Alors que la ville de Belém accueillera à partir du 10 novembre prochain la trentième Conférence des Parties, le format des COP reste-t-il encore pertinent pour faire avancer la cause climatique ? Nils Gilman conseiller principal de l’Institut Berggruen, en doute. Du moins dans sa forme actuelle. Dans un entretien à L’Express, cet historien reconnaît un mérite indéniable à ce rendez-vous, notamment celui d’avoir inscrit le changement climatique à l’agenda mondial, mais il se montre pour le moins sceptique quant à « l’architecture même du processus des COP, qui repose sur des États-nations aux intérêts souverains divergents, alors même que le problème se situe à échelle planétaire ». Il appelle notamment à repenser le cadre des discussions climatiques à l’échelle internationale. Celui qui décrivait, il y a peu dans nos colonnes, l’avènement d’une nouvelle « guerre froide écologique », estime par ailleurs que « la division entre les États pétroliers et les États électriques sera probablement la ligne de fracture centrale de la géopolitique émergente au cours des deux prochaines décennies, et donc celle qui jalonnera les COP par extension ». Entretien.
L’Express : La COP 30 va s’ouvrir d’ici peu à Belém, au Brésil. Vous n’avez jamais caché votre scepticisme quant à l’efficacité réelle de ce format… Pourquoi ?
Nils Gilman : C’est vrai, mais il faut reconnaître au système des COP un mérite indéniable : celui d’avoir créé un cadre climatique global ainsi que d’avoir inscrit le changement climatique à l’agenda mondial. Le simple fait que de telles réunions aient lieu chaque année depuis trente ans permet de se concentrer régulièrement sur ce problème persistant, ce qui n’est pas rien ! Cela étant dit, je suis effectivement sceptique quant à l’architecture même du processus des COP, qui repose sur des États-nations aux intérêts souverains divergents, alors même que le problème se situe à échelle planétaire. Du reste, il suffit de s’attarder sur le résultat des deux accords historiques – le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015) – pour se rendre compte que cette focalisation sur la souveraineté nationale empêche les COP d’être véritablement efficaces.
Comment cela ?
Le protocole de Kyoto a certes fixé des objectifs d’émissions censés être contraignants, mais ceux-ci ont été pensés de telle façon qu’ils ne s’appliquaient qu’aux pays développés. C’était tout le sens du principe un peu plus ancien des « responsabilités communes mais différenciées », parfois abrégé sous l’acronyme CBDR, selon lequel si tout le monde est responsable devant le changement climatique, les plus grands émetteurs historiques de gaz à effet de serre – donc les pays développés – se verraient imposer des objectifs proportionnellement contraignants en matière d’émissions. Or nous avons rapidement assisté à une augmentation des émissions dans les pays du Sud, en particulier la Chine, qui n’étaient soumis à aucun objectif contraignant en matière d’émissions. Sans parler du fait que de nombreux pays riches et fortement émetteurs n’ont en fait pas respecté bon nombre des directives du Protocole de Kyoto ou en sont tout simplement sortis – le Sénat américain, notamment, n’ayant finalement pas ratifié l’accord.
En partie en réponse à cela, nous avons ensuite obtenu l’Accord de Paris en 2015. Mais cette fois, celui-ci ne comportait pas d’objectifs contraignants. Résultat : bon nombre de pays ont dit prendre des engagements sans, là aussi, les tenir en définitive. Non pas parce qu’ils ne voulaient pas le faire, mais tout simplement parce qu’ils ne sont pas parvenus à atteindre leurs objectifs nationaux. A mon sens, ces deux échecs trouvent leur origine dans l’architecture fondamentale du système des COP : vous ne pouvez tout simplement pas arriver à la table des négociations en tant qu’État-nation, avec tout ce que cela implique d’intérêts économiques propres et divergents à défendre, et espérer qu’un tel processus va porter ses fruits à échelle planétaire.
A vous écouter, on se demande si le format des COP n’a jamais été pertinent…
Comme je l’ai dit, le principal argument en faveur des COP réside dans le fait que celles-ci maintiennent le changement climatique à l’ordre du jour de la politique mondiale et de la discussion médiatique. En ce sens, on pourrait presque les comparer à une séance de thérapie à laquelle les gens se rendent une fois par semaine pour affronter leurs problèmes personnels et en discuter. Seulement, qu’il s’agisse d’une COP ou d’une séance de thérapie, discuter d’un problème ne débouche pas nécessairement sur un changement ! Il faut regarder la réalité en face. Dans le cas du Protocole de Kyoto comme de l’Accord de Paris, cela n’a pas permis de réduire les émissions mondiales de manière globale.
