L’Express

Les « Bitcoin Treasury Companies » : de Michael Saylor à Eric Larchevêque, une stratégie explosive

Les « Bitcoin Treasury Companies » : de Michael Saylor à Eric Larchevêque, une stratégie explosive

Le roi du teasing. Des jours durant, Eric Larchevêque a chauffé ses réseaux à coups de messages énigmatiques et théâtraux. « L’annonce que je m’apprête à faire est sans précédent : aucune entreprise, en France, en Europe ou dans le monde, ne l’a encore fait », écrivait fin novembre sur X cette star de l’émission Qui veut être mon associé ?, également cofondateur de la société Ledger. Qui précise ensuite : « A toutes les personnes à qui j’ai pitché l’idée, j’ai presque toujours reçu la même réponse : ‘Tu es vraiment prêt pour ce que ça va déclencher ?’ (sic) ».

A l’arrivée, un peu de moqueries sur Internet pour un show plutôt minimaliste, le 24 novembre, sur la scène de l’Espace Clacquesin, une ancienne distillerie de Malakoff, dans les Hauts-de-Seine. Puis, surtout, quelques doutes sur le fond du projet : « The Bitcoin Society », un club privé aux principes flous, adossé à une « Bitcoin Treasury Company » (BTC), le cœur du réacteur. Un business à la fois déjà vu et particulièrement risqué.

Il s’inspire de celui de Strategy (ex-MicroStrategy), une entreprise dirigée par Michael Saylor, qui a inauguré ce type de structure en plein boom des cryptoactifs, en 2020. Le principe : accumuler du bitcoin au sein d’une société cotée en Bourse, et faire grimper la valeur de cette entreprise encore plus vite que le plus célèbre des cryptoactifs. De sorte, à l’arrivée, qu’il soit plus intéressant pour les investisseurs d’acheter une action de Strategy plutôt que du bitcoin lui-même. Comment ? Grâce à un habile effet de levier. Michael Saylor emprunte beaucoup d’argent pour acheter du bitcoin, via de la dette ou des obligations convertibles. Si le bitcoin augmente, le bilan de Strategy gonfle lui aussi, et son action monte en flèche. Ce qui lui permet de financer sa dette, et même, d’emprunter à des conditions toujours plus favorables pour en acheter et conserver toujours plus de bitcoins. Quand cette technique fonctionne, elle finit par créer une prime pour les investisseurs qui transforme l’entreprise en version dopée du bitcoin : acheter l’action offre une exposition amplifiée, sans avoir à gérer de portefeuilles crypto. En 2024, l’action Strategy a ainsi augmenté de 600 %, cinq à six fois plus que le bitcoin durant la même période.

La spirale est entièrement fondée sur une conviction : le bitcoin finira à un million de dollars, ou davantage, grâce à sa rareté programmée à 21 millions d’exemplaires. Rien à voir avec l’euro ou le dollar, « des glaçons qui fondent » sous le soleil de l’inflation, selon l’expression favorite de Michael Saylor. « On assiste à une transition extraordinaire : le bitcoin remplace l’or comme réserve de valeur », assure auprès de L’Express Alexandre Laizet, dirigeant de la société française Capital B, la première du genre à avoir vu le jour en France et qui détient aujourd’hui précisément 2 823 bitcoins (environ 220 millions d’euros à ce jour).

Explosion de BTC

Saylor, Larchevêque ou Laizet ont de bonnes raisons d’y croire. Parti de zéro, dans l’anonymat complet en 2008, le bitcoin a atteint début octobre plus de 125 000 dollars l’unité. Dans ce laps de temps, l’actif performe plus que le S&P 500, un indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées aux Etats-Unis, ou bien l’immobilier. Depuis plusieurs années, beaucoup tentent d’en profiter. En achetant du bitcoin sur une plateforme d’échange comme Coinbase ou Binance. Ou de manière indirecte, en pariant sur les ETF spots, des fonds indiciels spécialisés, qui permettent de répliquer une hausse du bitcoin sans en détenir. Lancés début 2024, ces ETF connaissent depuis un certain succès. Mais ils ne sont pas disponibles partout, notamment au Japon, où MetaPlanet, une des plus importantes Bitcoin Treasury Companies (BTC) de la planète, a prospéré faute d’alternative réglementaire.

