Curieux objet que ce livre qui, par son gabarit et sa couverture blanche et bleue, rappelle une brique de lait. Mieux vaut ne pas être allergique au lactose, ni à la littérature plaintive, pour en absorber le contenu. Avant le début du récit en tant que tel, il est écrit que « l’auteur tient à remercier le Centre national du livre pour son soutien ». Drôle d’époque que la nôtre, où certains auteurs bien établis demandent à l’Etat de les sponsoriser quand l’envie les prend d’aller cracher sur les tombes de leurs ancêtres.
Avec La Maison vide, Mauvignier entend nous infliger l’histoire de sa famille pendant 744 pages. Les lecteurs pressés peuvent passer leur tour. La première partie ressasse le mariage malheureux des arrière-grands-parents de l’auteur, Marie-Ernestine et Jules. Comme dans la comptine Ne pleure pas Jeannette, Marie-Ernestine aimerait épouser un certain Florentin, mais on lui impose un Jules. La manière dont Mauvignier raconte leur nuit de noces est des plus déplaisantes : cela tourne au viol conjugal. Mauvignier était-il dans la chambre ? Il n’a ensuite aucune compassion pour le pauvre Jules, tombé au front en 1916. Rappelons que l’auteur, décidément toujours partant quand il s’agit de rêvasser aux frais du contribuable, fut pensionnaire à la Villa Médicis en 2008-2009. On imagine que Jules aurait préféré flâner nonchalamment au milieu des ruines romaines que de se faire trouer la peau dans la boue des tranchées. Plus chanceux que lui, son arrière-petit-fils se montre impitoyable.
Il est ensuite question de la grand-mère de l’écrivain, la fille de Jules et Marie-Ernestine : Marguerite. Cette dernière se prostitue dans des plans à trois avant d’avoir une liaison avec un Allemand de 1941 à 1944, puis de finir tondue à la Libération. A son sujet, Mauvignier est plus ambigu qu’avec Jules. Il ne nous épargne rien de ses passes tarifées, s’en moque volontiers, mais, voulant peut-être donner des gages de féminisme, la sauve malgré tout : « Ses cheveux très courts la font ressembler à une Jeanne d’Arc près du bûcher et son air livide lui donne la beauté tremblante d’une sainte. » Sur le grand-père André, cocufié alors qu’il était prisonnier, on n’apprendra pas grand-chose, si ce n’est qu’il mourut dans un hôpital psychiatrique en 1975. La Maison vide offre une étrange inversion des valeurs, symptomatique du nihilisme de notre temps : un soldat mort pour la France doit être dare-dare assassiné une seconde fois, mais une femme collaborationniste mérite toutes affaires cessantes la canonisation.
Un livre amer et moralisateur
Nous n’avons pas relevé une seule touche d’humour dans cet interminable pensum – sauf peut-être lors d’une scène à la Feydeau où Marguerite est prise en flagrant délit de coucherie. Mauvignier ne nous fera pas croire que sa famille n’a connu qu’une suite ininterrompue de tragédies depuis l’invention de l’électricité. De qui se moque-t-il ? Il devrait relire Autres rivages de Nabokov ou Souvenirs de Pologne de Gombrowicz, deux livres qui nous rappellent que, malgré les drames de l’existence, on peut continuer de s’amuser et de porter sur la vie un regard enchanteur. Celui de Mauvignier est amer et moralisateur. C’est l’éternelle histoire du transfuge de classe (ou prétendu tel) qui juge de façon péremptoire la lignée dont il est issu, tout en faisant son beurre dessus.
Au cours de La Maison vide, il est souvent question des Rougon-Macquart. A défaut d’être le digne héritier de ses aïeux, Mauvignier est-il au moins celui de Zola ? Loin de là. Du grand roman du XIXe siècle, il ne garde hélas que le côté poussiéreux, auquel il mêle des afféteries stylistiques tout aussi datées, en prêtant par exemple des pensées farfelues à ses personnages – rappelons qu’on trouvait déjà du flux de conscience dans Les Lauriers sont coupés d’Edouard Dujardin, en 1887. Si les lauriers sont coupés, les carottes sont cuites : avec Mauvignier, faux formaliste surcoté, l’avant-garde a quelques trains de retard. Pour épater les gogos, il se lance enfin régulièrement dans des phrases à rallonges. Pages 628-629 on en a trouvé une qui compte 59 lignes. Elle est alambiquée, mal construite, incompréhensible. Dieu merci, il y a parfois des passages plus concis. En ouverture de l’épilogue de son livre, Mauvignier note ainsi : « C’est par l’invention que l’histoire peut parfois survivre à l’oubli. » C’est tout ce que l’on retiendra de la bien nommée Maison vide : quand on est un écrivain subventionné, on se croit autorisé à raconter n’importe quoi.
La Maison vide par Laurent Mauvignier. Minuit, 744 p., 25 €.
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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld
Publish date : 2025-10-25 09:30:00
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