Nous l’avions rencontré en 2023. A l’époque, Pascal Lamy, qui préside la Commission climatique sur le dépassement (climate overshooting commission), nous avait prévenus : puisque les grandes négociations sur le réchauffement s’embourbent, il nous faut préparer un plan B, une stratégie visant à étudier des solutions technologiques qui ne sont pas forcément consensuelles comme la géo-ingénierie solaire. Deux ans plus tard, l’ancien dirigeant de l’OMC persiste avec l’idée d’un moratoire permettant d’encadrer ces recherches. Cependant, débattre de ces questions reste extrêmement difficile.
L’Express : La commission que vous présidez rencontre-t-elle plus d’écho aujourd’hui qu’il y a deux ans ? Le dépassement du seuil de deux degrés semble de plus en plus probable. Les Nations Unies parlent désormais de 2,3 à 2,5 degrés si tous les plans annoncés par les pays signataires des accords de Paris sont appliqués.
Pascal Lamy : Effectivement, la situation devient plus claire. Il y a deux ans, on était encore obligés de prendre quelques précautions pour évoquer le dépassement. Désormais, celui-ci devient un consensus scientifique.
Les défenseurs du climat sont toujours là, poussant à mettre en place des politiques plus vertueuses. Mais leurs opposants restent nombreux et il faut bien l’avouer, nous sommes un peu débordés. Les Etats-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, participent au backlash écologique. La Chine fait elle aussi de la résistance, même si en vitrine elle nous montre beaucoup de technologies vertes. En Europe, nous entrons dans la partie difficile de la transition écologique qui est également une transition sociale. Enfin, les pétroliers ont repris du poil de la bête et poursuivent leurs activités de lobby. Le résultat de tout cela, c’est que la situation ne se présente pas bien. L’idée selon laquelle il va peut-être falloir réfléchir à d’autres modalités en cas d’urgence, progresse. Ce n’est pas une révolution, mais on voit tout de même une évolution. De notre côté, nous avons raffiné notre stratégie sur ce sujet épineux.
Concrètement, que proposez-vous aux pays intéressés ?
Nous leur proposons d’entrer dans un cadre. Pour faire simple, on permettrait à un pays de faire tout ce qu’il veut en matière de recherche. Il s’agirait par exemple de travaux sur la gestion du rayonnement solaire, cette idée consistant à répandre dans l’atmosphère des particules capables de renvoyer vers l’espace une partie de la chaleur que la Terre reçoit. Mais en même temps, on interdirait à ce même pays toute expérimentation pouvant avoir un impact sur les nations voisines.
Ce cadre de réflexion peut paraître lunaire dans nos pays occidentaux. Cependant, nous avons récemment organisé une session à l’Onu durant laquelle le ministre des Affaires étrangères du Ghana est intervenu. Et son message disait en substance : « nous avons besoin de regarder de près ces technologies, je comprends bien qu’au Nord vous ayez d’autres préoccupations, mais pour nous c’est vital ». Cette différence de perception entre pays nous conduit d’ailleurs à penser que ces efforts de recherche devraient être largement pris en charge par les pays du Sud. Le problème est d’arriver à débattre de ces questions de manière globale. Quels efforts met-on sur les différentes options disponibles : décarbonation, adaptation, capture du carbone, géo-ingénierie… C’est extrêmement difficile.
La COP30 qui se déroule au Brésil défend d’autres idées : un fonds pour les pertes et dommages, des produits financiers permettant de protéger la nature en échange d’un rendement… N’est-ce pas plus réaliste ?
Les COP ont leur utilité. Pour rappel, elles sont constituées d’une zone bleue dans laquelle agissent les diplomates et d’une zone verte, qui accueille la société civile, les entreprises, le monde académique, les villes… Par expérience, on voit qu’il ne se passe pas grand-chose dans la zone bleue. En revanche, beaucoup de choses émergent de la zone verte. Si par exemple, les cinq premières entreprises de commerce maritime au monde se mettent d’accord pour mettre en place le verdissement de leur carburant et de leurs bateaux, c’est beaucoup plus important qu’un paragraphe concocté par des diplomates dans le texte final d’une COP.
Pour ma part, je souscris à l’idée poussée actuellement par le Brésil de créer une plateforme informelle sur le commerce et l’environnement afin d’essayer de déloquer des conversations (avant même toute négociation) entre Etats. Les accords de Paris ont fermé les possibilités d’échanges entre souverains en fixant un objectif global sans mode d’emploi précis ni contrôle.
Aujourd’hui, les pays en développement ne veulent pas parler à l’OMC de leurs préoccupations climatiques car cet organisme s’occupe de commerce et pas d’environnement. De leur côté, les pays développés ne veulent pas parler à la COP car il s’y traite de climat et pas de commerce. Les brésiliens ont du crédit des deux côtés. Espérons qu’ils puissent créer un nouveau champ de discussion. Mon diagnostic reste le même malgré tout. Sur les questions climatiques, nous sommes au pied du mur. Se concentrer sur la baisse des émissions de CO2 est normal. Tout commence par là. Mais cela ne suffira pas. Il faut donc aussi regarder toutes les options technologiques possibles.
Source link : https://www.lexpress.fr/environnement/en-marge-de-la-cop30-le-plaidoyer-de-pascal-lamy-il-faut-relancer-les-discussions-entre-etats-IINZXTLK3BEYLEWWAIEY6XCBUE/
Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-11-14 17:32:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
