C’est la goutte de trop dans l’océan des petits colis. Ce 15 octobre, La Poste a signé un accord avec le géant chinois du commerce en ligne Temu, encadrant leur collaboration logistique. En apprenant la nouvelle, Antoine Vermorel-Marques a vu rouge, lui qui alerte depuis plusieurs années sur l’afflux de produits chinois à bas coût et ses conséquences sur la compétitivité européenne. Récemment, ce député LR de la cinquième circonscription de la Loire est tombé des nues en découvrant une subtilité technique : la Chine bénéficie d’un avantage sur ses envois postaux, hérité d’un complexe mécanisme international.
Ce système, dit des « frais terminaux », définit le niveau de la rémunération payée par le service postal du pays d’origine à celui du pays de destination pour assurer la livraison des colis sur les derniers kilomètres. Avec l’objectif de garantir des tarifs abordables aux pays moins développés en vue de faciliter leur accès aux marchés mondiaux.
Pour comprendre, il faut se rendre en Suisse, à Berne. Au détour du parc Kleine Schanze, un monument passe difficilement inaperçu : un globe entouré de cinq messagers transmettant une lettre. Cette statue est le symbole de l’Union Postale Universelle (UPU) – une organisation internationale créée en 1874 et aujourd’hui sous l’égide des Nations Unies. Quelque 250 employés travaillent à son siège, avec un budget de 75 millions de francs suisses. Son mandat ? Assurer le fonctionnement du réseau postal mondial et fixer les règles encadrant les échanges postaux. Celle des frais terminaux date de 1969.
Mais la classification des pays n’est introduite que dans les années 2000. Dans la catégorie 3 – éligible à des frais préférentiels – on trouve le Gabon, la Biélorussie… mais aussi la Chine. Pékin n’est donc pas le seul à bénéficier de ce système, mais sa présence au sein de ce groupe interroge. Avec l’essor du commerce en ligne, la deuxième économie mondiale inonde le monde entier de ses exportations. Le tout à des tarifs postaux plus bas que de nombreux pays.
Colère américaine
Cet avantage serait sans doute resté dans l’ombre si une crise n’avait pas secoué l’UPU. La controverse remonte à 2015, lorsque le vice-président d’Amazon Paul Misener tire la sonnette d’alarme : livrer un colis de 100 g à Fairfax, en Virginie, coûterait au moins 1,94 dollar à une petite entreprise de Caroline du Nord, contre 1,12 dollar pour une entreprise basée à Shanghai, témoigne-t-il à une audition au Congrès. Le service postal américain, l’USPS, a payé cette anomalie au prix fort. Selon un rapport gouvernemental, ses pertes sur le courrier international entrant ont doublé entre 2012 et 2016, les frais terminaux payés par certains pays — essentiellement la Chine — ne couvrant pas le coût réel de livraison des petits colis.
Le sujet arrive jusqu’au bureau Ovale. En 2018, Donald Trump décide de taper du poing sur la table et menace de se retirer de l’UPU si les Etats-Unis ne sont pas autorisés à fixer leurs conditions. A Berne, c’est la panique. Un deal est trouvé in extremis : à titre exceptionnel, l’organisation concède aux Etats-Unis davantage de flexibilité. C’est le mécanisme de l’auto-déclaration. En contrepartie, Washington s’engage à verser la somme de 40 millions de francs suisses à l’UPU.
Une réforme plus large est entamée en 2019, permettant progressivement aux autres membres d’augmenter leurs tarifs. Le plafond est néanmoins fixé, en moyenne dans le monde, à 70 % de leurs coûts de livraison domestique, puisque ces frais terminaux n’incluent pas les coûts de collecte. La classification des pays est, elle aussi, revue : les catégories sont désormais numérotées en chiffres romains. Les pays « en transition » relèvent à présent du groupe IV, tandis que la Chine figure en catégorie III.
En pratique, même si l’écart s’est réduit, la poste chinoise continue de payer des frais terminaux inférieurs à ceux des groupes I et II, confirme l’UPU à L’Express. Mais pourquoi ne pas avoir révisé plus tôt ces règles devenues obsolètes ? « Une fois que l’on introduit une catégorisation au sein des Nations Unies, il est extrêmement difficile de la changer en quelques années », soupire Jose Anson, un des économistes de l’UPU qui a été chargé de la classification des pays.
