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Frédéric Dabi : « Deux scénarios se dessinent aux élections municipales… »

Frédéric Dabi : « Deux scénarios se dessinent aux élections municipales… »

Drôle de campagne que celle-ci… Les élections municipales de 2026 sont dans toutes les têtes, surtout à l’Assemblée nationale, qui compte un bon vivier de candidats, mais la campagne n’a pas vraiment commencé, l’urgence étant l’adoption d’un budget. À quoi peut ressembler cette étrange campagne, à un an de l’élection présidentielle ? La situation est-elle comparable à celle de 2001 ? Comment notre regard sur les maires évolue-t-il ? Quelques éléments de réponse avec le directeur général de l’Ifop, Frédéric Dabi, coauteur, avec Brice Soccol, politologue et essayiste, de L’écharpe et les tempêtes (L’Aube). Entretien.

L’Express : En quoi ces élections municipales seront-elles différentes des précédentes ?

Frédéric Dabi : Il y a deux inconnues majeures. D’abord, la participation. Dans ce contexte si compliqué où les Français sont perdus, la question se pose : vont-ils voter ? Je participe comme intervenant à de nombreux congrès de maires locaux et ce qu’ils me renvoient, c’est que les administrés n’y comprennent rien, ne voient plus le politique agir. Il y a cette « éclipse du politique » dont je parle souvent. Le politique apparaît comme un astre mort.

Deux scénarios se dessinent : soit un repli vers le local, avec une mobilisation forte en hommage au seul élu de confiance qui reste dans le pays ; soit une défiance qui contamine même le local, dans un contexte de « descente de charges » où les enjeux nationaux non traités redescendent à l’échelle locale. La deuxième grande inconnue, c’est le cycle électoral. Qu’est-ce qui nous assure que le prochain scrutin sera bien municipal ? Le spectre d’une dissolution, même moins probable qu’il y a quelques semaines, est toujours là. L’impact sur les municipales serait très fort en termes de participation, de formations de coalitions, notamment à gauche.

Comme en 2001, le scrutin aura lieu un an avant l’élection présidentielle. Les deux situations sont-elles comparables ?

Elles ne le sont pas tout à fait. Jacques Chirac était un président cohabitant qui profitait de la situation. Emmanuel Macron n’est pas en cohabitation stricte et ne profite absolument pas de la situation née de la dissolution, bien au contraire ! C’est un président démonétisé, avec un niveau de rejet record.

La politisation est d’un autre ordre : c’est le dernier scrutin avant l’élection reine, la présidentielle de 2027. Tous les partis ont conscience qu’ils jouent gros. Un PS qui perdrait de nombreuses villes, une France insoumise qui ne percerait nulle part, un RN qui ne gagnerait pas de grandes villes, en dehors de Toulon… Tout cela aurait nécessairement des effets sur la présidentielle.

Vous évoquez une autre nouveauté : l’international qui s’invite dans les campagnes locales…

C’est du jamais-vu. Traditionnellement, les questions internationales étaient complètement absentes d’une élection municipale. Là, les Français s’intéressent de plus en plus à l’international parce qu’ils se disent que ce qui se passe en Ukraine, dans le bureau Ovale de Donald Trump ou à Gaza peut avoir un impact sur leur vie quotidienne. Rappelons que le 13 novembre 2015, les Français ont payé pour le voir.

Des maires nous parlent de l’Ukraine, de Gaza qui s’invite dans la campagne, de l’utilisation de l’international pour délégitimer un maire qui ne mettrait pas tel ou tel drapeau sur le fronton de sa mairie. Dans notre sondage, un quart des Français déclarent vouloir voter en fonction de considérations internationales. Cela monte à presque 45 % chez les jeunes, à 40 % dans les quartiers populaires. Cette globalisation de l’opinion est totalement inédite.

Vous montrez par ailleurs, dans votre livre, que la prime aux sortants est fragilisée…

Dans notre enquête Ifop pour La Tribune Dimanche (mené du 21 au 28 octobre auprès de 2 525 Français habitant des communes de plus de 5 000 habitants), le souhait de réélection du maire est à 50-50. Cet indicateur ne constitue pas une intention de vote précise, mais c’est le reflet de cette défiance qui commence à contaminer le local. Il y a ce besoin de réassurance sur l’avenir de la ville, d’avoir des imaginaires locaux puisque les imaginaires nationaux n’existent plus.

Ce 50-50 devient même un « non » majoritaire (52 %) dans les villes de plus de 20 000 habitants. C’est le reflet de nouvelles contraintes : pression sur les maires pour dégager des projets, descente de charge avec des enjeux nationaux non traités qui redescendent localement alors que le maire est souvent impuissant et exigences croissantes des citoyens. Ce décalage entre les demandes des citoyens et l’impuissance relative des maires crée une frustration, qui alimente la défiance.

Pour autant, vos enquêtes d’opinion montrent que le maire reste l’élu préféré des Français. Comment expliquer ce paradoxe ?

Oui, avec 62 % de satisfaction dans les villes de plus de 5 000 habitants – contre 16 % pour Emmanuel Macron, soit 46 points d’écart. Mais 62 %, ça veut dire 38 % de mécontents, plus de 40 % dans les villes de plus de 100 000 habitants. Les maires ont remporté une victoire par forfait sur les élus nationaux que l’on ne voit plus. Mais c’est peut-être une victoire à la Pyrrhus.

Ils sont souvent définis comme des « urgentistes territoriaux », confrontés à un degré d’exigence jamais vu des Français. Le « j’ai droit parce que je paie » revient très largement. En quelques années, nous sommes passés du citoyen au consommateur de services publics. Si ces 38 % de mécontents se coalisent dans une liste opposée au maire sortant, ça donne un premier tour compliqué.

Faut-il s’attendre à un « dégagisme municipal » ?

Non, je n’y crois pas. C’est l’élection qui conduit le moins à des changements de majorité. En 2014, quand la gauche perd 171 villes de plus de 10 000 habitants, plus de 70 % des équipes municipales sont finalement reconduites. Mais attention à la lecture symbolique : quelle impression aurait-on si Paris, Lyon, Marseille, Nice, Lille et Toulouse changeaient d’étiquette politique au soir du 22 mars ? C’est peu probable que toutes bougent, mais ce n’est pas impossible.

Le risque, c’est qu’on ne voie pas le fait majeur – environ 75 % des communes reconduisent leur équipe – au profit d’une focalisation sur les symboles, comme en 2001 où on n’avait pas vraiment analysé les nombreuses défaites connues par des ministres du gouvernement Jospin.

Vous comparez le maire d’aujourd’hui à Rémy Bricka, cet « homme-orchestre » capable de tout faire en même temps…

Oui, c’est une image très parlante ! Rémy Bricka, c’était l’homme tout seul avec son attirail, ses feux d’artifice, sa colombe, son harmonica, sa guitare et sa grosse caisse. Quand je vois les maires, notamment dans les petites communes – j’ai sillonné l’Aveyron, le Cher, la Creuse et de nombreux autres départements –, c’est exactement ça. Un maire de 2 000 habitants, quels moyens a-t-il ? Récemment, un reportage sur LCI montrait un maire qui n’arrivant pas à obtenir les financements pour rénover un bâtiment, donc il l’a fait lui-même avec sa femme et son beau-frère. Et puis, dans ce contexte, le maire peut d’autant moins dire « je ne peux pas m’en occuper » ou « ce n’est pas ma faute, c’est l’autre ». Il est attendu au tournant.



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Author : Sébastien Schneegans

Publish date : 2025-11-15 11:00:00

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