De la lune de miel au divorce. Il y a encore quelques jours, Donald Trump caressait l’espoir de retrouver Vladimir Poutine à Budapest pour discuter de la fin de la guerre en Ukraine. Mais face à l’intransigeance de Moscou, le président américain a fini par se résigner, et a indiqué qu’il refusait de rencontrer le maître du Kremlin « dans un futur immédiat ». Le 22 octobre, le Trésor américain a enfoncé le clou en annonçant de nouvelles sanctions visant deux compagnies pétrolières russes.
Un durcissement inédit de la part de l’administration Trump, mais absolument nécessaire, assure John E. Herbst, directeur au think tank américain Atlantic Council. Pour cet ancien ambassadeur en Ukraine entre 2003 et 2006, Donald Trump doit tirer toutes les leçons des succès de sa diplomatie au Moyen-Orient, qu’il juge « brillante », et exercer une pression diplomatique, militaire et économique bien plus forte sur la Russie : « la seule manière d’obtenir la paix, c’est de convaincre l’agresseur qu’il ne gagnera pas cette guerre ». Entretien.
L’Express : Donald Trump a remporté un succès diplomatique au Moyen-Orient, mais sur la guerre en Ukraine, il patine… comment l’expliquez-vous ?
John E. Herbst : Si Donald Trump veut instaurer une paix durable en Ukraine, comme il le dit, alors il doit s’atteler à changer l’état d’esprit du camp qui refuse cette paix. Tandis que Volodymyr Zelensky a déjà accepté, à ce stade, une demi-douzaine de propositions de Trump pour parvenir à un cessez-le-feu, Poutine, de son côté, les a toutes esquivées. Je dis « esquivé », parce qu’il ne veut évidemment pas donner l’impression de les rejeter et de contrarier Trump. Mais en réalité, il les a rejetés.
Donc la seule manière d’obtenir la paix, c’est de convaincre l’agresseur d’arrêter le combat. Et pour cela, Poutine doit comprendre qu’il ne gagnera pas cette guerre. Trump en a la capacité, à condition qu’il veille à ce que l’Ukraine dispose d’armes avancées pour empêcher Poutine de conquérir davantage de territoire. Trump doit également utiliser toute la puissance économique des États-Unis, de concert avec ses alliés, pour que la guerre soit très coûteuse à l’économie russe. Jusqu’ici, le président américain a soigneusement évité cela. L’annonce des sanctions sur les compagnies pétrolières russes est peut-être un tournant, en tout cas je l’espère. Mais il faudra aller beaucoup plus loin, avec d’autres mesures de ce type, pour que peut-être, dans six, huit, dix mois, Poutine soit contraint à un cessez-le-feu.
Selon moi, la diplomatie de Donald Trump au Moyen-Orient a été brillante
Quelle a été la recette de ce succès, au Moyen-Orient ?
Selon moi, la diplomatie de Donald Trump au Moyen-Orient a été brillante. Cela a commencé dès son premier mandat, lorsqu’il a reconnu la vulnérabilité de certains États clés du Moyen-Orient face à l’Iran, avec les accords d’Abraham, qui ont permis aux Émirats arabes unis et au Bahreïn de normaliser leurs relations avec Israël. Ces accords ont également permis au Maroc d’améliorer ses relations avec l’État hébreu.
Mais l’étape la plus importante, c’est évidemment la fin de la guerre entre Gaza et Israël. Pour en arriver là, il a fait trois choses. Premièrement, il a mobilisé les nouveaux partenaires arabes de l’Amérique pour exercer une certaine pression sur le Hamas. Deuxièmement, il a protégé Israël tout en soutenant son action militaire contre le Hamas. Enfin, il a appuyé la frappe israélienne contre l’Iran, non seulement en soutenant, mais en y participant, ce qui a considérablement affaibli l’Iran, qui est le principal soutien du Hamas et des Houthis, au Yémen.