Strategy, autrefois une entreprise de logiciels balbutiante, détient aujourd’hui 650 000 bitcoins, plus de 3 % de l’offre totale en circulation. Un trésor d’une valeur d’environ 50 milliards d’euros à ce jour. C’est ce que l’on appelle une « baleine » crypto. Seul Satoshi Nakamoto, le pseudonyme inconnu derrière l’invention du bitcoin, en détiendrait davantage – un million.

Sans surprise, d’autres entreprises en quête d’un nouveau départ ont copié l’idée, comme jadis les entreprises de la bulle Internet qui ajoutaient « .com » à leur nom. MetaPlanet était à l’origine une société hôtelière. GameStop, aux Etats-Unis, anciennement dans le jeu vidéo, a également pivoté vers le bitcoin. En France, Sequans communication a eu une première vie comme entreprise de semi-conducteurs, avant, soudainement, d’empiler les cryptos. Elle inspire enfin de nouvelles structures spécialisées telles que Capital B ou plus récemment The Bitcoin Society d’Eric Larchevêque. Il existe désormais plus d’une centaine de BTC recensées à travers le monde, selon le site spécialisé bitcointreasuries.net. Le business ultime ? Pas si vite…

Risque de krach ?

La dépendance à un seul actif a un défaut évident : tout s’effondre quand le bitcoin stagne ou baisse. Or, c’est précisément ce qui se produit depuis un mois. Par rapport à son plus haut, le bitcoin a perdu environ 30 %. Résultat : les BTC décrochent. Début octobre, Bloomberg a fait état de pertes allant jusqu’à 17 milliards de dollars pour des investisseurs dans les BTC. L’action Strategy a chuté de 40 % sur un mois. MetaPlanet de -70 % sur le semestre. Même dégringolade pour Capital B. L’autre BTC française Sequans Communication a vendu presque 1 000 bitcoins pour absorber le choc. Le cataclysme. Tout l’écosystème a l’oeil tourné vers une métrique, le « Mnav ». Grossièrement, la différence entre la valeur de l’entreprise et ses avoirs en bitcoin. Pour la plupart des BTC, ce ratio approche aujourd’hui 1, voire, descend sous cette limite. Ce qui ôte tout intérêt aux Bitcoin Treasury Companies.

Le pire pourrait être à venir, car le bitcoin n’a peut-être pas atteint son plus bas. « Une détente géopolitique en Ukraine réduirait l’intérêt pour un actif acheté en période de tension », observe Alexandre Baradez, analyste chez IG. « Les BTC doivent surveiller de près leur endettement, rappelle Antoine Andreani, stratège chez XTB. Si le bitcoin perd 85 % de sa valeur, comme il l’a déjà fait lors de période baissière, celles qui ont trop levé pour financer leurs achats pourraient tout simplement sauter ». La chute du cours de l’action active en effet des clauses de remboursement, fait exploser le coût du refinancement, crée une panique chez les créanciers… et conduit fatalement au rachat d’actions ou à la vente de bitcoins en urgence pour tenter de stabiliser le bilan. « Au-delà du seul prix du bitcoin, les investisseurs valorisent le fait de pouvoir accumuler régulièrement du bitcoin en des termes favorables pour eux », explique Eric Benoist, expert tech au sein de la banque Natixis. Sinon, c’est Game over.

Certains restent optimistes. « Si le bitcoin atteignait 1 à 2 millions d’euros, nous deviendrions la société la plus capitalisée en Europe », persiste Alexandre Laizet, 32 ans, séduit par le bitcoin et sa philosophie sous-jacente, le libertarianisme, pendant la pandémie Covid. La croyance long-termiste a néanmoins du plomb dans l’aile. Antoine Andreani note que les ascensions du bitcoin sont de moins en moins marquées. « La performance se tasse. Les courbes ne sont plus exponentielles comme elles l’ont été. » Les bonnes nouvelles se font plus rares pour l’écosystème. Trump et ses mesures pro-crypto n’ont pas accouché des lendemains espérés. Les Etats et grandes entreprises restent très prudents vis-à-vis du bitcoin. Les BTC sont suspectées d’avoir artificiellement dopé l’attractivité autour de la crypto. Et si, maintenant, elles s’effondraient toutes ?

