose surtout sur le dynamisme, avec une mesure aguichante qui parle à tous, la suppression de la taxe d’habitation. Combinaison gagnante : c’est quand un candidat se situe loin de la rigueur qu’il a le plus de chances de l’emporter. Jusqu’à présent.



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-10-07 07:01:00

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