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SGH, le « HEC polonais » : les clés du succès de cette université qui gagne en influence en Europe

SGH, le « HEC polonais » : les clés du succès de cette université qui gagne en influence en Europe

Il sort plusieurs ouvrages de sa bibliothèque et invite à s’en saisir, le regard bienveillant. Evidemment, il en est l’auteur. L’architecte du « miracle économique » polonais, c’est lui : Leszek Balcerowicz. En 1989, lorsqu’il devient ministre des Finances du premier gouvernement postcommuniste de la « Pologne libre », son pays suffoque : inflation galopante, pénuries à répétition, dette extérieure écrasante. « J’ai éteint l’incendie », sourit-il aujourd’hui. A l’époque, il prend à bras-le-corps une mission révolutionnaire : convertir en un temps record son pays à l’économie de marché. Désormais, la Pologne compte la croissance la plus forte de l’UE, un chômage bas, des investissements étrangers soutenus et des salaires en hausse constante.

Depuis 1992, en parallèle de ses diverses fonctions officielles, c’est en qualité de professeur que cette figure d’autorité côtoie les amphithéâtres de l’École des hautes études commerciales de Varsovie (SGH), son alma mater. C’est ici que gravite la nouvelle génération polonaise de décideurs, artisane de l’entrée fulgurante du pays parmi les vingt économies les plus développées de la planète. « Je veux continuer d’influencer le débat public national », assume le septuagénaire, qui compte des centaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux. Alors, pour marquer durablement l’avenir, quoi de mieux que de transmettre son expérience aux promotions successives de la meilleure université économique du pays ?

À l’heure de souffler sa 120e bougie, le prestigieux établissement peut se targuer d’avoir formé plus d’une soixantaine de membres du gouvernement et d’ambassadeurs polonais, ainsi qu’un nombre encore plus étoffé de voix managériale de premier plan. Dernier visage à prendre la lumière : celui de Jakub Jankowski, tout juste nommé directeur général du géant suédois Inter IKEA Group, et passé par SGH pour un cycle d’études en logistique. « Nous lui préparons une lettre de félicitations », glisse Justyna Kozera, responsable du pôle Carrière et des relations avec les alumni.

Chaque année, ils sont 10 000 étudiants à franchir l’immense hall de l’école, flanqué de colonnes brutalistes et d’une verrière qui inonde l’intérieur de lumière. La partie centrale bat toujours son plein, entre événements et stands associatifs. « Ici, tu entres dans un cercle de personnes brillantes venues de toute la Pologne », déclare fièrement Janus Kizenevic, vice-ministre des Finances lituanien, diplômé il y a une dizaine d’années. « Les enseignements permettent d’appréhender chaque idée disruptive avec rigueur et structure », s’enthousiasme, quant à elle, Magdalena Dziewguc, directrice Pologne de Google Cloud.

Flexibilité des emplois du temps

Plus vieille université du pays, l’école ne manque pas de rendre hommage à son histoire, en attestent ses murs habillés des portraits des figures académiques qui ont façonné l’institution. Mais c’est pour mieux se tourner vers l’avenir. « Certains ont pu rapidement gravir les échelons durant la ‘transformation’, dans les années 1990-2000. Aujourd’hui, c’est en créant sa start-up innovante qu’on peut aller plus vite », glisse Justyna Kozera, qui mentionne les success-stories de Lucjan Samulowski (DocPlanner) et Wojtek Sadowski (Packhelp), deux entrepreneurs qui ont fréquenté les bancs de SGH.

Déjà en haut des classements nationaux, l’institution veut continuer d’attirer les talents, dans un contexte de concurrence accrue. Outre son programme de mise en relation entre lycéens et enseignants universitaires, l’école organise chaque année, dans plus de cent établissements du secondaire, des olympiades nationales en économie et en entrepreneuriat. Une manière d’identifier les jeunes les plus prometteurs et de les inciter à postuler : les lauréats obtiennent des points supplémentaires à leur candidature d’entrée, qui exige des résultats brillants au baccalauréat et un test sur table.

Jan Karaszewski fait partie de ceux-là. Le jeune homme de 19 ans, qui fait sa rentrée en première année, s’est hissé à la onzième place à l’olympiade d’économie et au seizième rang pour celle d’entrepreneuriat, parmi plus de 6 000 candidats pour chaque épreuve. « J’ai fourni beaucoup d’efforts pour y arriver », admet Jan, qui se distingue d’ailleurs comme le plus jeune Polonais à avoir obtenu sa licence de courtier l’an dernier. « Il me reste beaucoup à faire », poursuit-il entre modestie et ambition, avouant vouloir faire carrière dans la gestion d’actifs. Comme beaucoup d’étudiants, il cite la flexibilité des emplois du temps comme l’atout majeur de SGH. Nombre d’entre eux font d’ailleurs le choix de concilier études et travail dans une multinationale ou une jeune pousse innovante. A l’image de leur pays, ils sont le symbole d’une jeunesse décomplexée, qui ne veut pas perdre de temps pour se faire une place parmi les plus grands.

