L’Express

« Montebourg dans le corps de Hollande » : Philippe Brun, le « Monsieur budget » du PS en quête de compromis

« Montebourg dans le corps de Hollande » : Philippe Brun, le « Monsieur budget » du PS en quête de compromis

L’ambiance est plus que bonne à Blois lors de l’université d’été du PS, le dernier week-end d’août 2025. Les socialistes ont enfin cessé de se chamailler, mènent leur rentrée politique tambour battant et coupent la chique et le micro au reste de la gauche. Oui, les roses s’apprêtent à présenter un contre-budget digne de ce nom, avec sa taxe Zucman – une taxation à 2 % des patrimoines de plus de cent millions d’euros – en étendard rouge carmin, plébiscitée en prime par l’opinion publique. Ne pas tout faire capoter, éviter l’autosabotage… Et puis une petite rumeur enfle. Une taxe Zucman light (avant l’heure) pourrait finalement être privilégiée par la direction socialiste. Un cerveau inquiet bouillonne, fait les cent pas, puis enguirlande les émetteurs de ce ballon d’essai. « A cause de ça, les gars de Zucman viennent d’appeler Faure ! » : Philippe Brun a longtemps tenu à son économiste-star, mais surtout à la bonne séquence.

Les vérités du jour ne sont pas forcément celles du lendemain ; le député de l’Eure, « Monsieur budget » du PS, ne le sait que trop bien. « L’exercice politique est soumis à tout un tas de contraintes, ce qui n’est pas forcément le cas du travail universitaire », dit-il à L’Express. C’est peu ou prou ce qu’il a tenté de faire comprendre ces derniers jours par SMS à Gabriel Zucman, quand celui-ci estimait que l’amendement de repli porté par la députée socialiste Estelle Mercier, lançait « la machine à l’optimisation fiscale » de certains milliardaires.

Philippe Brun jure que l’économiste a fini par lui donner raison, que cette nouvelle mesure – une taxe de 3 % sur les hauts patrimoines à partir de 10 millions d’euros, en excluant les entreprises innovantes et familiales – n’impliquait pas « d’effets de bord ». Sur France Info, au matin de son examen en hémicycle pourtant, l’économiste « franco-américain » a assuré ne pas avoir reçu de « réponse particulièrement probante » de la part du Parti socialiste. Face aux procès en traîtrise du reste de la gauche, les proches du premier secrétaire ont préféré souligner que l’amendement avait été popularisé… par Philippe Brun.

Il a bon dos, car quand la mue est douloureuse pour certains, lui incarne le virage assumé du Parti socialiste vers le compromis avec le bloc central. Qu’importe si Zucman fait figure d’histoire ancienne, inconstitutionnelle selon le Conseil d’Etat et rejetée par une majorité de parlementaires. Le vice-président de la commission des finances a commencé cette séquence budgétaire comme il a terminé la dernière : malade et adepte de la non-censure. « On ne peut pas tous les jours dire censure alors que le sujet c’est le budget. S’il ne passe pas, le gouvernement devra démissionner, c’est tout », dit-il au sujet des moult menaces de son parti.

Déjà en février, quand François Bayrou tentait de sceller un pacte de non-agression avec la gauche, les partenaires du PS ironisent sur le penchant pour le compromis affiché par l’Eurois… « Il est dans notre délégation ou dans celle d’en face ? », aimait dire à haute voix Marine Tondelier, face aux ministres chargés du budget, avant de le tancer « Philippe, tu peux peut-être laisser le gouvernement se débrouiller par lui-même ? » Depuis, il est devenu le collègue préféré de la droite et du centre. Il s’entend « très bien » avec la ministre Amélie de Montchalin, le rapporteur Philippe Juvin dit s’être « lié d’amitié avec lui », et les Insoumis voient en lui un traître à la cause. Mais parce qu’il a le goût de l’histoire, il se voit surtout en Jean Jaurès soutenant le gouvernement de Waldeck Rousseau, malgré la présence du massacreur de la Commune. « Car s’il y a dissolution, il y a un risque de passer de la IVe République au Troisième Reich », dit-il.

Les mauvaises langues du parti disent qu’il est « uniquement » mû « par ses ambitions », et que son lobbying pour la non-censure serait calqué sur ses craintes de se faire prochainement balayer dans sa circonscription. A la moindre instabilité, tout le monde s’y met. Cyrielle Châtelain a écarquillé grands les deux yeux quand, par deux fois, elle a entendu le Premier ministre la mettre au parfum des dangers que courait son voisin « Philippe », en cas de retour aux urnes. Mais Brun a été élu, puis réélu, l’un des seuls de feu la Nupes à augmenter son score entre 2022 et 2024. Pour deux raisons. Déjà parce que la semaine en hémicycle, « c’est détente par rapport au week-end où je participe à 10 ou 14 événements sur ma circo ». Ensuite car il n’a pas fait campagne sur l’écriture inclusive ou le slogan « la police tue », chuchote-t-il parfois. « Ce qui est bien chez Philippe c’est qu’il est davantage attaché au qu’en-dira-t-on des potentiels électeurs du RN qu’à celui des mélenchonistes », salue Rémi Branco, porte-parole du PS. Brun est un souverainiste comme on n’en fait plus beaucoup au parti. De l’aile gauche, assure-t-il.

Son parrain en politique Arnaud Montebourg pense qu’il n’a pas grand-chose à faire au PS. Lui ne l’a jamais trop écouté puisqu’il a même voulu briguer la tête du parti. « T’es pas un peu jeune ? », lui demande à l’époque le patron du Parti radical de gauche, Guillaume Lacroix.

A l’ENA, il se déguise en cigogne avec son bon copain, l’ancien ministre de l’Economie Antoine Armand ; la vie politique s’est rajeunie. Au dernier congrès, il échoue finalement à déloger l’actuel premier secrétaire, Olivier Faure, s’allie à l’aile droite du parti et brouille son identité. Depuis, quand il le croise, le député écologiste Benjamin Lucas le charrie et lui donne du « M. Hollande » – un mélange de ressemblance physique et de convergence politique supposées. « C’est vrai que vous lui ressemblez… », lui a un jour glissé un vieil ambassadeur en Algérie, contemplant le portrait de François Hollande fixé au mur. Enarque, l’ancien président aussi a effectué son stage là-bas. Il avait un frère qui s’appelait Philippe, Philippe a un frère qui s’appelle François, l’ancien président a grandi dans la circonscription de Brun, les deux ont fréquenté la même école à Rouen… Pour l’heure, le député de l’Eure envisage surtout de briguer la mairie de Louviers. Et pour le reste, il conclut devant les siens : « Je suis Montebourg dans le corps de Hollande ». Synthèse socialiste !



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Author : Mattias Corrasco, Sébastien Schneegans

Publish date : 2025-11-01 11:00:00

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