Le 6 novembre, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Raphaël Enthoven du chef d' »injure publique ». Le philosophe et chroniqueur de Franc-Tireur était poursuivi par La France insoumise pour avoir notamment qualifié le mouvement de « passionnément antisémite ». Un tweet qu’il avait publié le 1er mai 2024, en réaction à l’exfiltration de Raphaël Glucksmann d’une manifestation à Saint-Etienne.
Pour L’Express, Raphaël Enthoven revient sur ce jugement et assure « que la haine des juifs est désormais inséparable de La France insoumise comme elle l’était du FN de Jean-Marie Le Pen », estimant qu’une alliance électoraliste avec la formation de Jean-Luc Mélenchon sera de plus en plus compliquée.
L’Express : Vous avez été relaxé après avoir, par tweet, qualifié LFI de « passionnément antisémite » et de « club de déficients ». Est-ce une bonne nouvelle pour la liberté d’expression ?
Raphaël Enthoven : Mes propos exacts étaient : « La France insoumise est un mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite… Et ils sont tellement cons qu’il n’est même pas nécessaire de les corrompre pour qu’ils reprennent à la lettre le narratif du Hamas ou de Poutine… On n’en peut plus, de ce club de déficients. » Chacun des termes de ce tweet était choisi. Violent ? Qui en doute, depuis la lecture de La Meute, le livre de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou ? A La France insoumise, la violence est double : à l’extérieur, les insoumis légitiment les émeutes quand ils ne les encouragent pas (comme le député Thomas Portes qui a félicité les gens ayant interrompu le concert de l’Orchestre national israélien à la Philharmonie de Paris, et a prévenu que des actions semblables seraient menées partout) ; à l’intérieur, la violence est l’unique mode de gestion d’un groupe qui, n’étant pas ordonné par un vote, exclut arbitrairement toute parole dissidente (Corbière, Ruffin, Autain, Guénolé…). Complotiste ? Là encore, rien de nouveau. LFI est dirigée de main de fer par un fou qui pense depuis 2012 et les crimes de Mohammed Merah, que les attentats sont organisés par « l’oligarchie » pour se faire réélire, ou qui estime que le Crif dicte sa loi au gouvernement français. Que faut-il de plus ?
Quant au diagnostic de leur « connerie » ou de leur « déficience », il vaut comme principe d’explication : comment expliquer, autrement que par une bêtise crasse, qu’ils reprennent à la lettre les narratifs de Poutine ou du Hamas sans qu’il soit nécessaire de les corrompre pour ça ? Certains préfèrent l’imputer au cynisme plutôt qu’à la bêtise. Certains préfèrent penser que les insoumis savent ce qu’ils font quand ils soutiennent des terroristes, quand ils excluent des juifs d’un amphi ou quand ils parlent comme le Hamas. Pourquoi pas ? Sottise ou cynisme ? Peut-être les deux. Le parti de Sébastien Delogu et d’Ersilia Soudais est aussi le parti de David Guiraud ou de Rima Hassan. Une objective déficience y voisine avec un calcul électoral sans scrupule. En tout cas, c’est un débat.
Enfin, l’expression « passionnément antisémite » est étayée par la majorité des prises de position insoumises depuis plusieurs années, qu’il serait trop long de détailler, mais qui, dans leur ensemble, relèvent de l’antisémitisme le plus caricatural : aux yeux des insoumis, de leurs trolls et de leur chef, les juifs sont un peuple déicide et conservateur, les juifs tiennent les médias et les banques et les juifs commettent un génocide. Là encore, que faut-il de plus pour parler d’une « passion antisémite » ?
Ainsi le tribunal, tout en reconnaissant le caractère outrageant de mes paroles, reconnaît également qu’elles ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression car « les propos poursuivis s’inscrivent par leur contenu dans le sillage d’un débat d’intérêt général majeur, suscité par un fait d’actualité [l’agression de Raphaël Glucksmann en marge de la campagne pour les élections européennes de 2024] dans lequel une responsabilité dans ce climat de haine et de violence sur fond d’antisémitisme, comme l’a dénoncé Raphaël Glucksmann, a été imputée à La France insoumise, mais prenant également sa source dans tout un ensemble de polémiques récurrentes à propos de pratiques et de propos jugés violents, outranciers, complotistes et/ou antisémites de membres du mouvement La France insoumise. »
Donc oui, ma relaxe est une excellente nouvelle pour la liberté d’expression. Il doit être possible de dire d’un parti (d’une secte plutôt) hanté par la haine du juif et la bêtise la plus crasse que c’est un « club de déficients passionnément antisémite. » Désormais, un tel avis fait partie du débat au titre d’une opinion recevable et défendable.
LFI a mis en avant le fait que le parti n’a jamais été condamné pour antisémitisme, contrairement à Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national…
C’est vrai, mais cet argument ne vaut pas un clou. Erik Tegnér, l’extrême-droitier directeur de Frontières, a récemment déclaré à propos de Yaël Braun-Pivet : « Cette dame-là, c’est vraiment la finition du macronisme. Macron, c’est quoi ? C’est le mariage d’Alain Minc, l’argent-roi, et de Jacques Attali, l’homme-nomade ! » Comme un seul homme, les insoumis ont alors dénoncé (à juste titre) l’antisémitisme ontologique de tels propos qui associent le juif à la finance et à l’apatridie. Lui ont-ils fait un procès pour autant ? Bien sûr que non. Il n’y a pas matière à poursuivre Tegnér, dont les paroles sont, par ailleurs, incontestablement antisémites.
