Il faudra peut-être songer à interdire aux cinéastes américains de tourner en France, ou seulement des films de guerre, sur la plage de Dunkerque. Ils ont trop d’argent, trop de bons techniciens, ils savent trop comment faire des films pour rendre justice à ce que nous sommes, à l’endroit où nous vivons, où nous avons grandi. Ils placent trop de bagnoles d’époque dans le décor ; on n’en avait pas autant, en 1960, du moins pas aussi propres et bien garées le long du trottoir.
Là, dans Nouvelle vague, on sent que Richard Linklater a passé trop de temps à chercher des sosies de Belmondo, Chabrol, Truffaut, Rohmer, Bresson… pour interpréter Belmondo, Chabrol… Il aurait mieux fait de se prendre lui-même pour Godard, en essayant d’inventer des trucs, de chercher cette putain de vérité des êtres, là où le cinéma de papa la fige, la banalise sous des conventions exaspérantes.
Une nomenklatura en rang d’oignon
Il commence mal, avec cette nomenklatura en rang d’oignon, comme au XXIe congrès de la Nouvelle vague. Seule Zoey Deutch échappe au cahier des charges, c’est le petit bonheur du film, l’actrice américaine ne marche pas dans la combine de la reconstitution, elle échappe au jeu des sept ressemblances avec Jean Seberg, elle est comme elle est, détestant ostensiblement le film qu’elle est en train de tourner. Rebelle jusqu’au bout, elle rate son « C’est quoi déguolasse ? » que toute la salle s’attendait à la voir franchir avec plus d’émotion. On se reconnaît dans celle qui n’est pas entrée dans la peau du rôle, nous non plus dans celui de midinette cinéphilique.
Les autres acteurs ont accepté d’enfiler leur déguisement de farces et attrapes, ça gratte, ça n’a pas la bonne taille, ils transpirent à l’intérieur. Godard chuinte, Bébel fait de la boxe, Melville a un grand chapeau et une voix grave, Cocteau ouvre le bal des aphorismes : « Souvenez-vous que l’art n’est pas un passe-temps, mais un sacerdoce ». Des comme ça, il va falloir en supporter un certain nombre, Linklater ayant basé son scénario là-dessus.
Ses dialogues semblent extraits d’un quiz intello. A chaque scène sa sentence sentencieuse. Pour le meilleur avec Jean-Paul Sartre : « Le génie n’est pas un don, mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés ». Mais aussi pour le pire : « Le cinéma c’est un art révolutionnaire, c’est la sensation du mouvement ». Ou encore : « On est toujours seul, sur un tournage comme devant la page blanche. Etre seul, ça veut dire se poser des questions, et faire des films, ça veut dire y répondre » ; « Voir des films me délivre de la terreur de l’écriture. Mais attention, voir des films, ne doit pas délivrer de la terreur de les faire ». N’en mettez plus, la cour est pleine. Ces adages limite moralisateurs ne seraient que lassants s’ils n’étaient pas en plus anachroniques. Linklater aura pioché les meilleurs dans un lot de citations fournies par Claude IA, sans se soucier de l’épaisseur des soixante ans de vie que Godard a vécu après A bout de souffle.
Un vieux phraseur ramenard
Du cinéaste le plus insatisfait de son temps, Linklater en fait un vieux phraseur ramenard, misanthrope achevé, et futile. Un Godard de carte postale à envoyer du festival de Cannes. On attend le moment où Guillaume Marbeck, le sosie de Godard, va se révolter pour réclamer un peu de véracité, de liberté, de surprise. En vain.
Il est vrai que la plupart des films de Godard se veulent des leçons de cinéma. Mais il se les donnait à lui-même en espérant que ça l’aiderait à réaliser le film de sa vie. Au fil de ses films, ses maladresses revendiquées coups de génie sont devenues des trucs, puis des tics, il a cessé d’offrir le récit touchant du type qui voudrait arrêter de se prendre pour un grand cinéaste et juste faire de grands films. Le chercheur n’a plus trouvé que les affres de son renoncement.
Pourtant, elle ne fut pas vaine, cette vague nouvelle, hein, Paulo ! Encore aujourd’hui, elle est belle quand elle se retire, bouillonne comme l’écume de nos songes.
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Author : Christophe Donner
Publish date : 2025-10-22 04:30:00
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