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« Tu seras un écrivain, mon fils » : entre François Mauriac et Claude, une correspondance pleine de pudeur

« Tu seras un écrivain, mon fils » : entre François Mauriac et Claude, une correspondance pleine de pudeur

François Mauriac n’a pas rêvé, toute sa vie, d’être une hôtesse de l’air. Aussi, quand son fils Claude décide à l’adolescence qu’il sera pilote comme son héros Guynemer, il le recadre sèchement : « Mais je voudrais qu’à 13 ans tu fusses capable de comprendre que l’aviation n’est pas un métier. Il n’y a aucun espoir que tu puisses être Lindbergh ou Pelletier-Doisy. Tu imagines que pour conduire les avions postaux ou autres, on trouve des professionnels, des gens costauds, des mécaniciens, enfin, ce que tu ne seras jamais. »

Très tôt, Mauriac a d’autres projets pour son rejeton : il sera écrivain ou rien. En 1938, il lui écrit ainsi : « Ce prolongement de moi-même en toi compte beaucoup plus que tu n’imagines. » Idée qui revient quelques mois plus tard : « Enfin, je suis fier de mon garçon. Et il est délicieux de se dire qu’on continuera de vivre après sa mort dans un être différent et pareil, plus lucide et qui aura profité de vos expériences… » Un an plus tard, rebelote : « Tu peux être un des guides de ta génération. » Puis : « Car la vie continuera sous une forme ou sous une autre et tu seras une des têtes de ta génération. De cela, je suis sûr. Alors ménage-toi. Quant à tes angoisses au sujet d’un métier, il n’y a plus l’ombre d’un doute : tu es écrivain, tu écriras ; tu seras peut-être l’auteur de l’œuvre que j’aurais pu écrire. » Une sacrée pression, dirait-on aujourd’hui…

Un géniteur distant

Né en 1914, Claude Mauriac grandit entre Paris et la Gironde à l’ombre de ce géniteur distant, souvent absent, qui aurait pu être un personnage de La Montagne magique – il faut lire les lettres où cet homme tourmenté, cérébral et souffreteux évoque sa santé.

Mauriac père connaît la gloire en 1925, à 40 ans, grâce à son livre Le Désert de l’amour, qui reçoit le Grand prix du roman de l’Académie française. Un cancer du larynx précipite son élection à ladite Académie, où il est reçu en 1933. A 48 ans, il est une autorité du monde des lettres. Encore jeune, il se met à jouer au vieux monsieur (l’un de ses leitmotivs), et émet des doutes sur sa postérité, comme quand il avoue ceci à son fils, en 1939 : « Tristesse de ce que tu écris de mon œuvre. Et je n’ai jamais cru qu’elle durerait. » Pense-t-il sincèrement que la relève fera mieux ? Quoi qu’il en soit, tous ses espoirs reposent sur les épaules de Claude.

Ça n’a pas dû être simple d’être Mauriac fils. S’il a commencé à tenir son journal intime dès ses 15 ans, ayant atterri de ses ambitions d’aviateur, Claude se cherche après la guerre un père de substitution en la personne du général de Gaulle, pour lequel il travaille. Il faut croire qu’il est ardu de s’émanciper de la tutelle de ce père académicien (et bientôt lauréat du prix Nobel de littérature) : Claude ne quitte l’appartement familial de l’avenue Théophile-Gautier à Paris que lorsqu’il se marie, en 1951, alors qu’il a 37 ans !

Bien qu’il écrive depuis longtemps dans la presse, le génie tant attendu ne publie son premier roman qu’en 1957, à 43 ans. Titre du livre : Toutes les femmes sont fatales. C’est le clash. Mauriac père envoie à son fils une lettre glaciale qui se termine par : « Je ne te parlerai plus de ce livre fatal. Tristement à toi. » Le ton se radoucit en 1959 quand Claude décroche le prix Médicis pour Le Dîner en ville. Le voici acoquiné avec la bande du Nouveau Roman – il pose sur la photo historique prise devant les locaux des éditions de Minuit, entouré d’Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Jérôme Lindon, Robert Pinget, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute et Claude Ollier. Est-il devenu l’écrivain que son père fantasmait vingt ans avant ? Pas sûr. Pendant ce temps-là, Mauriac tient son Bloc-Notes dans les pages de L’Express – tout en se plaignant de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans sa correspondance. Il quittera nos colonnes en 1961.

« Je te dis toute ma tendresse » (la phrase est du père) regroupe des lettres datées de 1926 à 1970, année de la mort du patriarche. Il y a beaucoup de pudeur entre les deux épistoliers. Par deux fois seulement, Claude se déboutonne : on conseille les deux missives pleines de reproches qu’il adresse à son père, la première fois le 28 décembre 1934, la seconde le 11 juillet 1955. Le mystérieux Mauriac répond alors en peu de mots, laissés à la méditation de Claude : « Oui, nous ne parlons pas. Mais à qui parle-t-on vraiment ? Il n’y a qu’au théâtre que les gens s’expliquent. Les paroles de la vie courante sont faites pour couvrir ce que nous nous disons en secret – ce que nous nous disons éternellement. »

« Je te dis toute ma tendresse » par François et Claude Mauriac. Albin Michel, 682 p., 35 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-11-22 07:00:00

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