Dans le ciel de Kamianske, trois silhouettes rapides ont filé avant que le grondement des explosions ne secoue la ville. En quelques secondes, des colonnes de fumée se sont élevées au-dessus des immeubles : pour la première fois, cette cité industrielle de la région de Dnipro venait d’être frappée par des bombes guidées à réaction de type UMPK/Grom (KAB). L’information a été révélée par la chaîne Telegram Monitor le 25 octobre, qui a fait état de ces frappes inédites au cœur de l’Ukraine.
Ce nouveau mode d’attaque s’inscrit dans une série d’expérimentations menées par Moscou depuis le début du mois d’octobre. Le 17 puis le 18, des bombes similaires avaient visé pour la première fois Mykolaïv et Lozova, cette dernière frappée par une munition UMPB-5R ayant parcouru 140 kilomètres avant d’exploser dans un quartier résidentiel. Six personnes avaient été blessées et onze bâtiments endommagés. La semaine suivante, l’armée de l’air ukrainienne alertait sur un projectile du même type dirigé vers Berestyn, dans la région de Kharkiv, sans que les conséquences n’aient été révélées.
De 150 à 200 kilomètres de portée
Derrière l’abréviation KAB, acronyme de Korrektiruyemaya Aviabomba, ou « bombe aérienne corrigée », se cache une génération d’armes issues des bombes de l’ère soviétique, profondément modifiées. Conçues à l’origine comme de simples bombes à chute libre, elles ont été transformées en engins intelligents : des ailes pour la portance, un système de guidage GPS ou laser pour la précision, et désormais un moteur à réaction qui leur confère une allonge redoutable.
D’après le Financial Times et les dires de Vadym Skibitskyi, chef adjoint du renseignement militaire ukrainien, certaines de ces munitions expérimentales atteignent aujourd’hui entre 150 et 200 kilomètres de portée, soit plus du double de leurs versions antérieures, limitées à environ 80 kilomètres. Un essai aurait d’ailleurs frôlé les 193 kilomètres. Une performance rendue possible par l’ajout d’un moteur chinois SW800Pro-Y, un petit turbojet comparable à celui d’une mini-fusée, dont le coût n’excéderait pas 18 000 dollars, selon l’analyse du média britannique.
Cette adaptation permet aux avions russes, notamment les Su-34, de larguer leurs charges à très grande distance, sans s’exposer aux défenses aériennes ukrainiennes. Désormais, des villes situées à plus de cent kilomètres de la ligne de front, autrefois considérées comme des zones d’arrière relativement sûres, sont directement exposées à cette nouvelle menace. Les ogives, elles, varient entre 300 kilos et plus d’une tonne et demie, capables d’anéantir des immeubles entiers. Selon les experts ukrainiens, ces bombes laissent derrière elles des cratères de vingt mètres de large pour six de profondeur.
Un danger pour l’Ukraine ?
Cette évolution n’est pas apparue du jour au lendemain : dès 2023, la Russie avait amorcé une transformation de ses « bombes idiotes » en engins semi-guidés. Mais avec l’ajout de la propulsion, la KAB franchit un cap technologique majeur, devenant une véritable bombe planante motorisée, hybride entre la bombe classique et le missile de croisière.
Si Moscou a misé sur cette innovation, c’est avant tout pour compenser son incapacité à dominer dans le ciel ukrainien. « Le recours à la propulsion traduit, paradoxalement, le succès des défenses ukrainiennes », observe Wes Rumbaugh, chercheur au Center for Strategic and International Studies dans les colonnes du Kyiv Independent. Incapables d’approcher les zones cibles, les bombardiers russes n’ont d’autre choix que d’étendre la portée de leurs munitions. Cette évolution technologique coïncide avec une intensification des attaques aériennes visant les infrastructures énergétiques et civiles, à l’approche de l’hiver.
Pour l’armée ukrainienne, la menace reste contenue mais préoccupante. « Ces armes ne changent pas fondamentalement la donne, elles reprennent la même logique qu’une bombe classique lancée depuis un Su-34 ou un Su-24 », explique Yurii Ihnat, porte-parole de l’armée de l’air, sur la chaîne Suspilne. « Leur trajectoire ressemble à celle d’un missile de croisière, ce qui les rend théoriquement interceptables par nos systèmes de défense », a-t-il continué. Mais le problème est ailleurs : les stocks de missiles antiaériens s’amenuisent et chaque interception coûte infiniment plus cher que le lancement d’une KAB motorisée.
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Author : Aurore Maubian
Publish date : 2025-11-06 16:26:00
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