Le résultat, c’est que le Hamas et ses parrains iraniens se sont retrouvés face à une pression extraordinaire. Parallèlement, Trump a poussé Netanyahou à accepter son plan de paix, qui évoquait la question d’un futur État palestinien – une perspective que Netanyahou n’était pas particulièrement enclin à soutenir. En faisant cela, il a montré qu’il était aussi disposé à s’attaquer à l’intransigeance du côté israélien, et il a envoyé un message positif aux pays arabes.
Ce succès est dû à l’utilisation du pouvoir des États-Unis pour façonner le jeu diplomatique dans la région. Ça n’est évidemment pas parfait, car l’on sait bien que le Hamas va tout faire pour conserver son pouvoir à Gaza, mais tout de même, c’est une vraie avancée. Malheureusement, nous n’avons rien vu de tel sur le front ukrainien, car le président Trump a toujours été réticent à exercer ce type de pression sur la Russie.
Vous expliquez que Donald Trump doit appliquer à la Russie la même pression diplomatique et militaire. Mais le Hamas n’est pas la Russie de Poutine, et le rapport de force n’est pas le même, non ?
C’est exact. Mais je constate que depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont perdu une forme de « mémoire musculaire » : celle de la dissuasion face à une superpuissance agressive. Pourtant, les États-Unis ont su le faire. Toute la logique de la guerre froide consistait à empêcher l’Union soviétique de commettre des actes d’agression susceptibles de menacer gravement les États-Unis, l’Otan, ou nos alliés. À l’époque, nous ne cédions pas à la pression, même lorsqu’un dirigeant soviétique, et Poutine plus tard, frappait du poing sur la table à l’ONU en brandissant la menace nucléaire. En 1962, lorsque les Soviétiques ont installé des missiles à Cuba, John F. Kennedy n’a pas renoncé à agir fermement par crainte d’une escalade nucléaire.
A contrario, lorsque la Russie a lancé son invasion de l’Ukraine, Joe Biden s’est laissé intimider par les menaces nucléaires de Moscou. Ce n’est pas trop le cas de Trump, qui est moins craintif à ce sujet, mais plusieurs membres de son équipe évoquaient souvent le risque d’une guerre nucléaire avec la Russie. Autrement dit, ils tenaient un discours de fermeté, mais leur ton restait empreint de faiblesse, à la manière de Jake Sullivan [NDLR : conseiller à la sécurité nationale sous l’administration Biden]. C’est une ambivalence qui n’a pas totalement disparu des cercles trumpistes, et qui doit expliquer partiellement l’échec de sa diplomatie sur la guerre en Ukraine.
Un autre élément à ne pas négliger, c’est la fascination que Trump a pour Poutine. Il semble obsédé par l’idée d’entretenir de bonnes relations avec lui. C’est un facteur qui n’a rien à voir avec la question nucléaire, mais qui peut brouiller son jugement.
Est-ce que ça n’est pas plus facile pour Trump, vis-à-vis de son électorat, de soutenir Israël que l’Ukraine ?
Je ne pense pas que ce soit un facteur déterminant. Des sondages récents montrent qu’une large majorité d’Américains, environ 65 à 70 %, considèrent que la Russie est l’agresseur, que c’est un adversaire des États-Unis, et qu’il faut apporter à l’Ukraine davantage de soutien. Même parmi les républicains, cette opinion est majoritaire. Donc je ne pense pas que son socle électoral soit ce qui empêche Trump de soutenir davantage l’effort de guerre ukrainien.
D’ailleurs, beaucoup des figures isolationnistes du mouvement Maga se sont opposées à l’aide américaine à Israël, où aux frappes contre l’Iran. Tucker Carlson a critiqué le président sur ce point, tout comme Marjorie Taylor Greene. Mais Trump a répondu très clairement qu’il est le seul décisionnaire dans ce que doit être ou non la politique étrangère du pays. Et au final, il y a eu très peu de réactions négatives, au sein du mouvement Maga, quant à sa politique au Moyen-Orient.
Si Donald Trump souhaite une paix durable, il doit exercer une pression bien plus forte sur Vladimir Poutine
Le bureau de contrôle des avoirs étrangers du Département du Trésor américain a annoncé de nouvelles sanctions sur des compagnies pétrolières russes, « en raison du manque d’engagement sérieux de la Russie en faveur d’un processus de paix visant à mettre fin à la guerre en Ukraine ». Est-ce un bon signe ?
