Dans le spectacle de cirque que la France persiste à offrir à ses voisins, le numéro le plus affligeant restera celui des acteurs politiques qui n’ont cessé de faire de la suspension de la réforme des retraites une question de vie ou de mort. Que ce soit pour ne pas en concéder un iota, ou pour finir par brader un principe qu’ils avaient dit intangible, les uns et les autres se sont distingués, sauf rares exceptions, par leur indifférence aux menaces du monde. Au moment où la souveraineté des Etats de l’Europe dépend de leur capacité à s’unir et à s’armer face à la Russie et au désengagement américain, on aurait pu espérer que la grande bataille politique s’articule autour d’un débat sur l’aide à l’Ukraine, le développement d’une industrie de défense comme nécessité existentielle et facteur de croissance dans l’économie, la contribution de la France au pilier européen de l’Otan. Mais non. L’enjeu d’une possible censure n’est pas de travailler plus pour financer le modèle social français et la capacité de l’Europe à se défendre, mais de ne pas travailler trop.
Entre l’énergie que les artistes de l’Assemblée consacrent à une durée de travail dont l’allongement est une évidence à peu près partout ailleurs, et leur déni de la tempête extérieure qui risque d’emporter tout le chapiteau, le contraste est inquiétant. Quelle image de nous-mêmes renvoie à nos voisins européens ce désir collectif apparemment insurmontable de travailler moins longtemps que chacun d’eux, fussent-ils dirigés par des gouvernements de droite ou de gauche ? Par quelle magie espérons-nous préserver notre Etat social en évacuant la réalité du vieillissement et du déclin démographique, alors que, pour la première fois depuis 1945, le nombre de décès dépasse celui des naissances dans l’Hexagone ? Sa force de frappe indépendante fait de la France une voix influente dans le monde. Son endettement abyssal ajouté à la fragmentation des électeurs, son incapacité au compromis et la perte de toute majorité depuis le pari criminel de la dissolution sont en train de faire de ce grand pays le maillon faible de l’Europe, de moins en moins crédible et de plus en plus inadapté à la stature internationale dont les Français veulent continuer à se croire parés.
C’est bien le soutien à l’Ukraine et la sécurité de l’Europe qui sont en jeu derrière le vote d’un budget et la stabilité provisoire, derrière une éventuelle dissolution et l’élection présidentielle à venir. La France est un élément moteur de la mobilisation face à la guerre hybride menée par Poutine contre l’UE et l’Otan – après avoir beaucoup essayé de ne « pas humilier la Russie » en tentant de négocier avec elle, quitte à se faire donner une leçon d’histoire au bout d’une table de 6 mètres de longueur. Et ce, quoi qu’en disent les alliés du président russe, qui dénoncent contre toute évidence le « bellicisme » de l’UE et de l’Otan. L’initiative d’Emmanuel Macron, du Britannique Keir Starmer et de l’Allemand Friedrich Merz de former avec d’autres une coalition de volontaires pour garantir l’application d’un accord de cessez-le-feu entre Kiev et Moscou institue la naissance d’une identité stratégique de l’Europe, trop tardive mais désormais indispensable, à l’heure où les Etats-Unis amorcent leur repli du Vieux Continent.
Ligne de fracture
En France, la sécurité de l’Europe passe après l’abaissement de l’âge de la retraite. Que la question n’apparaisse même pas dans les accords actuels en dit long sur la déconnexion des politiques face aux défis stratégiques essentiels. La ligne de fracture qui aurait dû être mise sur la table, c’est celle du soutien impératif à l’Ukraine, autour des deux frères en politique étrangère que sont le RN et La France insoumise. Lorsqu’il s’agit de voter les textes visant à maintenir la ligne de la France d’une mobilisation active pour l’Ukraine, les deux extrêmes s’y opposent plus ou moins frontalement – ambiguïté pour l’un, et hostilité pour l’autre – et retrouvent leurs fondamentaux : détestation de l’UE et de l’Alliance atlantique, indulgence envers les autocrates. Avant de confier la formation d’un gouvernement au RN, une considération devrait l’emporter : le peu de garantie que présente pour la sécurité de la France et de l’Europe le parti de Marine Le Pen, qui a maintes fois formulé son admiration pour Vladimir Poutine.
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Author : Marion Van Renterghem
Publish date : 2025-10-23 10:00:00
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