À l’heure où l’Etat cherche à réduire la voilure, les entreprises doivent-elles davantage aller là où la puissance publique patine ? Sur la formation professionnelle par exemple, certaines d’entre-elles agissent déjà sur une grande partie de la chaîne. C’est le cas d’Amazon France, qui depuis quatre ans, collabore avec France Travail dans la réinsertion à l’emploi et la formation. À l’occasion de la deuxième édition du Forum des Métiers et Carrières d’avenir organisée ce mercredi 8 octobre par Amazon, sa filiale, AWS a par exemple lancé un programme destiné à outiller des jeunes issus de milieux modestes pour les professions du cloud, de l’électricité et de la cybersécurité.
Former aux métiers de demain, un défi d’autant plus complexe que le progrès technologique file à toute vitesse, rendant rapidement obsolète celui d’hier. Raison pour laquelle « la formation doit servir à développer la capacité à comprendre, à s’adapter, à apprendre en continu », confie Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France. Aux côtés du directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, le patron du géant américain en France explique comment le partenariat entre public et privé peut devenir un levier d’inclusion et d’adaptation face aux mutations du travail.
L’Express : Voilà quatre ans que France Travail et Amazon travaillent ensemble sur divers projets de formations et de recrutement. D’où est née votre collaboration et comment se matérialise-t-elle concrètement ?
Frédéric Duval, directeur général d’Amazon : Notre premier projet commun avec France Travail remonte à 2021, avec le lancement du centre logistique d’Augny, près de Metz. En un an et demi, nous y avons recruté 3 500 personnes en CDI, dont 70 % étaient auparavant au chômage. Et parmi ces dernières, environ 65 % percevaient le RSA — il s’agissait donc de chômeurs de longue durée. Avec les équipes de France Travail, nous avons vraiment pris conscience, à ce moment-là, de l’impact que pouvait avoir une collaboration bien pensée entre acteur privé et service public. Cette réussite a d’ailleurs conduit à la signature, peu après, d’un accord national de partenariat dans le Nord de la France.
Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail : Concrètement, notre collaboration passe d’abord par un travail en amont, avec des opérations de sourcing qui s’affranchissent des méthodes classiques basées uniquement sur le CV ou les diplômes. On privilégie les recrutements fondés sur les attitudes, les aptitudes et la motivation. On organise par exemple des jobs dating autour du sport ou de la culture, pour rencontrer les candidats autrement. On intervient aussi sur la question du handicap, avec une vraie démarche d’inclusion aux côtés d’Amazon. Cet accompagnement repose sur deux jambes : le travail que nous faisons, à France Travail, en matière d’orientation, d’immersion ou de préparation opérationnelle à l’embauche — et, de l’autre côté, la culture managériale d’Amazon, fondée sur le tutorat, la montée en compétences et la valorisation des parcours.
Vous proposez deux types de programmes : ceux destinés à vos collaborateurs – comme l’École Amazon développée avec l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ou les formations en apprentissage liées aux BTS logistiques – et ceux, portés par Amazon Web Services (AWS), ouverts à l’ensemble des Français avec l’objectif de 600 000 personnes formées d’ici 2030. Ces formations sont-elles financées sur fonds propres par Amazon, ou bénéficient-elles de subventions publiques ?
F.D. Bien sûr, lorsqu’il s’agit de contrats d’apprentissage, nous bénéficions, comme toutes les entreprises, des dispositifs nationaux de soutien à l’apprentissage. Mais en dehors de ce cadre, les programmes que nous développons — qu’il s’agisse de l’École Amazon, des formations internes ou des certifications AWS — relèvent entièrement de notre initiative et de notre financement.
Ces dispositifs permettent-ils réellement aux salariés les moins qualifiés d’évoluer vers des postes mieux rémunérés ?