De façon générale, il existe mille façons d’être antisémite à l’abri de la loi. Quand on présente, comme Jean-Luc Mélenchon, le peuple juif comme déicide et conservateur, quand on soupçonne le Likoud de faire perdre les travaillistes anglais ou bien le Crif de dicter sa loi au gouvernement français, quand on indexe, comme Aymeric Caron, les opinions de BFM sur celles de Patrick Drahi, quand on fait entrer à l’Assemblée des députés qui reprennent la terminologie soralienne des « dragons célestes » pour désigner les juifs (comme David Guiraud), quand on dit, comme Thomas Portes, à un Français juif agressé qu’il a toute sa place en France (comme si ça n’allait pas de soi), quand on caricature Cyril Hanouna en juif Süss, quand, comme Aymeric Caron, chaque fois qu’un drame touche la communauté juive, on tente d’attirer l’attention sur quelque chose qui nous paraît plus grave, quand on traite un juif de « sioniste » parce qu’il est juif et non parce qu’il est sioniste (comme Aly Diouara avec Raphaël Glucksmann), quand on parle d’une chasse aux juifs dans les rues d’Amsterdam comme d’un juste retour de bâton contre le hooliganisme, quand on tient pour « résiduel » (comme Mélenchon) l’antisémitisme en France alors que les actes antisémites ont augmenté de 1 000 %, quand on accuse, comme Mélenchon, Yaël Braun-Pivet de « camper à Tel-Aviv pour encourager le massacre », ressuscitant ici un trope antisémite séculaire utilisé dès 1890 par Édouard Drumont, qui écrivait « la race juive […] est une race de nomades et de Bédouins ; quand elle a installé quelque part son campement, elle détruit tout autour d’elle », quand on dit du juif Jérôme Guedj que « l’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions »… Eh bien, on est antisémite, sans être condamnable pour autant.
On ne tombe pas sous le coup de la loi quand on reprend implicitement le lexique de Drumont, on ne tombe pas sous le coup de la loi quand on accuse un juif d’être a priori sioniste. Et c’est heureux. Heureusement que la loi ne va pas si loin. Hormis quelques expressions caricaturales que la loi sanctionne (« sale juif », par exemple, est objectivement répréhensible), la haine emprunte des chemins plus subtils et se combat sur le terrain de l’opinion plus que devant les tribunaux.
Enfin, j’ajoute que les insoumis sont les premiers à accuser leurs adversaires de « racisme » ou de « harcèlement » (qui sont également des délits) sans leur faire un procès pour autant. Or, de même qu’il existe un « racisme systémique » tissé de « micro-agressions » qui ne tombent pas sous le coup de la loi, il existe un antisémitisme systémique, qui se manifeste sans qu’on puisse le réprimer.
LFI réfléchit à faire appel. Selon son avocat, cette décision « annihile l’injure publique ». N’ouvre-t-on pas la porte à toutes les insultes à l’encontre de figures politiques, déjà bien maltraitées sur les réseaux sociaux ou dans la rue ?
Je les entends s’indigner, vitupérer, protester… Mais, bizarrement, je doute qu’ils fassent appel. Qui vivra verra. En tout cas, la décision du tribunal n’annihile pas l’injure publique mais insiste sur le contexte dans lequel mes mots ont été prononcés et conclut, en vertu de l’attitude-même des insoumis, que dénoncer la sottise, le cynisme, le complotisme, la violence et l’antisémitisme de cette secte relève du débat public. Encore heureux. J’ajoute que la plupart des injures qui sont adressées aux politiques brillent par leur absence d’arguments. Ce n’est pas mon cas. Et si injurieux soient-ils, mes mots ont été choisis avec précaution et désignent des réalités difficilement contestables.
Le livre enquête La Meute que vous avez cité, tout comme Les Complices du mal d’Omar Youssef Souleimane, qui fustige la complaisance des insoumis par rapport aux islamistes, sont des best-sellers. Y a-t-il eu cette année un tournant dans la perception de ce parti, alors qu’en 2024, il se présentait encore sous la bannière du Nouveau Front populaire ?
Il faut aussi citer l’excellent livre de Nora Bussigny, Les nouveaux antisémites qui est une enquête et un réquisitoire implacable sur la haine anti-juive à l’ultra-gauche, et qui caracole au sommet des ventes. Gloire et honneur à tous les limiers qui documentent les saloperies innombrables, de l’antisémitisme à la complaisance pour l’islamisme et le terrorisme, dont ce sinistre mouvement se rend quotidiennement coupable. Tous ces livres sont le signe que l’opinion est effectivement en train d’évoluer et que la haine des juifs est désormais inséparable de La France insoumise comme elle l’était du FN de Jean-Marie Le Pen. Je souhaite bon courage à tous ceux qui, à gauche, voudront s’allier avec eux pour sauver leurs circonscriptions.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-11-10 07:12:00
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