Mercredi 29 octobre, la Cour des comptes italienne a rejeté le projet du gouvernement de relier la Sicile à la péninsule par un pont suspendu, dont la construction est évaluée à 13,5 milliards d’euros. Une décision vertement condamnée par l’exécutif de Giorgia Meloni, qui y perçoit une « ingérence des juges ». Mais l’ambition de la cheffe du gouvernement d’extrême droite dépasse la simple question architecturale. Derrière ce pont pharaonique se cache un vieux rêve italien, hérité de l’Antiquité, et régulièrement ravivé par la droite, sous des prétextes différents. Aujourd’hui, c’est l’angle militaire que le gouvernement a choisi pour justifier son projet dispendieux.
Un serpent de mer italien
L’idée de relier la Sicile au continent à travers le détroit de Messine ne date pas d’hier. Et le gouvernement n’hésite pas à s’en revendiquer : « Nous avons attendu un siècle, nous attendrons un siècle et deux mois », avait déclaré le vice-Premier ministre, Matteo Salvini, après la décision de la Cour. Dès l’Antiquité, selon le Romain Pline l’Ancien, des barques et des tonneaux attachés entre eux auraient formé une passerelle permettant de transporter éléphants et marchandises depuis l’île.
Le projet s’ancre véritablement dans la politique au XIXe siècle, lors de l’unification du pays, puis est repris par Benito Mussolini dans les années 1940, dans le cadre de son projet impérial. En 1971, un premier projet de loi pour sa construction se solde en échec. Dans les années 2000, c’est au tour de Silvio Berlusconi, alors Premier ministre, de le remettre sur la table. Nouvel échec.
Mais dans l’opposition, le marronnier n’emballe pas. Si officiellement, le pont de Messine aurait pour objectif de stimuler le développement économique en Sicile, les nombreux naufrages qu’a connu le projet ont poussé Giorgia Meloni et son gouvernement à adopter une nouvelle stratégie de communication pour permettre son approbation : le présenter comme une infrastructure militaire.
Alors que la gauche et plusieurs mouvements locaux restent hostiles au chantier, l’argument militaire agace plus qu’il ne séduit. Selon Politico, un eurodéputé de la gauche italienne populiste a dénoncé : « C’est se moquer des citoyens et des engagements pris auprès de l’Otan. Je doute que ce bluff du gouvernement soit accepté ». Et d’ajouter : « Le gouvernement devrait s’arrêter et éviter de se ridiculiser au niveau international, ce qui couvrirait l’Italie de ridicule ».
Un camouflage militaire
Pourquoi alors donner des allures militaires à un pont civil ? Selon Politico, un responsable du Trésor italien aurait suggéré que classer le pont comme projet de défense permettrait au gouvernement de contourner certains des obstacles économiques et techniques : le coût pharaonique, la difficulté de construire dans cette zone sismique et la nécessité de déplacer les populations pendant les travaux.
Surtout, ériger le pont de Messine en investissement pour l’armée italienne, permettrait à Rome de booster ses dépenses militaires et le pays en a bien besoin. En 2024, l’Italie n’y a consacré que 1,49 % de son PIB, loin du seuil des 2 % fixés par l’Otan – un objectif que l’Alliance souhaite porter à 5 % d’ici 2035. L’Italie qui fait partie des pire élèves de l’alliance transatlantique serait soulagée d’un poids si elle pouvait ajouter les 13,5 milliards d’euros nécessaires à la construction du pont dans ses comptes.
D’autant plus que l’idée n’est pas complètement tirée par les cheveux. Techniquement, 1,5 % des 5 % demandés par l’Otan peuvent être consacrés à des « innovations » plus larges, dont les infrastructures militaires. Dans un rapport publié en avril, les autorités italiennes affirmaient que « le pont du détroit de Messine constitue une infrastructure fondamentale en ce qui concerne la mobilité militaire, compte tenu de la présence d’importantes bases de l’Otan dans le sud de l’Italie », le présentant comme un projet d’intérêt public prioritaire. Giorgia Meloni a même invoqué la menace russe, estimant que le pont serait un atout face à un Vladimir Poutine qui se « projette de plus en plus en Méditerranée ».
Les Américains sceptiques
Mais ce nouvel étiquetage du pont de Messine n’emballe pas les Américains. S’ils n’ont pas encore rejeté officiellement le projet, leurs critiques sont à peine voilées. Le 2 septembre, l’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Matthew Whitaker déclarait « avoir eu des conversations avec certains pays qui ont une vision très élargie des dépenses liées à la défense ». Et le diplomate de cingler qu’il ne peut s’agir de « ponts qui n’ont aucune valeur militaire ».
Selon Bloomberg, Washington souhaiterait s’assurer que ses alliés investissent dans des équipements utiles aux opérations militaires, et non dans des « exploits techniques extravagants ».
L’argument militaire du pont de Messine apparaît donc avant tout comme un prétete politique. Le projet semble davantage relever du vieux fantasme italien, popularisé par Mussolini, puis ressuscité par Giorgia Meloni. S’il restait un doute sur la dimension symbolique du chantier, le vice-Premier ministre, Antonio Tajani, l’a levé en proposant de baptiser le pont « Berlusconi », en hommage à son mentor.
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 Publish date : 2025-10-30 17:51:00
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