La seule année au cours de laquelle nous avons constaté une réduction nette des émissions à échelle mondiale au cours des dernières décennies était 2020, et c’était dû à la pandémie de Covid-19 – l’économie mondiale s’étant contractée et les vols aériens ayant drastiquement diminué. Nous allons connaître les émissions mondiales les plus élevées jamais enregistrées en 2025. En d’autres termes, si la mission de la COP est de réduire les émissions mondiales, elle a tout simplement échoué. C’est un fait objectif.
Si les émissions n’ont pas diminué, n’auraient-elles pas été pires sans COP ?
La COP a probablement été utile à la marge. Le dernier bilan de l’ONU sur le climat, par exemple, suggère que nous nous dirigeons actuellement vers 2,8 degrés de réchauffement d’ici la fin du siècle, ce qui est inférieur à certaines estimations précédentes. Il est impossible de déterminer de manière définitive si cet « infléchissement de la courbe » résulte principalement des engagements pris lors des COP ou du déploiement rapide des technologies vertes.
Cependant, comme le souligne également ce même rapport, les progrès modestes que le monde est en train de faire pour atténuer les émissions pourraient bien être annulés dans les années à venir, car les États-Unis embrassent pleinement leur rôle de leader de l’axe des pétro-Etats et reviennent sur tout effort de réduction des émissions de carbone. Et les Américains vont essayer de faire pression sur d’autres pays pour qu’ils suivent leur exemple. Pour avoir une idée de l’orientation des choses, le Financial Times a rapporté cette semaine que des émissaires du régime Trump menacent personnellement les négociateurs climatiques d’autres pays, ainsi que leurs familles, pour tenter de les intimider et qu’ils suivent leur ligne.
Comment le système des COP pourrait-il évoluer à l’avenir ?
Il me semble très improbable que les COP deviennent plus efficaces à court terme dans leur format actuel. S’il restera essentiel de poursuivre des négociations plurilatérales, nous sommes de toute évidence entrés dans une ère de montée du néonationalisme et des idéologies néo souverainistes à travers le monde et ce, dans les autocraties comme les démocraties. Qu’il s’agisse du climat, des relations commerciales ou des droits de l’homme, partout où des efforts importants avaient été déployés pour contrer les idéologies nationalistes, nous assistons à un revers important depuis une décennie.
Celui-ci ne sera pas forcément permanent mais ce processus ne va pas ralentir de sitôt. Je suis donc quelque peu pessimiste à court terme. A long terme, soit d’ici dix ou vingt ans, la situation pourrait évoluer selon une ligne de démarcation qui se dessine déjà aujourd’hui entre les pétro-États, tel l’Azerbaïdjan où s’est tenue la COP 29, l’Arabie saoudite, ou encore les Émirats arabes unis – très enclins à collaborer avec des entreprises productrices de pétrole ou de combustibles fossiles – et les électro-États. Et de ce point de vue, la Chine pourrait bien changer la donne.
Lors de notre dernier échange, vous nous disiez que « les investissements massifs de la Chine dans les technologies vertes et la réduction des coûts de production des énergies renouvelables ont plus fait pour la décarbonation que toutes les réunions que la COP n’a jamais organisées ». Cela risque d’en étonner plus d’un…
Les Chinois sont certes actuellement le plus grand émetteur de combustibles fossiles au monde, car ils possèdent la plus grande base industrielle de tous les pays du monde. Et ils se sont manifestement industrialisés à un rythme incroyablement rapide au cours des trente ou quarante dernières années. Mais ils sont aussi le pays qui a réalisé de loin les plus grandes avancées technologiques en matière de construction d’infrastructures d’énergie renouvelable, ainsi que de véhicules et de transports à zéro émission.
Je pense donc que les Chinois vont être en mesure de proposer une offre assez intéressante à de nombreux pays, du Sud en particulier, et peut-être aussi du Nord, afin d’aider ces pays à maintenir leur niveau actuel de consommation d’énergie tout en réduisant leurs émissions grâce à une transition technologique d’un processus de production d’électricité basé sur les combustibles fossiles vers un processus de production d’électricité plus renouvelable. Ainsi, cette division entre les États pétroliers et les États électriques sera probablement la ligne de fracture centrale de la géopolitique émergente au cours des deux prochaines décennies, et donc celle qui jalonnera les COP par extension.
Dans Children of a modest star, que vous avez co-écrit avec Jonathan S. Blake, vous réfléchissiez à un possible nouveau système de gouvernance, et proposiez notamment la création d’un « gestionnaire planétaire de l’atmosphère ». De quoi s’agirait-il ?
