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Dissolution : pourquoi Emmanuel Macron en parle désormais officiellement

Dissolution : pourquoi Emmanuel Macron en parle désormais officiellement

La phrase est prononcée par Emmanuel Macron en conseil des ministres, mardi 14 octobre, mais l’Elysée va lui donner un statut officiel en demandant à la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, de la rapporter lors du compte rendu qui suit : « Les motions de censure sont des motions de dissolution. » « Ces mots seraient sortis quoi qu’il arrive, autant le faire proprement en donnant l’imprimatur », confie un conseiller du chef de l’Etat.

C’est une première dans l’histoire de la Ve République. Les présidents parlent généralement de dissolutions de l’Assemblée nationale pour les annoncer, solennellement, dans une allocution télévisée à 20 heures. Mais ce ne sont pas eux qui avertissent avant le jour J : c’est habituellement de Matignon, du parti présidentiel ou de conseillers officieux que vient la menace. Voire de fuites organisées. Après les législatives de 2022 qui lui ont fait perdre la majorité absolue, Emmanuel Macron fait passer le message par ses conseillers ou ses proches : si le gouvernement tombe à l’Assemblée, il n’en nommera pas un autre, comme la Constitution le lui permet, mais il dissoudra.

Jacques Chirac à la manoeuvre

En septembre 1996, le président de la République – il s’appelle alors Jacques Chirac – est à la manœuvre, là encore seulement en coulisses. Les grèves de l’hiver 1995 ont refroidi le climat, le Premier ministre Alain Juppé est de plus en plus contesté par les siens quand s’ouvrent les journées parlementaires de son parti, le RPR, au Havre. Le chef de l’Etat appelle Michel Péricard, président du groupe à l’Assemblée nationale, pour lui faire part de son « indignation devant les écarts de langage de certains ». A la tribune, le député indique : « Jacques Chirac m’a dit qu’on ne peut pas à la fois se réclamer de lui et dire qu’on ne soutient pas la politique du gouvernement ». Michel Péricard ne raconte pas tout, il garde pour lui ce que lui a aussi glissé le président au téléphone : si l’ordre ne revenait pas, il n’hésiterait pas à dissoudre.

Avant lui, le général de Gaulle ne dit mot de la dissolution qu’il prononce quand l’Assemblée nationale renverse le gouvernement de Georges Pompidou, en 1962. De même qu’il en annonce une autre sans avoir prévenu, le 30 mai 1968.

La dissolution : y penser toujours, en parler vraiment ? En août, Emmanuel Macron affirmait dans Paris Match que « non », il n’avait pas l’intention de dissoudre, en tout cas que tel n’était pas son souhait. Le propos avait surpris. Car en juin, au moment même où il retrouvait la faculté de dissoudre l’Assemblée nationale (dont il était privé pendant l’année suivant la dissolution de 2024), il affirmait qu’il n’était pas dans « [son] habitude de [se] priver d’un pouvoir constitutionnel ».

Cette fois, Emmanuel Macron, confronté à une crise exceptionnelle, va donc plus loin que tous ses prédécesseurs et plus loin qu’il n’est jamais allé. C’est déjà au nom de l’article 12 de la Constitution, qui lui confère, et à lui seul, le pouvoir de renvoyer les députés devant les électeurs, qu’il convoque nuitamment, dans la nuit du 9 au 10 octobre, les chefs de parti et les présidents de groupe à l’Assemblée qui sont contre la dissolution à une réunion le lendemain à l’Elysée. « Cela a l’inconvénient de le remettre en première ligne », concède un proche. Mais c’est un moyen d’agiter la fameuse arme de manière quasi explicite.

C’est aussi ce qui se passe dans les échanges entre l’exécutif et LR, avec la tentation de jouer les députés contre le parti. Le dimanche 12 octobre, un émissaire de l’Elysée appelle un proche de Bruno Retailleau : est-on certain que le RN ne va pas s’arranger en sous-main avec des députés LR pour provoquer la censure ? « Si le gouvernement tombe, le président dissout et LR aura tout perdu », prévient l’émissaire.

Mardi, Emmanuel Macron dit donc le mot de manière tout à fait officielle. Comme s’il voulait rester au centre du jeu et montrer qu’il demeure le maître des horloges : non, tout ne se passe pas entre le Premier ministre Sébastien Lecornu et les députés. Ce faisant, il sort de ce que le juriste Denys de Béchillon appelle « l’ambiguïté stratégique, concept utilisé par Israël avec la bombe atomique, ou par les Etats-Unis à propos de leur attitude si la Chine envahissait Taïwan ». C’est bien connu, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment.

« Jusqu’à présent, la dissolution était évoquée pour ramener les siens sur le bon chemin, relève un parlementaire aguerri. Là, la menace vise le PS et LR. Mais plus vous l’agitez, plus vous pouvez donner envie à des députés, par exemple à ceux qui veulent prendre la tangente pour se présenter aux municipales, de voter la censure. Cela démontre une méconnaissance crasse du parlement à l’Elysée. Est-il vraiment utile de remettre de la pression dans le tube alors qu’on est en train de négocier ? »

Le dernier grand chantage présidentiel remonte loin. C’était de Gaulle, et il ne parlait pas de la dissolution mais de sa propre tête : moi ou le chaos. Il arrive que les Français prennent leur président au mot.



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-10-15 16:05:00

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