PDG d’Aéroports de Paris (ADP) depuis février dernier, Philippe Pascal s’occupait jusqu’ici des comptes. Après une année 2024 solide, qui a vu le chiffre d’affaires dépasser les 6 milliards d’euros, le nouveau patron s’inquiète d’une pression fiscale croissante sur le groupe, contrôlé à 50,6 % par l’Etat. Un sujet que cet ancien élève de l’Ecole nationale des impôts connaît sur le bout des doigts.
L’Express : Le trafic aérien français tend à retrouver ses niveaux d’avant la pandémie. Une bonne nouvelle, mais le redémarrage est plus lent qu’en Europe et dans le monde. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Pascal : Le trafic aérien retrouve son niveau d’avant Covid en France, mais pas encore totalement à Paris. Pour cela, il faudra attendre 2026. Ce qui est notable, c’est que la nature du trafic a changé. Le nombre de vols domestiques est inférieur de 30 % par rapport à 2019, du fait notamment de l’interdiction des liaisons intérieures de moins de 2h30. Les vols à destination de l’Europe sont en ligne avec nos prévisions et les vols internationaux ont fortement repris, même si la Chine ne s’est pas encore totalement rouverte. C’est ce qui explique la plus lente progression à Paris.
La croissance va toutefois ralentir. Nous allons passer d’une progression du trafic de 2 à 2,5 % par an, comme cela a été le cas au cours des trente dernières années, à une augmentation de 1 à 1,5 % par an à partir de 2030. La raison principale ? L’usage des carburants durables – 3 à 4 fois plus chers que le kérosène à l’heure actuelle – va finir par peser sur le prix du billet, et donc sur la demande. S’ajoute, dans le cas français, le poids de la fiscalité. Les marges que nous avions pour décarboner nos aéroports ont été absorbées par la hausse ou la création de taxes. Depuis 2023, le Groupe ADP paie entre 50 et 60 % d’impôts en plus. L’équivalent de 300 millions d’euros supplémentaires par an.
La compagnie irlandaise Ryanair a annoncé récemment la réduction de ses dessertes en France. Motif invoqué : l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, inscrite dans le budget 2025, qui rendrait ces vols low cost non compétitifs. Comprenez-vous cette décision ?
Ryanair n’est pas présent sur les aéroports parisiens, je ne commenterai donc pas ses déclarations. Mais ce constat est partagé par toutes les compagnies. La France taxe son secteur aérien trois fois plus que l’Allemagne et dix fois plus que les Pays-Bas. C’est inouï, alors que nous avons la chance de compter des industriels de premier plan sur toute la chaîne de valeur : Amadeus, Thalès, Safran, Airbus, Air France, Groupe ADP… Cette équipe de France peut relever tous les défis dans la compétition mondiale. Or, on lui met des boulets au pied. On ne peut pas à la fois se plaindre de la désindustrialisation du pays et taxer un secteur au seul motif qu’il est plus performant que d’autres, alors même qu’il est clairement engagé dans la décarbonation. Le Groupe ADP gère 26 aéroports dans le monde, ce qui nous permet de voir qu’il nous faut accélérer à Paris si nous voulons rester dans la course. Ce qu’on est capable de faire à l’étranger, on ne peut pas le faire en France, ou alors dans des délais bien plus longs.
On est loin d’un avion bashing général chez les jeunes.
Philippe Pascal
Observez-vous un changement dans le comportement des voyageurs ?
La moitié des passagers sur les longs courriers a moins de 35 ans aujourd’hui, contre 40 % avant le Covid. On est loin d’un « avion bashing » général chez les jeunes. De même, contrairement à ce qui se dit, les CSP + ne représentent que 14 % des passagers. Les jeunes, moins riches que leurs aînés, prennent de plus en plus l’avion pour des destinations lointaines. Ils consomment aussi dans les aéroports, parce qu’ils sont dans un moment de plaisir, et demandent une offre de boutiques premium, voire de luxe. Au terminal 1 de Paris-Charles de Gaulle, le panier moyen est le plus élevé au monde, entre 80 et 90 euros par passager. C’est plus qu’à Dubaï ou à Doha. Nous avons développé dans la zone commerciale notre concept très innovant, Extime, où le passager bénéficie d’une offre d’hospitalité complète, dans une atmosphère d’élégance à la parisienne. Nous allons déployer ce concept à l’international, avec les codes culturels propres à chaque pays.
