Selon Laurent Alexandre et Olivier Babeau, l’intelligence artificielle n’est pas une innovation de plus, mais un « changement civilisationnel ». Elle va rebattre les cartes du savoir et de la formation. C’est la thèse dérangeante de leur nouveau livre au titre provocateur, qui paraîtra le 16 octobre : « Ne faites plus d’études » (Buchet-Chastel). Comment apprendre à l’ère de l’IA ? Quels seront les bons CV. ? Les (futurs) étudiants et les managers trouveront dans leur ouvrage une foule de conseils. En voici une sélection.
Face au tsunami de l’IA, qui sera protégé le plus longtemps ?
Dans un monde où l’IA est capable de coder, de diagnostiquer, d’enseigner, de conseiller, de créer des images et même de composer de la musique, la question n’est plus de savoir qui sera challengé, mais quand. Tous les métiers seront touchés. Mais certains résisteront plus longtemps. Non pas parce qu’ils sont complexes ou prestigieux, mais parce qu’ils relèvent d’un type d’intelligence que la machine peine à simuler : l’intelligence incarnée, émotionnelle, relationnelle. Voici les principales catégories de professions qui resteront, un peu plus longtemps que les autres, à l’abri du tsunami.
Les métiers de la main. Dans un monde dématérialisé, les métiers manuels retrouvent paradoxalement une valeur : réparer un moteur, poser du carrelage, ajuster une menuiserie, soigner une vigne, souder une structure, cuisiner pour de vrai. Cela reste (encore) hors de portée d’une IA, avant l’arrivée des robots intelligents. L’artisanat est un luxe d’avenir. La main humaine reste aujourd’hui le meilleur robot généraliste. On peut confier à une IA le schéma d’une charpente ; pas encore son exécution sur un toit penché par vent fort. La machine finira par faire tout cela, mais en attendant ces métiers sont protégés quelques années de plus.
Les métiers du soin et du lien. Changer une couche, prendre une main, réconforter une personne âgée, désamorcer une crise d’angoisse, aucune IA ne peut réellement s’y substituer. Car dans certains métiers, ce qui compte autant que le geste lui-même, c’est la présence humaine, chose que l’IA, aussi forte soit-elle, ne peut remplacer : aides-soignants, auxiliaires de vie, psychologues, sages-femmes, éducateurs spécialisés. Bien que mal payés, ils apparaissent comme les plus résistants à la vague technologique. L’humain qui soigne un autre humain reste irremplaçable, même si l’IA l’assiste. On peut aussi associer les activités liées à la proximité humaine : les métiers de l’accueil, de l’hospitalité, de la médiation comme serveurs, concierges, animateurs, coachs, médiateurs culturels. On n’achète pas seulement une prestation, on partage une expérience humaine.
Votre vrai CV, ce sont les traces que vous laissez de votre travail
Attendre passivement qu’un programme académique vous prépare au monde réel est devenu une stratégie perdante. Les cursus sont souvent trop longs, trop généraux, déconnectés des besoins concrets du marché. Les besoins évoluent trop vite. Il faut donc inverser la logique : partez de ce que vous voulez accomplir, identifiez les compétences nécessaires et construisez vous-même votre parcours. Soyez l’architecte de votre apprentissage. Avec l’aide de l’IA bien sûr. La bonne question n’est plus : « Quelle école dois-je intégrer ? » mais « Quelle compétence dois-je maîtriser pour atteindre mon objectif ? » Le diplôme était un signal résumant un ensemble de compétences. Comment donner ce signal sans le truchement du diplôme ? D’abord des formes de validation de compétences vont émerger en plus grand nombre. Elles demanderont à être mises à jour régulièrement, ce qui implique que les formations qui les délivrent soient courtes et facilement accessibles. Probablement en ligne pour l’essentiel.
Mais rien ne marchera mieux que la preuve de compétence. Cela implique de trouver un moyen de prouver que vous savez faire. C’est ainsi que vous bâtirez votre crédibilité. Car dans un monde saturé de titres, c’est la preuve d’action qui fait autorité.
