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Colette en ses mondes : l’exposition à voir à la BNF

Colette en ses mondes : l’exposition à voir à la BNF


Explorer l’univers de celle qui fut à la fois romancière, comédienne, journaliste, scénariste et même… tenancière d’un institut de beauté, au sujet de laquelle tout ou presque a déjà été dit, tenait de la gageure. La BNF relève le défi avec brio : à travers une « exposition-immersion », elle éclaire, sous un angle sensoriel, les contours d’une œuvre et d’une vie étroitement imbriquées, Colette s’étant autant écrite qu’elle a regardé le monde. Pour autopsier ces mille et une existences en une seule, sonder les forces paradoxales à l’œuvre chez cette figure ambivalente, ouvertement bisexuelle, qui célèbre la chair, source de désir, de plaisir et, la vieillesse venue, de douleur, les commissaires Emilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras ont réuni plus de 350 pièces : manuscrits annotés de la main, correspondances, peintures, estampes, objets emblématiques, extraits de films ou d’entretiens et photographies, parmi lesquelles des tirages originaux de Colette et de son entourage ainsi que des albums ayant appartenu à Henri Gauthier-Villars, dit Willy, son premier mari, qui n’avaient pas été montrés depuis l’exposition de 1973 à la Bibliothèque nationale.

Les maisons refuge

Le jardin de la demeure de Saint-Sauveur en Puisaye, dans l’Yonne, où Sidonie Gabrielle Colette voit le jour en 1873, restera pour elle le paradis perdu. Ce lieu d’une enfance enchantée que la ruine familiale l’oblige à quitter en 1891, elle le transpose, trente ans plus tard, dans une Maison de Claudine sublimée par le traumatisme subi, où faune, flore et humains – au premier rang desquels Sido, sa mère éprise de botanique – forment un éden originel. Il y aura aussi le domaine des Monts-Boucons, près de Besançon, le Casamène de La Retraite sentimentale, « perché sur l’épaule ronde d’une petite montagne de chênes bas », que Willy, le pygmalion, lui offre en 1901.

« Colette en Claudine avec Willy et Toby le chien », par Charles Gershel (vers 1902).

Il y aura encore le manoir de Rozven, en Bretagne, acheté pour une Colette émancipée par sa compagne Missy, qui prête son écrin émeraude au Blé en herbe. Il y aura enfin la Treille muscate, sur la baie azur des Canoubiers, aux abords de Saint-Tropez, magnifiée dans La Naissance du jour. Autant de maisons refuges qui vont nourrir l’inspiration de l’auteure des Dialogues de bêtes et de Regarde !, illustré par le peintre Mathurin Méheut, pour lequel l’auteure reprend en guise de titre l’injonction de Sido à sa fille face à la nature.

Music-hall et demi-monde

L’œuvre de Colette est un condensé des mondes qu’elle a traversés « sans jamais appartenir à aucun », du « grand monde » au « demi-monde ». Elle en est la subtile observatrice, mais aussi l’actrice, entre étude sociale et introspection. Dans La Vagabonde et L’Envers du music-hall, celle qui est devenue mime et danseuse à la suite de sa séparation d’avec Willy en 1910, montre une condition féminine en pleine mutation, dépeignant la précarité, parfois poignante, des artistes saltimbanques qui peuplent alors les toiles de son amie Marie Laurencin.

Couverture de « Vu », 8 juin 1932, photo de Boris Lipnitzki.

Sous sa plume, les courtisanes de Gigi ou de Chéri, qui fréquentent le « monde » sans y être adoubées, témoignent de la difficulté de la femme sans statut marital d’exister dans la société autrement qu’en se faisant entretenir par les hommes. « Êtes-vous pour ou contre le second métier de l’écrivain ? » : c’est par cette formule provocante que, au début des années 1930, Colette fait la réclame du salon de beauté qu’elle vient d’ouvrir à Paris, dressant à l’intention des bien-pensants la liste des multiples professions qu’elle exerça pour gagner son autonomie.

Pionnière de l’autofiction

Lorsque paraît La Naissance du jour en 1928, le chroniqueur André Billy y pointe « quelque chose d’extrêmement nouveau et hardi », avançant qu’ici « l’héroïne n’est autre que l’auteur ». Colette ne dément pas : « Vous avez flairé que dans ce roman le roman n’existait pas. » Mis en regard, le manuscrit et la correspondance entretenue avec Sido montrent explicitement comment l’écrivaine a repris les lettres de sa mère pour « en extraire quelques joyaux » qu’elle a transformés à son gré dans cet ouvrage écrit à la première personne s’apparentant à de l’autofiction, genre théorisé un demi-siècle plus tard.

Colette, « Souvenirs », notes de conférence vers 1932.

Dans La Naissance du jour, Colette, qui a passé la cinquantaine et traversé deux divorces, s’essaie déjà à questionner toute la complexité d’une écriture de soi aux frontières du roman et de l’autobiographie : « Pourquoi suspendre la course de ma main sur ce papier qui recueille, depuis tant d’années, ce que je sais de moi, ce que j’essaie d’en cacher, ce que j’invente. »

La journaliste

Colette, témoin de son temps, a signé plus de 1 200 articles au cours de son existence. Critiques dramatiques, musicales ou cinématographiques, chroniques judiciaires, sportives ou gastronomiques, courrier du cœur pour la presse féminine, reportages au Maroc ou à New York, elle aborde tous les domaines. Loin de se disperser, comme en résonance avec son œuvre littéraire, la journaliste rend compte des transformations de la société. Elle excelle, non sans ironie, dans la peinture des mœurs et la restitution d’instantanés saisis sur le vif qu’au théâtre, elle observe minutieusement à l’aide d’une jumelle, indispensable béquille à sa myopie.

Carte de journaliste professionnelle de Colette.Carte de journaliste professionnelle de Colette.

Soumise aux dures lois de la périodicité, elle défend le plaisir que procure le défi d’écrire quotidiennement autant qu’elle appréhende la pression que sous-tend l’exercice. « L’obsession du papier en retard, des lignes à pondre entre minuit et 2 heures du matin, a longtemps dans mes songes tenu la place du ’rêve de l’examen' », notera-t-elle dans L’Etoile Vesper en 1946. Huit ans avant sa mort qui lui vaudra d’être la première femme à se voir accorder des funérailles nationales.



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Author : Letizia Dannery

Publish date : 2025-11-01 10:00:00

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