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Guerre en Ukraine : la capture de Pokrovsk, une victoire qui coûterait cher à la Russie

Guerre en Ukraine : la capture de Pokrovsk, une victoire qui coûterait cher à la Russie

Après des mois d’un inimaginable bain de sang, la bataille pour la ville de Pokrovsk s’approche dangereusement de son épilogue. Confrontées à des infiltrations incessantes de troupes russes par le sud et la menace d’un encerclement par le nord, les forces ukrainiennes apparaissent dans une position de plus en plus précaire pour assurer la défense de la cité. La prise de cette localité – comme celle de la ville jumelle de Myrnohrad avec laquelle elle formait un ensemble d’environ 100 000 habitants avant la guerre – serait la plus importante enregistrée par l’armée russe depuis celle d’Avdiivka en février 2024. Une conquête qui ne manquerait pas d’être mise à profit politiquement par Vladimir Poutine, alors qu’il a fait de la capture du Donbass son objectif numéro un.

Difficile néanmoins de faire abstraction de l’hécatombe consentie par ses forces pour en arriver là. « La conquête de Pokrovsk serait plus une victoire politique que militaire, abonde le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. Sur le plan militaire, c’est un effort disproportionné par rapport aux gains. » A Pokrovsk comme dans le reste du pays, les pertes enregistrées par l’armée russe sont abyssales. Rien qu’en octobre, on en compterait au moins 25 000 (morts, blessés, disparus), principalement dans cette ville, a annoncé Volodymyr Zelensky devant la presse le 7 novembre. Quelques jours plus tôt, les renseignements britanniques en recensaient plus de 350 000 dans l’ensemble du pays depuis le début de l’année. Cela, pour une progression d’un peu moins de 3 500 kilomètres carrés – soit environ la moitié d’un département français.

« Militairement, sa valeur s’est fortement réduite »

Sur le plan stratégique, Pokrovsk a en outre vu son intérêt baisser au fil du temps. Autrefois plaque tournante de premier plan pour approvisionner le front grâce à ses nombreux axes logistiques, la ville a vu ce rôle décliner au fur et à mesure de l’avancée russe. « Avec le rapprochement de la ligne de front, c’était devenu un cul-de-sac, confirme le général Richoux. Militairement, sa valeur s’est fortement réduite. » Résultat, les Ukrainiens n’ont eu d’autres choix au cours des derniers mois que de trouver des voies d’approvisionnement alternatives, pour couvrir les besoins de leurs troupes engagées dans ce secteur. Réduisant du même coup l’importance du hub constitué par Pokrovsk dans la conduite des opérations.

La capture de la ville n’en resterait pas moins un coup dur pour les forces ukrainiennes, qui continuent résolument à s’y accrocher. Pourrait-elle ouvrir la voie à une brèche plus large dans leurs défenses ? A ce stade, le scénario d’une percée des forces russes au-delà des frontières de la ville semble encore improbable, pointent les observateurs militaires. « Les forces russes manquent d’élan et leur mode de combat actuel ne leur permettra pas d’en gagner, souligne, dans un récent post, Michael Kofman, chercheur principal au Carnegie Endowment for International Peace. L’infiltration [des Russes] permet une offensive progressive, mais ne peut aboutir à des percées opérationnelles significatives. » Les Ukrainiens disposent par ailleurs de lignes de défense où se replier et réorganiser leurs forces. « La défense de Pokrovsk avait créé des élongations dans le dispositif ukrainien, ajoute le général (2S) Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. Un possible retrait des Ukrainiens sur des positions arrières leur permettrait de consolider la ligne de front. »

Ceinture de forteresses

De fait, même en cas de prise de Pokrovsk, la route vers la conquête de l’ensemble du Donbass – environ 10 % sont toujours sous contrôle ukrainien – s’annonce encore longue et coûteuse pour les forces russes. Depuis la prise d’Avdiivka en février 2024, à une quarantaine de kilomètres plus à l’est, il leur a fallu pas moins de 21 mois pour parvenir jusqu’à Pokrovsk. Et le plus dur reste à venir. Plus au nord, l’Ukraine dispose encore de sa « ceinture de forteresses », sa principale ligne de défense fortifiée dans l’oblast de Donetsk depuis 2014. Composée de plusieurs villes bastions dont Sloviansk et Kramatorsk, deux cités distantes d’une dizaine de kilomètres l’une de l’autre, qui rassemblaient avant le conflit près de 300 000 habitants, elle constitue encore un obstacle majeur que les Russes n’ont pas les moyens de franchir dans un avenir proche.

Reste une inconnue de poids : l’impact qu’aurait la conquête de la ville sur Donald Trump qui, à plusieurs reprises cette année, n’a pas hésité à faire pression sur l’Ukraine pour la pousser à rendre les armes. « La Russie craint énormément les décisions radicales que pourraient prendre les Etats-Unis en cas d’échec sur le champ de bataille, a résumé Volodymyr Zelensky début novembre. C’est pourquoi il est crucial pour elle de tout faire pour s’emparer de Pokrovsk, quel que soit le moyen, afin de revendiquer une victoire militaire. » Un moyen pour le chef du Kremlin d’essayer de renforcer sa position dans les négociations en vue d’un cessez-le-feu réclamé par le président américain. Et peut-être lui faire oublier que la partie est encore loin d’être gagnée.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2025-11-18 06:30:00

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