On n’apprend pas à nager en lisant des manuels. Pourtant, le système éducatif persiste à faire croire que l’accumulation théorique suffit à former des individus compétents. C’est faux. Dans un monde où tout s’accélère, où les outils évoluent chaque mois, seule la pratique vous enracine vraiment dans le savoir. Créer, tester, publier : voilà la trilogie du jeune au XXIe siècle. Il ne s’agit plus de simplement « comprendre », mais de faire. Vous voulez apprendre à coder ? Lancez un site. À écrire ? Publiez une newsletter. À filmer ? Montez une vidéo et postez-la. L’échec ne sera pas sanctionné, il sera instructif. Le progrès ne viendra pas d’une note, mais du feedback du réel. On ne connaît bien que ce qu’on partage. Cette logique pragmatique renverse l’ancienne hiérarchie scolaire : vous n’êtes plus noté par un professeur, mais validé par le monde. Un projet tangible vaut plus qu’un cours suivi. Un prototype, même bancal, a plus de valeur qu’un QCM réussi. L’apprentissage devient un jeu d’essais et d’erreurs. Et c’est précisément cela qui le rend vivant.
Aujourd’hui, ce que vous montrez vaut mille fois plus que ce que vous déclarez avoir appris. La compétence est devenue observable. Elle s’évalue dans les actes. Un profil GitHub actif, un portfolio sur Behance, une chaîne YouTube où vous expliquez ce que vous comprenez, un cours publié sur Udemy ou un blog technique bien tenu, tout cela a plus de poids qu’un diplôme signé d’un doyen.
Nous sommes entrés dans l’ère des preuves de travail (proofs of work). Les micro-certifications, les badges de compétence, les projets open source, les newsletters thématiques, les démonstrateurs IA, les vidéos tutorielles sont les nouveaux signaux faibles de la valeur. Ils parlent pour vous. Ils ne disent pas seulement que vous avez appris : ils montrent que vous savez faire.
Ce changement est radical. Il inverse la logique. Autrefois, on accumulait des lignes sur un CV en espérant qu’un recruteur nous accorde quinze minutes. Aujourd’hui, on publie et on partage. Et ce sont les opportunités qui viennent à nous. La compétence ne se proclame plus. Elle s’expose.
Votre vrai CV, le seul qui importe, ce sont les traces que vous laissez de votre travail qu’une simple recherche sur Internet permettra de lister. Cela exige un changement de posture : l’exposition volontaire. Il ne suffit plus de travailler bien dans l’ombre : il faut oser tester ses idées devant un public. C’est inconfortable, parfois humiliant. Mais c’est le prix du vrai signal. La honte d’échouer en public vaut mieux que le confort de réussir à huis clos. Le ridicule temporaire est plus formateur que l’anonymat permanent.
Autrement dit : le bon étudiant de demain n’est pas celui qui accumule les notes, mais celui qui laisse des traces. Des traces visibles. Cherchables. Partageables. Vous codez ? Montrez vos projets sur GitHub. Vous analysez des données ? Publiez vos notebooks sur Kaggle. Vous comprenez des sujets complexes ? Écrivez-les sur Substack. Vous créez ? Exposez sur Behance. Vous apprenez ? Enseignez. Développez une chaîne, animez un podcast, rédigez une lettre hebdomadaire.
Dans un monde saturé d’IA et de diplômes standardisés, le seul moyen de se signaler, c’est d’assumer une production singulière. De montrer ce que vous êtes capable de produire dans le réel. Le diplôme est une promesse. Le portfolio est une preuve. Et il n’est jamais trop tôt pour commencer. L’étudiant qui construit son identité numérique dès maintenant s’ouvre un champ d’opportunités qu’aucun diplôme ne pourra jamais garantir.
Faites de l’heure de lecture l’équivalent de vos 10 000 pas par jour
Le XXIe siècle appartient aux esprits curieux, agiles, insatiables. Désormais, l’apprentissage n’est plus un escalier qu’on gravit une fois pour toutes, mais un tapis roulant qui ne s’arrête jamais. Si vous restez immobile, vous reculez.