F.D. La semaine dernière, nous avons inauguré notre site modernisé de BVA One, près d’Amiens, désormais robotisé. À cette occasion, nous avons mis à l’honneur notre salarié Maxime qui illustre parfaitement cette évolution. Employé sur notre site de Boves, il a rejoint Amazon en 2018 en tant qu’agent d’exploitation intérimaire, avant d’être embauché en CDI comme agent logistique. Maxime s’est orienté vers l’apprentissage en maintenance, et a été confirmé technicien de maintenance en septembre 2025, pour accompagner la transformation du site et a observé une augmentation de son salaire de plus de 30 %.
T.G. On a effectivement plusieurs exemples très parlants. Je me souviens notamment d’un programme lancé avec Amazon sur le site de Lauwin-Planque, dans le Nord. Cent bénéficiaires du RSA y ont signé un CDI. Parmi eux, il y avait par exemple un ancien comptable, resté sans emploi pendant cinq ou six ans. Il avait perdu toute mobilité, toute confiance, et ne s’imaginait pas du tout rejoindre un secteur comme la logistique. Grâce à l’accompagnement conjoint de France Travail et d’Amazon, il a retrouvé un emploi, un logement, et surtout une dynamique de carrière. C’est ce qu’on observe souvent : une fois entrés, certains salariés évoluent, deviennent chefs d’équipe… C’est une trajectoire naturelle dans un environnement où les perspectives existent vraiment.
L’un des grands défis d’aujourd’hui, c’est de réduire la fracture entre la France des villes et celle des territoires ruraux, où l’accès à l’emploi et aux formations reste plus difficile. En quoi les programmes que vous menez, notamment en partenariat avec Amazon, peuvent-ils contribuer à combler cet écart ?
F.D. Le défi des territoires ruraux, c’est aujourd’hui de résister à la désindustrialisation. Quand on visite un centre de distribution Amazon, on se rend compte qu’il s’agit d’un véritable outil industriel — une usine d’expédition de produits. Et un territoire rural a besoin de ce type d’ancrage. Il génère de l’emploi stable, de l’activité économique, de la consommation locale, de la demande immobilière… Tout un écosystème vertueux. Prenons l’exemple du centre d’Augny. L’installation s’est faite sur l’ancienne base militaire de Frescaty, qui employait environ 2 000 militaires avant sa fermeture. Il fallait redonner vie à cette zone, lui redonner une utilité économique. L’ouverture du site Amazon a permis de recréer non seulement cette dynamique, mais de la multiplier : aujourd’hui, plus de 4 000 emplois permanents y ont été créés.
T.G. L’enjeu, dans ces territoires, c’est de créer des opportunités d’emploi, mais aussi de lever les freins qui empêchent d’y accéder. C’est là que notre rôle à France Travail prend tout son sens. Nous disposons d’un réseau de 887 agences sur tout le territoire, renforcé par près de 3 000 points partenaires supplémentaires. Ce maillage de proximité nous permet d’aller au plus près des habitants — y compris dans les zones rurales ou les quartiers prioritaires. Nous organisons également des opérations itinérantes, les « Places de l’emploi », qui sont de véritables forums mobiles. On y réunit entreprises, organismes de formation et acteurs locaux pour proposer des recrutements directs, des immersions, des accompagnements individualisés. Récemment, l’une de ces opérations a rassemblé 43 entreprises venues proposer leurs offres, avec autour d’elles tout un écosystème de solutions : mobilité, garde d’enfants, logement… C’est aussi à cela que servent les partenariats comme celui que nous menons avec Amazon.
Une partie du débat actuel porte sur la valeur réelle des certifications privées. Les diplômes délivrés dans le cadre d’AWS Academy et de l’École Amazon ont-ils la même renommée – et offrent-ils autant de perspectives d’emplois – qu’un diplôme public ou qu’une grande école comme l’EM Lyon ou HEC ?