Le bitcoin n’est pas de l’or

Le danger pour le bitcoin n’est pas à prendre à la légère. La centaine de Bitcoin Treasury Companies (BTC) détiennent environ un million de bitcoins, soit 5 % du total en circulation – plus si on soustrait le million de bitcoins de Satoshi Nakamoto, immobile depuis 15 ans. Ces entreprises pèsent de 118 à 150 milliards de dollars selon un rapport du Conseil européen du risque systémique (CERS). Un poids comparable à celui des ETF Bitcoin. « La douleur d’un crash crypto sera ressentie plus largement que par le passé », anticipe l’hebdomadaire britannique The Economist. Certaines BTC sont entrées dans des indices majeurs : Strategy dans le Nasdaq-100, MetaPlanet dans le Nikkei Growth. Capital B revendique les plus gros volumes d’Euronext Growth. Autrement dit : banques, entreprises traditionnelles, fonds d’investissement, voire Etats sont exposés aux stratégies risquées d’une poignée de sociétés très endettées et dépendantes du seul bitcoin.

A environ 86 000 dollars le jeton, le scénario catastrophe n’est cependant pas le plus probable. Les plus solides BTC peuvent encore phagocyter les plus faibles pour survivre. Jouer sur différents mécanismes financiers, la volatilité du bitcoin par exemple. Ce qui est d’ailleurs plus simple aux Etats-Unis qu’en Europe. Eric Benoist souligne la maestria de Michael Saylor, « l’un des acteurs les plus sophistiqués en matière de levée de capitaux au monde ». Strategy est de loin la plus importante BTC, avec dix fois plus de bitcoins dans son portefeuille que ses premiers concurrents, accumulés dès 2020 à une ère où le jeton s’échangeait autour de 20 000 à 30 000 dollars. « Je ne reculerai pas », a-t-il écrit sur X. Saylor serre les dents, comme tout le monde.

Son échec aurait des conséquences désastreuses pour son actif préféré. Depuis plusieurs années, les promoteurs du bitcoin ont renoncé, de fait, à en faire une monnaie du quotidien. Les stablecoins, prétendument plus stables, peuvent être utilisés pour du paiement et des échanges internationaux. Le bitcoin s’est recentré sur la fonction de réserve de valeur, son dernier bastion narratif. Son récit repose sur une logique aussi simple que celle des BTC : le bitcoin est en quantité limitée donc rare, plus liquide de l’or, résistant à la censure, décentralisé. Mais pendant que le bitcoin décroche, l’or touche en ce moment des sommets. « Pourquoi n’a-t-on jamais construit des Gold Treasury Company sur le même principe de l’or ? », interroge par ailleurs Alexandre Baradez, analyste chez IG France. En vérité, un actif réellement refuge ne dépend pas de la solidité financière d’une poignée de sociétés cotées. La financiarisation du bitcoin, via les ETF ou les BTC, attire un nouveau type d’investisseurs plus volatils, court-termistes, prompts à vendre au premier signe d’instabilité. « Plus on financiarise le bitcoin, plus il se comporte comme un actif risqué et moins comme un éventuel or numérique », analyse Eric Benoist, spécialiste des marchés. Une conclusion qui devrait inquiéter même ses plus fervents partisans, comme le maximaliste Michael Saylor ou Alexandre Laizet. Et bien sûr, le nouveau-venu dans cette histoire, Eric Larchevêque.



Source link : https://www.lexpress.fr/economie/high-tech/les-bitcoin-treasury-companies-de-michael-saylor-a-eric-larcheveque-une-strategie-explosive-B6M4E5M53BABJA4RFB55Z7DJAQ/

Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-12-01 15:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express