L’Express

Taxe Zucman : quand les universitaires flottent dans un monde parallèle, par Denys de Béchillon

Taxe Zucman : quand les universitaires flottent dans un monde parallèle, par Denys de Béchillon

Je suis fasciné par l’aptitude d’un bon nombre de mes camarades universitaires à flotter dans un monde parallèle. Prenez Zucman et sa taxe. À la question de savoir si, par hasard, elle n’aurait pas au bout du compte des effets calamiteux, l’intéressé répond invariablement que les études – entendez, la littérature académique ou ses morceaux très choisis – montrent que non, pas du tout, et qu’il n’y a aucun souci à se faire : les contribuables fortunés ne s’exileront pas tant que ça ; les capitaux ne fuiront pas tant que ça ; le rendement de l’impôt ne baissera pas tant que ça ; la démoralisation des entrepreneurs ne sévira tant que ça ; pas plus que leurs conséquences sur l’activité, l’investissement, l’emploi…

Ayant perçu l’inverse au contact du monde des affaires, je finis par me demander comment ce genre de carabistouilles peut naître, croître et s’imposer avec autant de facilité.

Ô, bien sûr, il y a la mauvaise foi ; tout ce qui, grâce à elle, fait que l’on ne voit pas ce que l’on veut surtout ne pas voir. Piketty n’a aucun scrupule à ignorer l’aggravation de la menace militaire et les faiblesses structurelles de notre défense nationale parce qu’elles contrarient son projet d’allocation massive de ressources à des programmes sociaux. Zucman, tout à son projet de « justice », rationalise son envie de faire payer les riches en confectionnant sur mesure la théorie économique qui va bien et lui permet de planer au-dessus de toute prédiction contraire. Ce n’est pas la vérité qui guide le monde, c’est l’affirmation.

L’idéologie, tout aussi évidemment. On « scientifise » un projet politique, et on le fait d’autant mieux qu’on dispose d’un immense réservoir de passions tristes pour faire passer la pilule : la colère d’une partie de la population, sa compréhensible jalousie, les automatismes mentaux fabriqués par l’histoire et la culture de chacun, l’identité politique – notamment « de gauche » … Bref, les postures savantes de nos chers collègues sont ostensiblement corrompues par leur arrière-fond partisan, mais – et c’est l’une des ressources de l’adhésion qu’elles suscitent – leur clientèle n’en conçoit aucun trouble. Bien au contraire.

Un impact calamiteux

Tout cela allant presque de soi, je voudrais suggérer qu’un autre paramètre, plus subtil, contribue à la déréalisation propre à ce genre de système de pensée. Amusant paradoxe : c’est l’un des grands héros de la gauche – Bourdieu – qui a le mieux décrit, dans ses Méditations pascaliennes, le mal dont souffrent (aussi) nos amis (et une large part de l’université avec eux). Il appelait ça « l’illusion scolastique ». Entendez par là la disposition qui consiste, pour les intellectuels : 1) à ne lire le monde qu’au travers des théories ; 2) à n’avoir confiance qu’en ce qu’elles enseignent ; 3) à le prendre, lui, pour ce qu’elles en disent, elles. On y est en plein.

Quiconque se préoccupera d’aller voir ce que pensent pour de bon les entrepreneurs – y compris ceux qui seraient loin d’avoir à payer une taxe de type Zucman – saura aussitôt qu’elle aurait très probablement un impact calamiteux, même chez les meilleurs Français : ras-le-bol, frénésie d’optimisation fiscale et de mise à l’abri des capitaux, écrasement du désir d’investir en France, inquiétude devant l’évidence croissante du risque politique, perte de confiance, appauvrissement du pays, dégradations en tout genre… Mais non, pense l’homo academicus : comme ce n’est pas ce que montre la « littérature », rien de tout cela n’est ni vrai ni probable.

Chez nous autres, professeurs, tout est fin prêt pour passer à côté de la plaque : les innombrables biais, notamment idéologiques (rebelote) dont nos travaux sont volontiers entachés, surtout dans les domaines ultrasensibles comme la sociologie, le droit ou l’économie ; les non moins innombrables facteurs plus ou moins avouables dont résulte la sélection des auteurs et des références bibliographiques que nous citons ; l’entre-soi terrifiant de nos rassurantes communautés universitaires, fussent-elles mondialisées, dont nul ne sort à peu près jamais sans ses pincettes d’entomologiste et sans froncer les narines…

Le réel, pourtant, c’est exactement ce que Churchill disait de l’ennemi dans la guerre : si préoccupé que soit le haut commandement par l’élaboration de sa propre doctrine, il est parfois nécessaire de le prendre en considération…

Denys de Béchillon, constitutionnaliste et professeur de droit à l’université de Pau



Source link : https://www.lexpress.fr/politique/taxe-zucman-quand-les-universitaires-flottent-dans-un-monde-parallele-par-denys-de-bechillon-K6Y5O2RCGJCLTEICRZLWCIGWYU/

Author : Denys de Béchillon

Publish date : 2025-11-27 07:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express