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Semi-conducteurs, le dilemme taïwanais : céder ses puces ou perdre son bouclier face à Xi Jinping

Semi-conducteurs, le dilemme taïwanais : céder ses puces ou perdre son bouclier face à Xi Jinping

L’idée a donné des sueurs froides à plus d’un dirigeant. Au micro de la chaîne NewsStation, fin septembre, Howard Lutnik, le secrétaire au commerce des États-Unis, explique avoir offert un deal à ses homologues taïwanais. « Mon objectif, et celui de cette administration, est de rapatrier une grosse partie de la fabrication de puces – nous devons faire nos propres puces. L’idée que j’ai proposée à Taïwan, c’est : faisons du 50-50. On en produit la moitié, vous en produisez la moitié ». Un séisme pour l’île qui fabrique actuellement 95 % des puces américaines, dont celles dessinées par Apple et Nvidia.

La réponse de Taïwan ne s’est pas fait attendre : pas question de délocaliser une part si importante de la production. La vice-première ministre Cheng Li-chiun, chargée des négociations avec Washington sur les droits de douane, a précisé : « Il n’y a pas eu de discussion sur ce sujet pendant les dernières négociations, et nous n’accepterions jamais ce genre de conditions ».

L’obsession de Donald Trump pour les puces

Si le deal n’a pas abouti, la situation rappelle, encore une fois, l’obsession de Donald Trump pour les puces. Ces microprocesseurs sont dans tous nos appareils électroniques, de la machine à café aux voitures en passant par les smartphones et les data centers. Ils représentent une manne – la capitalisation de Nvidia s’établit désormais à 4 500 milliards de dollars. Mais les modèles les plus avancés sont, pour l’heure, tous fabriqués à Taïwan.

En février, Donald Trump avait déjà accusé l’île d’avoir « volé l’industrie » des puces aux Américains et entraîné la chute d’Intel. Depuis, le milliardaire continue de faire pression sur Taïwan agitant des droits de douane de 20 %. Avec un certain succès : TSMC, numéro un mondial du secteur et fierté de l’île, a annoncé la construction de plusieurs usines en Arizona et des investissements de 100 milliards de dollars. Washington paraît toutefois décidé à obtenir davantage. Rapatrier la moitié de la production des fonderies taïwanaises sur le sol américain est pourtant une tâche quasi impossible.

La relocalisation des fonderies aux États-Unis

Les semi-conducteurs sont une industrie complexe et de haute précision. Les employés doivent être formés de manière rigoureuse afin d’opérer les machines. Même dans l’usine américaine de TSMC, la moitié des employés restent taïwanais, car « il faut un niveau de technicité que [les Américains] n’ont pas », expliquait il y a quelques mois dans nos colonnes Philippe Notton, le cofondateur de SiPearl, une entreprise française spécialisée dans les puces pour supercalculateurs. Le rythme soutenu de production et les longues heures de travail rebutent également bon nombre de potentiels candidats.

Enfin, la production de puces repose sur une longue chaîne d’approvisionnement, avec de nombreux sous-traitants spécialisés dans des domaines variés, notamment la chimie. Or, cette chaîne d’approvisionnement s’est installée depuis les années 1980 à Taïwan, au plus proche des fonderies. En amont de la production, on trouve aussi de nombreuses sociétés spécialisées dans la fourniture des matériaux nécessaires aux puces, comme les « fils d’or et cadres de support, les substrats de circuits intégrés, matériaux de moulage et de remplissage, et les pâtes à braser à base d’étain-plomb », note un rapport signé par le représentant de Taïwan à Singapour.

En aval, Taïwan est leader dans le secteur du packaging et du testing des puces, avec 58,6 % de part de marché, et accueille 6 des 10 plus gros sous-traitants mondiaux en termes de chiffre d’affaires. Une intégration de la chaîne d’approvisionnements inégalée, et qui n’a pas d’équivalent aux États-Unis : en 2022, la production américaine de tranches de silicium, ces plaques sur lesquelles sont gravés les circuits des puces, ne représentait que 6 % du marché mondial. Une étude de McKinsey publiée en mars 2025 indiquait ainsi qu’environ « 60 % des matériaux et produits chimiques nécessaires à la fabrication de semi-conducteurs ne disposent pas d’une offre nationale suffisante pour accompagner l’augmentation de la production américaine ». Des investissements de plusieurs milliards de dollars, sur plusieurs années, seraient nécessaires pour changer la situation.

La fin du « silicon shield » taïwanais ?

Enfin, la relocalisation aux États-Unis de 50 % de la production de TSMC pour ses clients américains est un potentiel danger pour Taïwan. L’île, indépendante de facto depuis 1949 et la fin de la guerre civile chinoise, est revendiquée par Pékin. Le régime communiste montre de plus en plus d’agressivité à son égard, et n’hésite pas à conduire des opérations militaires au plus près de ses côtes.

Face à son voisin et à son armée forte de plus de 2 millions de soldats, Taïwan muscle sa défense, mais sa meilleure protection reste l’industrie des semi-conducteurs. Grâce à son monopole dans la fabrication des puces les plus fines et les plus puissantes, Taïwan jouit d’un « silicon shield », un bouclier de silicium : elle est trop importante pour que les États-Unis ne laissent une guerre sur son territoire perturber la production des précieuses puces. D’autant plus qu’une défaite ferait passer les fonderies de TSMC sous contrôle chinois. Une étude de Bloomberg de janvier 2024 estime que l’interruption de la production des puces à Taïwan pourrait causer la perte de 10 000 milliards de dollars, soit 10 % du PIB mondial, avec des risques de récession économique.

Ce scénario catastrophe et le « silicon shield » ont jusqu’ici repoussé la menace d’un conflit. Mais la construction d’une fonderie en Arizona et les annonces d’investissements massifs de TSMC aux États-Unis ont ébranlé l’île. Tout comme la proposition d’Howard Lutnik de délocaliser une partie très importante de la production des puces.

Pour l’instant, le refus de Taïwan de céder une partie de la production est clair. Mais la pression de Washington est forte. Lors de son interview, Howard Lutnik a laissé entendre que les États-Unis seraient moins enclins à voler au secours des Taïwanais en cas de guerre si la production n’était pas délocalisée. « Si vous détenez 95 % de la production, comment voulez-vous que je m’en serve pour vous protéger ? », a-t-il asséné, faisant référence aux puces nécessaires aux missiles et aux équipements militaires. Un plan 5O-50 « permettrait aux États-Unis de faire ce que nous avons à faire, si nous avons à le faire ». Une conclusion rassurante en apparence uniquement.



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Author : Aurore Gayte

Publish date : 2025-10-11 06:45:00

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