Une enseigne jaune citron devant laquelle ondule une longue file de clients barrant le trottoir de l’avenue de l’Opéra, à Paris. La vue sur le Palais Garnier est imprenable. Ce n’est pas pour la perspective haussmannienne que cette foule bigarrée se presse mais pour les petites figurines aux couleurs acidulées de la boutique Pop Mart. Parfois des heures d’attente pour pénétrer dans le magasin et repartir les bras chargés de boîtes mystères qui renferment l’un de ces petits personnages : Labubu, Skullpanda, Molly ou Irono.
La trentaine, crâne rasé, piercings et tatouages de rigueur, une écharpe noire ornée de têtes de mort négligemment enroulée autour du cou, Steve assume : « Je ne bois pas, je ne fume pas, alors faut bien dépenser son argent. Et puis, ça me vide la tête ». Derrière lui, un grand-père dépassé tente de calmer trois bambins surexcités qui se chamaillent pour savoir si Hacipupu est plus jolie que Dimoo. Un jour comme un autre dans les rayons de la nouvelle star chinoise du jeu.
Derrière ces petites figurines se cache le succès fulgurant d’une entreprise lancée il y a moins de dix ans et qui a doublé son chiffre d’affaires l’an passé, pour atteindre 1,5 milliard d’euros. Cette année, Pop Mart table sur une progression hallucinante de ses ventes, dont près de 40 % se font hors de Chine : entre 150 et 170 %. En Bourse, l’entreprise a décroché le gros lot. Cotée en 2020 à Hongkong, elle a vu son cours multiplier par 11,5 depuis deux ans. Sa capitalisation dépasse celle cumulée des mastodontes américains Hasbro et Mattel.
L’émergence des « kidults »
« La Chine, malgré son poids économique, n’avait jamais réussi à imposer un soft power culturel comme a pu le faire le Japon ou la Corée du Sud. Pilotée directement par Pékin, l’influence des instituts Confucius sur la jeunesse était marginale. Désormais et c’est nouveau, le secteur privé est à la manœuvre », observe Emmanuel Lincot, chercheur à l’IRIS et professeur à l’université catholique de Paris. Le réseau social TikTok, évidemment, qui a marabouté des millions de jeunes et moins jeunes sur la planète. Plus récemment, un studio indépendant, Game Science, a fait trembler l’industrie mondiale du jeu vidéo avec le carton de Black Myth Wukong retraçant les aventures du roi singe, un grand classique de littérature chinoise. Et voici désormais Pop Mart et ses figurines « trooop » mignonnes. « Cette vague surfe sur l’émergence des ‘kidults’, de jeunes adultes qui refusent de quitter les rives de l’adolescence et cherchent à calmer leurs angoisses en s’entichant de doudous flashy, sympathiques et irréels », décortique David Baverez, essayiste et investisseur à Hongkong.
L’aventure de Pop Mart débute en 2016 quand son fondateur, Wang Ning, collabore avec l’artiste hongkongais Kenny Wong pour vendre des petites figurines baptisées Molly. Dans la foulée, le patron enchaîne les partenariats avec d’autres designers chinois, Ayan, Pucky et surtout le dessinateur Kasing Lung, le créateur de Labubu, une petite peluche aux gros yeux, aux dents écartées et à la queue de dragon. Un coup de maître. Dans une campagne soigneusement orchestrée sur TikTok, on voit des influenceurs s’extasier et même verser quelques larmes à l’ouverture de leurs boîtes. Le doudou devient un objet de mode quand des stars comme Rihanna, David Beckham ou Kim Kardashian se pavanent dans les soirées jet-set un Labubu accroché au sac. Wang Ning, génie du marketing, alimente savamment la rareté de certains modèles, reprenant la recette des cartes Pokémon, et nourrit l’appétit insatiable des collectionneurs en sortant un nouveau personnage chaque semaine. Les prix en magasin, qui débutent à près de 20 euros la figurine, s’envolent à la revente en fonction de la rareté de l’objet… Mieux, pour ne jamais perdre de l’œil son client, Pop Mart tapisse la Chine de distributeurs de figurines, à l’instar des machines de barres chocolatées. « Près de 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise viendrait aujourd’hui de ce canal », calcule Frédérique Tutt, spécialiste des jeux au cabinet Circana. En France, l’un d’entre eux a été installé en plein cœur de la gare de Lyon à Paris alors que Pop Mart lance quasiment un nouveau magasin dans l’Hexagone chaque mois.
Dans la guerre économique et technologique à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Chine, l’Amérique n’a peut-être pas dit son dernier mot. Sur Netflix, l’engouement planétaire pour le film d’animation KPop Demon Hunters racontant les aventures d’un girls band – le plus gros succès d’un dessin animé depuis le lancement de la plateforme – en dit long sur la bataille culturelle qui se joue. Copiant les codes esthétiques de la pop culture asiatique, le film est en réalité américain. Mattel et Hasbro ont déjà acheté les licences pour sortir leurs propres personnages à collectionner. Une autre forme de guerre hybride.
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-11-05 19:00:00
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