En première année, les étudiants suivent d’abord un parcours généraliste. Une rareté en Pologne : « C’est l’une de nos traditions depuis 30 ans. Elle donne à chacun l’opportunité de choisir sa voie », explique Agnieszka Chlon-Dominczak, vice-rectrice en charge de la recherche. Reconnue pour son prestigieux master « Finance et Comptabilité », SGH attire de plus en plus d’étudiants vers des formations techniques comme “Analyses de données – Big Data » ou « Méthodes quantitatives en économie et systèmes informatiques », gages de salaires élevés et d’insertion ultrarapide. Et les équipes pédagogiques s’adaptent en permanence aux besoins du marché et aux évolutions sociétales, assure le rectorat. Récemment, SGH s’implique dans la recherche liée à l’intelligence artificielle ou aux bouleversements démographiques, mais s’intéresse aussi, de plus en plus, à l’industrie de l’armement, la transition énergétique et les services médicaux.

Partenariats avec le secteur privé

« Nous avons la particularité d’être à la fois une université économique et une business school », rappelle la vice-rectrice au développement, Dorota Niedziolka. L’école nourrit effectivement des liens étroits avec le secteur privé. Dans le bâtiment principal, des plaques dorées affichent le nom des 44 entreprises partenaires de l’école. Des mastodontes internationaux comme Samsung, L’Oréal ou Mastercard, mais aussi des institutions nationales influentes, telles que la Bourse de Varsovie ou la Banque Pekao. « Ces entreprises bénéficient d’un accès privilégié à nos étudiants et nos projets de recherche, et nous offrons des cycles de formation pour leurs salariés », précise Piotr Czajkowski, directeur du Centre de Coopération avec les entreprises.

SGH se réjouit tout particulièrement de sa collaboration avec Google. Ensemble, ils pilotent un programme de formation à l’intelligence artificielle destiné aux petites et moyennes entreprises. Environ 50 000 dirigeants ou microentrepreneurs bénéficient gratuitement de cinq semaines d’accompagnement. « Beaucoup dans ces structures n’ont pas conscience du potentiel de l’IA ou ne disposent pas des outils pour l’utiliser pleinement », juge Pawel Kubicki, responsable du département de recherche en politiques publiques de l’université. Pour SGH, c’est l’occasion d’étoffer ses connaissances en technologies émergentes et de marquer sa présence sur ce marché en expansion.

Aussi, les partenariats avec le secteur privé sont des injections financières indispensables pour que SGH continue à rester en haut du panier national. Université publique, 60 % de son budget provient de l’État, mais le reste repose sur les financements extérieurs et ses formations payantes. Depuis trente ans, l’école collabore avec l’UQAM (Canada) pour façonner ses programmes MBA. En 2021, SGH a même lancé un cursus conçu sur mesure pour les startupers, une première en Pologne. D’autres parcours spécialisés existent, par exemple dans l’industrie de la santé. « La proportion de managers augmente et la demande évolue. À l’avenir, nous envisageons d’ouvrir des programmes post-MBA », indique la vice-rectrice Dorota Niedziolka.

Dotée d’une dizaine de bâtiments au sud du centre-ville, l’école a inauguré récemment son Centre des Espaces Innovants, un édifice ultramoderne mariant bois clair, béton brut et touches végétales. À deux pas du parc verdoyant Pole Mokotowskie, que l’on peut admirer depuis une terrasse panoramique, l’édifice réunit 24 salles de cours, des espaces de travail, des bureaux pour les think tanks universitaires et les équipes académiques.

Rapprochement avec l’Ukraine

Des investissements nécessaires pour cette institution décidée à se faire une place plus importante dans le paysage économique et managérial européen. En 2022, SGH a fait une irruption remarquée dans l’alliance universitaire CIVICA, rassemblant une dizaine d’écoles de prestige, dont Sciences Po Paris, la London School of Economics ou l’Université Bocconi de Milan. « Ce réseau nous permet d’acquérir les bonnes pratiques pour davantage participer aux grands projets européens de recherche et viser de meilleures bourses », confie le chercheur Pawel Kubicki, qui rentre tout juste d’un séminaire à l’EUI de Florence sur ces sujets.

Aux côtés de ses partenaires européens, SGH joue un rôle clé dans le rapprochement académique avec l’Ukraine, tissant des liens étroits avec cinq universités du pays. « Nous lançons cette année une double licence destinée aux étudiants de l’Université nationale d’économie de Kiev », explique le recteur Piotr Wachowiak, qui arbore fièrement un insigne jaune et bleu sur sa veste. En janvier, SGH et ses quelque 250 étudiants ukrainiens ont reçu Volodymyr Zelensky pour lui décerner le titre honorifique de docteur honoris causa.

Au printemps, SGH a obtenu la prestigieuse accréditation AACSB, complétant ses distinctions EQUIS et AMBA. Elle rejoint les 1 % d’écoles de commerce les plus reconnues au monde : seules 136 institutions cumulent ces trois labels. Néanmoins, aucun des meilleurs masters de SGH ne parvient à se hisser dans le top 50 international. « Seulement 1 % du PIB polonais est alloué à la recherche, contre environ 3 % dans la plupart des pays développés », regrette le recteur. « Nous allons approfondir notre coopération avec le secteur privé, développer nos projets de recherche et continuer nos efforts d’internationalisation », martèle le chef d’établissement, avant de prendre son vol pour l’Exposition Universelle d’Osaka. Force est de constater que la quête polonaise de l’excellence n’est pas près de faiblir.



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Publish date : 2025-10-25 05:45:00

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