Cela peut sembler épuisant. En réalité, c’est une immense liberté : vous pouvez apprendre ce que vous voulez, quand vous voulez, à votre rythme. Plus besoin d’attendre qu’un professeur décide que vous êtes prêt. Pas besoin non plus d’attendre l’heure du cours. La connaissance est déjà partout, en libre accès, pour peu que vous sachiez la chercher et l’intégrer. Il ne s’agit pas de collectionner les savoirs, mais d’en faire un mode de vie. Lire, écouter, expérimenter : c’est un réflexe quotidien, une hygiène mentale. Ce n’est pas non plus une errance au hasard, même si la sérendipité (la découverte au hasard) est essentielle. Il s’agirait plutôt d’une navigation délibérée autour de directions que vous choisissez, tout en vous réservant la possibilité de sauts de côté.
La revanche des autodidactes n’est pas une invitation à l’ignorance. Ce n’est pas une apologie du décrochage, c’est une redéfinition du savoir utile. Il ne s’agit pas de ne rien apprendre, mais de savoir quoi apprendre et comment. Il vous faut une curiosité insatiable : lisez, testez, explorez, recommencez. L’ennui aussi est fécond, car il libère les forces de la créativité. Ne craignez pas le silence, les blancs. Luttez au contraire contre le vacarme qui entoure et le défilement ininterrompu des images qui distrait.
Pour apprendre, on n’a rien trouvé de mieux que les livres. Bien sûr on n’y apprend pas tout. Mais dans la plupart des cas, les livres bâtiront la fondation du château de votre connaissance. Lisez. Sur papier ou tablette. Dans le silence. Par tranches d’au moins trente minutes. Une heure de lecture sérieuse par jour. Telle est l’hygiène mentale à laquelle nous devrions tous nous astreindre. Un point de passage aussi obligé que l’activité physique.
Faites de l’heure de lecture l’équivalent de vos 10 000 pas par jour. Votre règle de vie. La lecture est comme le brossage de dents : une fois ne sert à rien. Les bénéfices n’apparaissent que dans la répétition. Cela ne demande ni génie, ni diplôme, ni argent. Seulement de la constance. L’étudiant du XXIe siècle ne se définit pas par son âge ou son statut, mais par son état d’esprit : apprendre n’est plus un passage, c’est une posture.
Apprenez l’Histoire
Il faut aussi acquérir une connaissance du passé. Il faut connaître l’histoire des faits bien sûr, mais également celle des idées, des civilisations, des cultures, des sciences, des arts… À travers elle, nous désignons en fait cette « culture générale » aux contours si larges et insaisissables qu’elle peut parfois décourager. Son contenu s’éclaire si l’on précise qu’elle est essentiellement une connaissance de ce que l’humanité a pu penser, faire, découvrir et produire au long des millénaires. La culture générale, selon le mot du général de Gaulle, est « la véritable école du commandement ». Elle est aussi la matrice de l’esprit critique. Car pour exercer son discernement, il faut pouvoir comparer, relativiser, replacer les affirmations dans un contexte plus large, voir d’où viennent les idées, à quels autres systèmes de pensée elles se rattachent, quelles erreurs ou tragédies elles ont pu engendrer dans le passé. Sans cette mémoire du monde, l’esprit devient perméable à toutes les séductions intellectuelles, à toutes les facilités idéologiques, à toutes les fausses évidences que produit abondamment notre époque. Or l’Intelligence Artificielle, parce qu’elle donne des réponses fluides, convaincantes, bien présentées, tend à court-circuiter cette exigence de recul. Elle propose un savoir prêt-à-penser, sans origine, sans contexte, sans filiation. Séduisant mais parfois trompeur. Face à elle, il ne suffit pas de douter ; il faut savoir pourquoi douter. Il faut reconnaître l’imposture, détecter le biais, sentir l’absurde ou le dangereux derrière la belle tournure. Et pour cela, rien ne remplace cette épaisseur mentale que donne la fréquentation exigeante des œuvres, des débats, des courants, des grandes controverses. La culture générale n’est donc pas un luxe, ni un ornement. C’est une armure intellectuelle. C’est ce qui empêche de se faire manipuler par des discours brillants mais creux, des raisonnements spécieux, des modèles opaques. À l’heure où l’IA peut simuler la sagesse, le savoir et même l’émotion, notre seule défense sera d’avoir véritablement pensé.
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Author : Sébastien Le Fol
Publish date : 2025-10-11 10:00:00
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