Marat assassiné, Bonaparte franchissant les Alpes, Le Sacre de Napoléon… Autant de tableaux monumentaux qui hantent notre imaginaire collectif, et que l’on retrouve aujourd’hui sur les cimaises du Louvre, parmi beaucoup d’autres, moins connus du grand public. Commissaire au côté de Côme Fabre de l’impressionnante exposition, qui s’est ouverte quatre jours avant le « braquage du siècle », Sébastien Allard revient, pour L’Express, sur le parcours et l’œuvre du « père de l’Ecole française » (1748-1825), plus complexes qu’il n’y paraît. Entretien.
L’Express : Comment éclairer sous un jour nouveau les œuvres de Jacques-Louis David que l’histoire de l’art a figé en monument de la peinture ?
Sébastien Allard : Parce que David a peint des tableaux qui comptent parmi les plus reproduits dans les manuels ou utilisés par la publicité, on a fini par le considérer comme un faiseur d’images. Nous voulons montrer que son œuvre a une densité historique et politique dans les sujets représentés, et une densité de peinture dans la touche, la composition, la gamme chromatique. Ses fonds sont brossés avec beaucoup d’énergie et il y a des audaces dans ses portraits, comme le fond rouge de celui de Madame Trudaine ou les coups de brosse qu’on retrouve dans son Autoportrait. C’est un vrai peintre, ce que nous fait un peu oublier cette diffusion imagière, d’autant plus que ce sont souvent de très grands tableaux, plus difficiles à apprécier pour l’œil qui parcourt la surface.
Pourquoi, selon vous, c’est Marat assassiné plus que Le Sacre de Napoléon, qui a fait entrer David dans l’imaginaire collectif ?
Marat et Le Sacre sont ses deux œuvres les plus célèbres, mais la première a une qualité picturale particulière. C’est l’hommage d’un ami à un autre ami et David y met beaucoup de lui-même. La composition est très audacieuse avec la moitié haute du tableau vide, le cadavre en bas, la lumière un peu surnaturelle qui éclaire un fond extrêmement vivant et crée une sorte d’espace de projection pour le spectateur. Le parti pris crée une forme d’intimité avec ce Marat aux yeux mi-clos, dont on ne sait pas très bien s’il est mort ou s’il dort. Entre sommeil et mort, il y a une promesse de résurrection, quelque chose d’à la fois personnel, religieux, et très silencieux ainsi que le disait Baudelaire. C’est, étonnamment, l’un des rares tableaux tendres de David.
Au Louvre, on comprend qu’il a beaucoup cherché, avant de parvenir à ce qu’il voulait. Quelles ont été ses influences ?
David a mis très longtemps à se trouver. On voit qu’au début, il regarde Poussin, puis il y ajoute progressivement d’autres sources d’inspiration, comme Caravage ou Greuze, avant d’éliminer tout ça, quand, à partir du Serment des Horaces, il parvient vraiment à une forme qui lui est propre. Ensuite, cette forme évolue, de façon plus souple, au fil du temps. Peu nombreux sur ses tableaux au départ, les personnages se multiplient, sa gamme chromatique s’enrichit. Quand il est exilé à Bruxelles, à la fin de sa vie, il scrute la peinture flamande, et ses compositions s’en ressentent avec des gammes colorées très vives, presque criardes. C’est un peintre en perpétuelle recherche.
Jacque-Louis David, « Autoportrait », 1794.
Ce goût pour les idées nouvelles, qu’il manifeste très tôt, viennent-ils de son éducation ?
Oui, très probablement. David, qui a connu six régimes politiques au cours de sa longue carrière, avait lu les philosophes comme Rousseau. Il a grandi dans le milieu d’une grande bourgeoisie cultivée et éclairée, au sein de laquelle on discutait de la question de la liberté, de la volonté générale, de tous ces thèmes politiques qu’on retrouvera dans son corpus au début de la Révolution de 1789.
Justement, vous dîtes que c’est à compter de la Révolution que cet espace d’engagement prend des proportions nouvelles et assez conséquentes…
Oui, car David est d’emblée favorable à la Révolution et qu’il évolue. Dans un premier temps, il pense qu’elle est compatible avec une monarchie constitutionnelle, puis son engagement se radicalise. Et il est l’un des premiers artistes à tenir un rôle politique de premier plan, occupant non seulement une fonction de peintre, mais aussi des postes stratégiques en tant que député à la Convention – qu’il présidera même pendant quelques semaines -, membre du Comité de Sûreté Générale et du Comité d’Instruction publique, président du Club des Jacobins. Il a donc un vrai rôle politique dont son art est indissociable. D’ailleurs, on sait peu qu’il organisait toutes les fêtes de la Révolution, qu’il était, à l’instar d’un Jean-Paul Goude, un grand metteur en scène de cérémonies.
Son engagement par la suite auprès de Bonaparte n’est-il pas devenu une prison dorée quand Napoléon a été sacré empereur ?
David est fasciné par Bonaparte. Il voit le général comme l’homme providentiel qui va trouver un avenir à la Révolution. Sous Napoléon Ier, c’est beaucoup plus complexe pour l’artiste parce qu’il est couvert d’honneur et qu’en même temps, sa liberté de mouvement et de parole sont bien plus faibles puisque l’Empire contrôle tout, jusqu’aux sujets et aux prix des œuvres. A ce moment-là, Jacques-Louis David espérait aussi devenir un nouveau Charles Le Brun, diriger les arts, comme il l’avait fait sous la Révolution, mais ça n’a pas été le cas.
Au-delà de ces combats politiques, comment résumer David le peintre, dans son évolution et dans son style ?
Qu’il n’est absolument pas, contrairement à l’image qu’on a pu en avoir, un peintre qui a figé les choses une fois pour toutes et qu’il n’a jamais interrompu sa quête picturale. On le voit particulièrement dans ses portraits, avec ses fonds et ses gammes colorées. Si on regarde la qualité des blancs de Madame Récamier, par exemple, si on isole un détail du tableau, on a l’impression que c’est de Manet. Chez David, la vivacité de la touche, la qualité chromatique, sont omniprésentes.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2025-11-08 10:00:00
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