F.D. Nos formations n’ont pas vocation à remplacer une formation académique longue, mais à permettre à des milliers de personnes de progresser, de s’adapter et de saisir les opportunités du marché du travail. Concrètement, une personne qui obtient une certification AWS et cherche un emploi dans le cloud part avec un vrai atout. Selon un sondage Ifop, 90 % des Français estiment que la formation est un levier essentiel pour accéder aux métiers d’avenir. Mais seulement 27 % d’entre eux considèrent avoir les connaissances nécessaires pour comprendre ou maîtriser les technologies émergentes — notamment l’intelligence artificielle ou le cloud. Il y a donc un décalage immense entre la perception et la réalité. Raison pour laquelle Nous proposons plus de 400 formations gratuites en ligne, dont 200 en français, pour se former aux compétences du numérique.
À l’ère des IA génératives, certaines compétences deviennent rapidement obsolètes. Comment forme-t-on à des métiers dont on ne connaît pas encore les contours ? Certaines écoles, comme 42 à Paris – présente à votre forum – avaient misé sur l’apprentissage du code, aujourd’hui jugé moins central à l’ère des outils d’IA générative.
T.G. Il y a trente ans, une compétence durait en moyenne 30 ans ; aujourd’hui, c’est à peine deux ans. Cela change tout. On ne peut plus raisonner en termes de formation initiale « pour la vie ». Il faut accompagner les Français dans un processus continu d’apprentissage, d’orientation et de reconversion. L’an dernier, nous avons accompagné plus d’un million de demandeurs d’emploi dans un projet de formation. Et ce n’est qu’un début, car la révolution de l’IA bouleverse déjà tous les métiers. Nous travaillons également beaucoup sur l’évolution des métiers existants ; car le préparateur de commandes d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, il utilise des outils numériques, des tablettes, de la planification algorithmique. Même dans des métiers très manuels, la technologie est omniprésente.
F.D. Montaigne disait qu’il vaut mieux « une tête bien faite qu’une tête bien pleine ». L’objectif n’est pas seulement d’apprendre à maîtriser tel ou tel outil, mais de développer la capacité à comprendre, à s’adapter, à apprendre en continu. Former à la nouveauté, ce n’est pas apprendre à la redouter, mais à l’appréhender. C’est ce qui rend les salariés plus efficaces, plus confiants, et plus performants. Chez Amazon, cela fait plus de quinze ans que nous utilisons l’IA dans nos centres de distribution. Elle nous permet de réduire les charges physiques, d’optimiser les déplacements, de gagner en rapidité et en sécurité. Notre rôle est de préparer les salariés à comprendre et à utiliser ces outils, plutôt que de les former à un usage figé. Et si demain ces technologies changent, nous devrons simplement recommencer à former différemment.
Contrairement à Google ou Microsoft, centrés sur les formations en ligne, Amazon agit sur toute la chaîne de la formation : orientation, apprentissage, reconversion, enseignement supérieur, certification… À terme, est-ce que la formation professionnelle doit devenir un bien commun géré conjointement par l’État, les entreprises et les citoyens – ou rester sous pilotage public ?
F.D. Vous connaissez sans doute la légende du colibri : quand un incendie ravage la forêt, le colibri transporte des gouttes d’eau dans son bec pendant que les autres animaux fuient. On lui dit que c’est inutile, mais il répond : « Je fais ma part. » C’est exactement notre philosophie. Nous ne prétendons pas remplacer le service public, mais contribuer à notre échelle, en apportant des outils, des formations et des opportunités concrètes.
T.G. Amazon fait effectivement « sa part », mais à une échelle qui devient significative. Depuis le début de l’année, 2 610 embauches en CDI ont été réalisées avec Amazon, dans le cadre de nos programmes conjoints. Et depuis la crise du Covid-19, l’entreprise a accéléré son engagement sur des publics très variés : jeunes, personnes en situation de handicap, bénéficiaires du RSA… Quand les grandes entreprises s’engagent, les effets sont visibles à l’échelle macroéconomique.
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2025-10-07 15:57:00
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