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A force de parler des riches, on ne se soucie plus des pauvres, par Nicolas Bouzou

A force de parler des riches, on ne se soucie plus des pauvres, par Nicolas Bouzou

L’affligeant spectacle donné par les parlementaires à l’Assemblée nationale n’a pas simplement pour effet de décourager celles et ceux qui voudraient que ce pays aille de l’avant. J’écris ces lignes du Québec, province structurellement sociale-démocrate, où le suicide français apparaît bien étrange. L’idée qu’un pays puisse massacrer son économie, au risque de ne plus rien avoir à redistribuer, semble pour le moins baroque à nos cousins. Ici, on lutte, fort logiquement, contre les effets sociaux délétères du protectionnisme trumpiste en essayant de redonner de la liberté et de la compétitivité aux entreprises. Idée simple, idée juste.

Chez nous, le Parlement fou s’en prend à tous les organismes économiques encore vivants. Heureusement, une poignée de parlementaires sauvent l’honneur (Jean-Louis Thiériot, Guillaume Kasbarian, Olivia Grégoire…) mais ils ne font pas le poids face au déchaînement des forces irrationnelles qui viennent de partout, et pas seulement de la gauche. Ainsi, il serait utile que le Rassemblement national nous explique s’il est économiquement plus proche de Reagan ou de Chavez. Pour l’instant, ce n’est pas bien clair et ses discours sur la taxation de la « finance improductive » ne valent pas mieux que ceux des socialistes. Je sais bien qu’il est de bon ton de critiquer Emmanuel Macron à tout bout de champ mais quand notre pays sera exsangue, sa politique de l’offre apparaîtra comme l’ère d’un paradis perdu.

Revoir la politique sur les bas salaires

Pendant ce temps-là, les vrais problèmes sont laissés en jachère. Les sujets qui font l’actualité économique internationale ne sont jamais évoqués. Impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi, restriction des exportations de métaux critiques par la Chine, protectionnisme américain, décarbonation par la technologie : tout ceci n’existe pas dans le débat public, la seule chose qui compte, c’est de chasser du riche. Une autre omission est frappante : on se préoccupe du riche sans se soucier jamais du pauvre. Environ un quart des Français ne peut pas boucler son budget à la fin du mois et 15 à 20 % de nos concitoyens ne mangent pas à leur faim. La France compte 1 million de travailleurs pauvres. Mais d’eux, personne ne parle.

C’est vrai qu’il est plus facile d’inventer des fake news sur les milliardaires qui ne paieraient pas d’impôt que de réfléchir à la meilleure façon de lutter contre la pauvreté. La recherche de boucs émissaires n’a jamais apporté une solution à quiconque dans le besoin. Pourtant, il y a une urgence sociale dans notre pays, dont la résolution pourrait s’articuler autour de trois axes. Le premier concerne les salaires. Depuis les années 1990, l’Etat a pratiqué des allègements de charges sur les bas salaires pour augmenter l’emploi des personnes les moins qualifiées. Cette politique a montré son efficacité mais elle s’est retournée contre l’objectif social qu’elle s’était fixé : en subventionnant les bas salaires, nous les avons multipliés. La remise à plat de ces allègements est aujourd’hui nécessaire. Évidemment, c’est moins sexy que la taxe Zucman mais plus utile.

Libérer la construction de logements

Le deuxième axe de travail concerne le logement. Là où se trouvent les emplois, dans les grandes villes et les zones touristiques notamment, le volume de surfaces habitables ne progresse pas. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande fait augmenter les prix de l’immobilier et évince du marché les jeunes et les travailleurs. C’est un scandale moral. Il est socialement urgent de libérer les contraintes normatives et fiscales qui empêchent de construire.

Troisième axe : les minima sociaux. Une réforme bien calibrée devrait permettre de diminuer la pauvreté tout en augmentant le taux d’emploi. À cet égard, les modèles sociaux scandinaves sont les bons. L’idée est de revoir la dégressivité des aides afin de faire en sorte qu’une personne qui bénéficie d’une augmentation de salaire ne voit pas ses soutiens financiers disparaître brutalement. C’est un projet de la région Hauts-de-France qu’il sera passionnant de suivre l’année prochaine. Enfin, passionnant pour ceux qui s’intéressent au sort de nos concitoyens. Les autres continueront à déblatérer leurs fantasmes économiques sur les plateaux.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères



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Author : Nicolas Bouzou

Publish date : 2025-11-06 11:00:00

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