L’attractivité d’un aéroport reflète-t-elle celle, plus globale, d’une nation ? En quoi est-ce un élément de souveraineté ?
Il est stratégique pour l’économie française que le Groupe ADP génère des externalités positives en connectant la France au reste du monde. C’est bien ce pourquoi l’entreprise a été créée il y a 80 ans. Mais c’est davantage une question de valeur que de volume. Quand la Tour Eiffel a été achevée en 1889, c’était la plus haute du monde. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant, on vient toujours la voir. Paris-Charles de Gaulle n’est pas le plus grand aéroport du monde, mais il dessert 119 destinations, ce qui en fait l’un des plus connectés. C’est un atout décisif pour le pays, que nous nous employons à défendre. Idem dans le fret. Paris-Charles de Gaulle héberge le hub européen de FedEx : 11 % du commerce extérieur français en valeur, pour 0,4 % en volume, y transite. C’est considérable. L’attractivité, c’est aussi la différenciation. Il y a une envie de France qui doit pouvoir être satisfaite dans nos terminaux. Et quand nous candidatons à des appels d’offres à l’étranger, notre expertise et notre capacité à dialoguer avec la puissance publique sont reconnues. Nous savons articuler une logique de souveraineté et une logique de création de valeur dans un actif aussi essentiel, pour un Etat, qu’un aéroport.
À cette aune, diriez-vous que le projet de privatisation d’ADP, qui a fait couler beaucoup d’encre en 2019, était une erreur ?
Les débats sur la privatisation étaient fondés sur des ambiguïtés, de part et d’autre. La première, c’est de considérer que la composition du capital d’une entreprise fait sa mission. Ce n’est pas vrai. La vocation d’un aéroport est de répondre à un cahier des charges de missions de service public. De fait, de nombreux services publics en France sont assurés par des acteurs privés. L’autre ambiguïté, c’est de penser que le Groupe ADP est un acteur purement commercial et qu’il peut être perçu de manière distincte du service public. Ce n’est pas vrai non plus. La force de l’entreprise est la combinaison de ses missions. La structure de son capital est indépendante de cela.
Craignez-vous l’arrivée prochaine d’opérateurs chinois sur le marché aéroportuaire mondial ?
Ils sont aujourd’hui surtout focalisés sur leur immense marché domestique et ne cherchent pas à se développer hors de leurs frontières. Du moins pour l’instant. Si l’on doit comparer la Chine à une autre région du monde, ce n’est pas à la France mais à l’Europe. Le problème immédiat n’est pas de savoir si nous serons compétitifs face à eux, c’est de ne pas jouer collectif au niveau européen. Quel est le rival de Boeing, et peut-être demain du chinois Comac ? Airbus, une entreprise européenne. La préservation du marché intérieur européen est nécessaire si nous voulons voir émerger de grands acteurs industriels, y compris dans le domaine aéroportuaire. Malheureusement, dès qu’il y a un début de bonne santé financière et tous les atouts pour gagner la compétition, en France, on la taxe, en Europe, on la réglemente. Laissons les acteurs de nos métiers se développer si nous souhaitons avoir des champions mondiaux.
Source link : https://www.lexpress.fr/economie/entreprises/philippe-pascal-adp-la-france-taxe-son-secteur-aerien-trois-fois-plus-que-lallemagne-YMIKT4JBWFBHVLO73YRMJCSJZI/
Author : Arnaud Bouillin, Béatrice Mathieu
 Publish date : 2025-11-03 17:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.