C’est un très bon signe ! Évidemment, c’est une première étape et il faut aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite. Je suis convaincu que Trump souhaite une paix durable, mais s’il veut y parvenir, il doit exercer une pression bien plus forte sur Vladimir Poutine. Sans ça, il n’obtiendra rien de Moscou. Mais je suis globalement plus optimiste que la plupart de mes collègues chercheurs à ce sujet, parce qu’au vu de la situation et de sa volonté d’en finir avec cette guerre, tout conduit Trump à adopter une ligne plus ferme vis-à-vis de la Russie.
Est-ce que vous pensez que ces sanctions forceront Poutine à être plus « raisonnable », comme l’espère Trump ?
Dans l’immédiat, non. Ça n’est pas la première fois que Poutine doit faire face à de lourdes sanctions occidentales. Il pense toujours pouvoir charmer Trump. C’est pour cette raison que l’administration américaine doit maintenir et intensifier cette pression sur les prochains mois. Il faut que cette pression se traduise concrètement par le fait que la Russie ne réalise aucun gain significatif sur le champ de bataille, et que son économie, déjà fragilisée, s’enfonce encore plus. C’est le seul scénario dans lequel Poutine accepterait un cessez-le-feu.
Justement, si l’administration Trump veut renforcer sa pression diplomatique, économique et militaire sur Poutine, que peut-il faire de plus ?
Il est tout à fait envisageable de faire plus. On peut par exemple s’en prendre à la « flotte fantôme » de pétroliers russes. On peut également s’attaquer à certaines grandes institutions financières russes qui, aujourd’hui, échappent aux sanctions. Cela assombrirait considérablement les perspectives économiques de la Russie. Les États-Unis doivent utiliser leur influence pour convaincre des pays du G7 d’autoriser l’Ukraine à utiliser les avoirs d’État russes gelés. Enfin, il faut fournir à l’Ukraine des armes plus avancées, en particulier les missiles Tomahawk, ce que Trump se refuse de faire pour le moment. Ce signal ferait comprendre à Moscou que Washington est bien déterminé à tout faire pour que Poutine ne puisse pas sortir vainqueur de cette guerre.
Pour être cohérent, ne faudrait-il pas que Donald Trump se dédise sur sa décision de réduire drastiquement l’aide américaine à l’Ukraine…
Un sondage, paru il y a trois mois environ, indiquait que 69 % des Américains estiment que l’aide à l’Ukraine devrait être au moins équivalente à celle fournie sous Joe Biden. Les deux tiers de ces répondants – soit 46 % des Américains – jugent même qu’il faudrait l’augmenter ! Trump pourrait donc largement se le permettre.
Mais à nouveau, il faut être réaliste, et reconnaître qu’il a des positions bien arrêtées sur le sujet, ce qu’il n’a jamais caché. Jusqu’à preuve du contraire, c’est lui le président, donc il a le dernier mot… Mais tant que les États-Unis acceptent de vendre des armes et de fournir du renseignement militaire, l’Ukraine a les moyens de s’opposer à la Russie.
Les dirigeants de l’Union européenne ont ouvert la porte à l’utilisation des avoirs russes gelés pour soutenir l’effort de guerre ukrainien. Serait-ce un pas décisif ?
Bien sûr, car l’Ukraine a besoin de ces financements, surtout depuis que les États-Unis ont suspendu leur aide. Cela ne concernerait pas l’ensemble des avoirs russes gelés, mais à peu près 175 milliards de dollars, soit un montant largement suffisant pour financer l’effort ukrainien pendant encore deux, voire trois années. Ça serait un progrès considérable.
Malheureusement, la bureaucratie tatillonne de l’UE risque de retarder une décision qui gagnerait à être prise rapidement. C’est regrettable. Mais si l’administration Trump autorisait l’Ukraine à utiliser les quelque dix milliards de dollars d’avoirs russes gelés aux États-Unis, cela pourrait permettre d’accélérer les choses du côté des Européens.
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Author : Baptiste Gauthey
Publish date : 2025-10-24 15:00:00
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