Non pas d’une sorte de gouvernement mondial – qui serait une mauvaise idée pour plusieurs raisons. Mais d’une architecture reposant sur la répartition de la souveraineté selon des critères fonctionnels. En clair : une architecture dans laquelle les pays renonceraient à leur souveraineté dans certains domaines spécifiques, à commencer par le changement climatique mais aussi, par exemple, en cas de pandémies. Tout simplement parce qu’au fond, les pays savent qu’ils ne peuvent résoudre ce problème uniquement en utilisant des méthodes souverainistes.
Même si la Chine ou les Etats-Unis décidaient demain de passer entièrement à l’électricité, plus de la moitié des émissions mondiales continueraient, ce qui n’arrivera évidemment pas. Aucun pays ne peut donc résoudre ces problèmes à lui seul. Nous suggérons donc que, pour des domaines fonctionnels très spécifiques, qui sont précisément des domaines que les pays ne peuvent pas gérer seuls, ceux-ci soient confiés à une entité souveraine spécifiquement axée sur ces fonctions, en échange d’une partie de leur souveraineté. Cette entité ne serait pas chargée de prendre toutes les décisions pour un pays, mais de prendre des décisions contraignantes dans ce domaine fonctionnel particulier. Et la raison pour laquelle je pense que les pays pourraient être disposés à le faire est que s’ils constatent les conséquences pour eux-mêmes de l’absence d’une telle entité, ils pourraient être prêts à renoncer à cette partie de leur souveraineté. Mais nous pouvons imaginer une situation qui serait très différente de celle que nous avons proposée dans Children of a Modern Star…
Laquelle ?
Il s’agirait d’une sorte d’accord G2 entre la Chine et les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont historiquement émis plus de carbone dans l’atmosphère que n’importe quel autre pays, car ils ont longtemps été la plus grande économie mondiale. La Chine, quant à elle, est en quelque sorte le représentant ultime d’un modèle de développement réussi dans les pays du Sud. La quasi-totalité de la réduction de la pauvreté que nous avons connue au niveau mondial au cours des cinquante dernières années est le résultat de l’industrialisation de la Chine ! Mais cela a eu un coût sur le plan écologique, puisqu’elle est devenue le plus grand émetteur de carbone au monde. Bref, il se trouve que la Chine est aussi très vulnérable au changement climatique – la plaine côtière étant notamment sujette aux inondations et l’intérieur du pays est touché par la sécheresse. Pékin a donc un intérêt national à lutter contre le changement climatique. Ainsi, si la Chine et les Etats-Unis parvenaient à s’entendre de manière bilatérale pour réduire leurs émissions carbone, alors cela pourrait changer la donne.
Notamment car Bruxelles leur emboîterait sans doute le pas. Ensuite, tout s’enchaînerait sans doute car ces trois blocs sont les principaux partenaires commerciaux de la plupart des pays du monde. Ce qui confère à l’UE, la Chine et les Etats-Unis, un incroyable pouvoir d’influence sur le reste du monde s’ils parviennent à s’aligner. Certains diront peut-être qu’une telle idée serait néocolonialiste, et elle l’est peut-être à un certain niveau. Mais le fait est que cela pourrait avoir un véritable impact sur le plan climatique. Ça n’est toutefois pas la direction que prend la politique actuellement. A commencer par les Etats-Unis de Donald Trump… Comme je l’ai dit lors de notre dernier échange, nous assistons plutôt à une guerre froide écologique entre les électro-États et les pétro-États.
Avez-vous encore des attentes quant à la COP 30, en particulier dans le contexte de la présidence de Donald Trump ?
Je m’attends à ce que ça ne se passe pas bien, ou que les résultats soient plutôt insignifiants. Pour paraphraser Ronald Reagan, les Etats-Unis, qui se posent en meneurs de l’axe des pétro-États, sont en train de devenir une sorte d’empire du mal écologique. Ceux-ci sont activement hostiles à l’idée de toute limite contraignante en matière d’émissions. Ils veulent produire plus, l’indépendance énergétique, et dominer les marchés de l’énergie par les combustibles fossiles.
Pour diverses raisons, les États-Unis se sont lancés à fond dans la révolution du fracking, qui a entraîné une augmentation considérable de la production de combustibles fossiles aux États-Unis, ce que l’administration actuelle considère comme une source importante de puissance nationale. Et ils veulent empêcher tout ce qui pourrait limiter leur capacité à utiliser cela comme un outil géopolitique pour exercer leur pouvoir. Cette administration ne sera pas seulement inutile : elle sera activement hostile en essayant de saper tout ce qui pourrait ressortir du processus de la COP.
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Author : Alix L’Hospital
Publish date : 2025-11-09 11:00:00
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