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La « diplomatie d’orfèvre » du Maroc : comment Rabat a conquis l’ONU sur le Sahara occidental

La « diplomatie d’orfèvre » du Maroc : comment Rabat a conquis l’ONU sur le Sahara occidental

Certains textes portent en eux le souffle des grandes mutations. Le projet de résolution du Conseil de sécurité sur le statut du Sahara occidental, voté ce 31 octobre 2025 aux Nations unies, est de ceux-là. Adopté par 11 voix sur 15, zéro voix contre (l’Algérie ayant refusé de voter), le texte valide pour la première fois le plan d’autonomie marocain de 2007, marquant un tournant en faveur de Rabat plus de cinquante ans après le début du conflit opposant le Maroc au Front Polisario soutenu par l’Algérie.

Portée par les Etats-Unis, la résolution devait recueillir au moins neuf voix sur quinze au Conseil de sécurité et éviter tout veto des cinq puissances permanentes : Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine. Les trois premiers étaient déjà acquis à la cause marocaine, les deux autres, alliés traditionnels de l’Algérie, se sont finalement abstenus après avoir entretenu le flou. « Le Maroc espérait faire basculer la Chine avec ses intérêts économiques, mais celle-ci ne veut pas se fâcher avec l’Algérie », commente Emmanuel Dupuy, président de l’Institut de prospective et de sécurité en Europe. Pékin, refusant toute ingérence dans le conflit, compte effectivement à la fois sur le Maroc et l’Algérie pour intégrer le marché maghrébin et développer son projet d’extension de la route de la soie vers le continent américain.

Le Sahara, priorité diplomatique

Pour l’Algérie, c’est un coup dur. Malgré une meilleure prise en compte des revendications indépendantistes, sous la pression algérienne, le texte « ne reflète pas suffisamment la doctrine onusienne en matière de décolonisation », a réagi l’ambassadeur algérien Amar Bendjama, qui a refusé de participer au vote. Le Front Polisario a de son côté qualifié le plan de Rabat de « parodie » qui ne « vaut pas plus que le papier sur lequel il est écrit ».

Le texte appelle le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et son émissaire sur ce dossier, Staffan de Mistura, à mener des négociations « sur la base » de ce plan pour parvenir à un accord mutuellement acceptable. « Nous ouvrons un nouveau chapitre victorieux dans le processus de consécration de la marocanité du Sahara, destiné à clore définitivement ce dossier », a réagi le roi du Maroc Mohammed VI, saluant un « changement historique » du Conseil.

En réalité, ce tournant diplomatique n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt d’un long travail d’influence mené tous azimuts par Rabat depuis plus d’un demi-siècle. Depuis son indépendance en 1956, le Maroc estime avoir perdu injustement des territoires et revendique des liens anciens avec les tribus sahariennes et l’Afrique de l’Ouest. En 1975, alors que la Cour internationale de justice réfute « tout lien de souveraineté territoriale » avec le Sahara occidental, Hassan II fait de sa marocanité une cause nationale, mobilisant l’essentiel des efforts diplomatiques du Royaume. Il lance la « marche verte » la même année et négocie secrètement avec l’Espagne les accords de Madrid, qui cèdent le nord du Sahara au Maroc et le sud à la Mauritanie. Exclu des négociations, le Front Polisario, armé par l’Algérie, entre en guerre contre les deux occupants. En 1980, le Maroc construit un mur des Sables de 2 700 kilomètres et lance des investissements massifs dans ces « provinces du sud », construisant des mosquées, des hôpitaux, des hôtels, des écoles, afin de rallier la population à la marocanité du territoire (politique du « fait accompli »).

À son arrivée au trône en 1999, Mohammed VI fait du dossier saharien sa priorité, s’impliquant personnellement et étendant le réseau diplomatique et économique du Royaume vers la Chine, la Russie, les puissances du Golfe, et l’Amérique latine, tout en consolidant ses liens avec les Etats-Unis et l’Europe, selon Pierre Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et auteur du Maroc en 100 questions (Ed. Tallandier, 2020).

Rassurer la communauté internationale

En 2007, il propose un statut d’autonomie pour le Sahara occidental, au cœur du projet de résolution de l’ONU actuellement porté par les Etats-Unis. Ce plan prévoit la mise en place d’autorités locales – législative, exécutive, judiciaire – élues par les habitants, le Maroc conservant les compétences régaliennes en matière de défense, de politique étrangère et de religion. Depuis, la ligne diplomatique du Maroc ne s’écarte plus d’un iota de ce plan d’autonomie. Objectif : rassurer et séduire la communauté internationale. « Le Royaume pratique une diplomatie d’orfèvre, en s’adressant à tout le monde selon ses intérêts : tant aux puissances occidentales, profitant des faiblesses diplomatiques de son voisin algérien, qu’aux économies émergentes et à ses partenaires régionaux », explique Pierre Vermeren.

Et un à un, Rabat accumule les soutiens. Le premier, décisif, vient de la première puissance mondiale : en 2020, quelques mois avant la fin de son premier mandat, Donald Trump reconnaît la marocanité du Sahara en échange de la normalisation des relations du Maroc avec Israël. Ces accords d’Abraham entraînent une série de ralliements à la position marocaine : en 2022, l’Espagne, sous la pression migratoire exercée par Rabat, abandonne sa neutralité officielle et soutient le plan d’autonomie, suivie la même année par l’Allemagne et Israël, puis par la France en octobre 2024 après trois ans de tensions diplomatiques, ou encore le Royaume-Uni en juin dernier.

Le pari de l’Afrique

Le Maroc a aussi rallié d’anciens soutiens du Polisario, comme le Ghana ou le Malawi. Depuis son retour à l’Union africaine en 2017, Rabat a renforcé son action diplomatique en Afrique, surtout auprès des pays pauvres autrefois proches de l’Algérie, conditionnant ses relations économiques à la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara. « Le premier pilier de la politique étrangère du Maroc aujourd’hui, c’est l’Afrique où il est très présent dans le secteur des banques, des énergies vertes ou du BTP, considère Emmanuel Dupuy. Il sait aussi s’adresser à des pays enclavés, en leur offrant un accès à l’Atlantique grâce à ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires, ou au gaz naturel avec le projet de gazoduc Maroc-Nigéria. »

Aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, s’ajoutent dix membres élus pour deux ans : l’Algérie, la Corée du Sud, le Danemark, la Grèce, le Guyana, le Pakistan, le Panama, la Sierra Leone, la Slovénie et la Somalie. Ces derniers mois, à l’approche du vote, la diplomatie marocaine s’est activée pour convaincre les indécis, stimulée par ses nouveaux soutiens et l’approche d’une issue favorable : en 2025, son chef, Nasser Bourita, a rencontré ses homologues du Panama, de la Sierra Leone, de la Corée du Sud, de la Somalie. La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont eux-mêmes joué le rôle de relais de la position marocaine en vue d’obtenir la majorité la plus large possible lors du vote.

Prochaine étape, un référendum devrait être organisé au terme de négociations entre les trois parties : Rabat, Alger et le Front Polisario. Le mandat de la mission des Nations unies chargée de l’organisation de ce référendum (Minurso), qui expirait le 31 octobre, vient d’être renouvelé pour un an.



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Author : Héloïse Uberti

Publish date : 2025-11-02 15:05:00

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