Opacité et distorsions
L’Europe serait bien inspirée de prendre exemple sur les Etats-Unis. En 2024, elle a reçu plus de quatre milliards de petits colis, dont la majorité provenait de Chine. « Certes, on parle de quelques centimes sur les frais terminaux, mais rien ne justifie de subventionner ces importations, s’indigne Antoine Vermorel-Marques. C’est symptomatique du malaise européen : on se laisse complètement faire alors que les Etats-Unis décident d’agir ».
Sommet d’opacité dans ce micmac : l’UPU refuse de communiquer les frais terminaux en vigueur, plaidant la confidentialité. Les spécialistes parviennent toutefois à faire des estimations, leur analyse variant selon le poids du colis concerné. « En France, quelques poches de compétitivité subsistent sur les colis inférieurs à 500 g, notamment lorsque les plateformes de commerce en ligne compensent une partie du coût d’acheminement depuis la Chine, explique Pierre Rahmé, cofondateur de l’entreprise d’import-export DocShipper, basée à Hong Kong. Mais l’équation change à partir de 1 kilo, lorsque le coût réel d’envoi depuis la Chine devient supérieur à un Colissimo ou un Mondial Relay local ».
La tarification diffère aussi selon les pays. « Pour un colis de 273 grammes – soit le poids d’un article type vendu en ligne et envoyé par voie postale – la France applique des frais inférieurs d’environ 18 % au seuil de 70 % des tarifs locaux en 2025, observe Jim Campbell, consultant international sur les questions postales. En Allemagne, en revanche, les frais terminaux sont supérieurs à ce seuil pour la plupart des articles. »
Par ailleurs, malgré la réforme, le dispositif crée toujours une distorsion de concurrence : les opérateurs privés non désignés dans le cadre de l’UPU sont exclus du champ d’application des frais terminaux. « Dans un marché normal, les entreprises privées seraient en concurrence avec la poste chinoise pour collecter les marchandises et les acheminer vers la France à des tarifs compétitifs, explique Jim Campbell. Elles tenteraient ensuite de conclure un accord avantageux avec La Poste et, finalement, le consommateur serait le grand gagnant. Avec le système actuel, les bureaux de poste restreignent la concurrence ouverte ».
Cela dit, les frais terminaux ne sont plus au centre du jeu. « Le canal postal devient moins compétitif puisque les géants chinois du commerce en ligne sont de plus en plus nombreux à opter pour le transport par fret, négociant ensuite un tarif préférentiel avec la poste locale », détaille Antonia Niederprüm, responsable du département de la logistique de l’institut allemand d’infrastructure WIK. Ils contournent ainsi le dispositif de l’UPU.
Lente transition
Cette fragmentation liée au commerce en ligne figurait d’ailleurs à l’agenda du dernier congrès de l’UPU à Dubaï, en septembre. Concernant les frais terminaux, le calendrier prévu par la réforme semble néanmoins prendre du retard. « Hors Etats-Unis, les pays étaient censés passer au seuil des 70 % entre 2021 et 2025, mais nous n’y sommes pas encore, constate Jim Campbell. L’avantage de la Chine s’est certes réduit depuis 2019, mais il persiste. Et à partir de 2026, on assistera à une sorte de transition dans la transition ». L’UPU assure que ses membres pourront augmenter leurs frais de 10 % par an à partir de 2027. « Trop peu, trop tard », comme disent les Anglais ? « Chaque jour qui passe dans ces conditions est un jour de trop où nous perdons en compétitivité, déplore Laure Brunet-Ruinart, déléguée générale de la confédération des commerçants de France. C’est une brique supplémentaire à la concurrence déloyale de la Chine ».
Source link : https://www.lexpress.fr/economie/politique-economique/petits-colis-cette-regle-incongrue-qui-avantage-la-chine-sur-ses-frais-postaux-I2XERSXWPJAFPKKEDZIPL6W3WY/
Author : Tatiana Serova
Publish date : 2025-10-19 06:15:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
