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Sébastien Lecornu, l’histoire cachée de sa renomination : fausses fuites et vrais coups de fil

Sébastien Lecornu, l’histoire cachée de sa renomination : fausses fuites et vrais coups de fil

C’est l’histoire d’un coup de fil. Le lundi 6 octobre, Sébastien Lecornu vient de présenter à la surprise générale sa démission à Emmanuel Macron – certains conseillers du président ont découvert son arrivée à l’Elysée en voyant sa voiture. Il quitte maintenant le Palais et rentre à Matignon. Pour préparer ses cartons ? Pas du tout : pour préparer la suite, mieux, pour sauver sa peau. Car le chef de l’Etat ne l’a pas à cet instant reconduit dans ses fonctions. Pas une minute à perdre. Dans la voiture, le Premier ministre prend connaissance des dernières déclarations d’Olivier Faure. Celui-ci a, jusque-là, et malgré l’abandon du 49.3 conformément à ce qu’il réclamait, des mots très durs, répétant encore deux jours plus tôt dans Le Parisien : « Nous nous dirigeons tout droit vers la censure. »

Sur France Inter, le premier secrétaire du PS nuance son propos : « Au moment où nous nous parlons, je ne vois pas ce qui nous conduirait à ne pas voter la censure. Mais je sais aussi que dans les discussions, tout peut progresser, y compris dans les dernières heures. Moi ce que je souhaite, ce n’est pas changer le casting, ce que je veux, c’est une politique qui change de cap. » Sébastien Lecornu comprend le message. « Je vais l’appeler, faites-le prévenir », demande-t-il. Ce ne sera pas inutile. En fin de matinée, Olivier Faure écrit sur X : « Je me demandais s’il restait un gaulliste dans ce pays. Il en restait un, et il vient de démissionner avec dignité et honneur. » Bientôt l’Eurois constatera que plusieurs responsables de LR sont désireux de rester à bord du navire gouvernemental, contre l’avis de Bruno Retailleau. Publiquement, sur le perron de l’hôtel Matignon, Sébastien Lecornu explique : « On ne peut pas être Premier ministre lorsque les conditions ne sont pas remplies. » La bataille commence loin des regards curieux et des oreilles indiscrètes.

C’est l’histoire d’un autre coup de fil. Nous sommes le mercredi 8 octobre, ce soir à la télévision Sébastien Lecornu va déclarer que « [sa] mission est terminée ». Le chef d’entreprise Serge Papin, lui, coule des jours tranquilles, entre La Rochelle et Paris, quand son téléphone sonne. Et qui l’appelle ? Le directeur de cabinet de Matignon, Philippe Gustin. « On envisage un gouvernement technique, c’est en tout cas une option, lui indique le premier collaborateur de Sébastien Lecornu. Etre ministre délégué au Commerce et à l’Artisanat vous intéresserait-il ? » A-t-on déjà vu un Premier ministre démissionnaire, qui n’a pas été reconduit dans ses fonctions, commencer… à bâtir son prochain gouvernement ?

« Faire sauter un fusible sans le changer »

La première fois, avant sa nomination du 9 septembre, l’Eurois avait observé que « le président [l’]avait mis dans la poêle à frire très tard ». Cette fois, il mijote son plan à l’avance. Serge Papin se rendra finalement à Matignon par une porte dérobée le samedi, une fois Sébastien Lecornu officiellement renommé. Il est aujourd’hui ministre des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat, du Tourisme et du Pouvoir d’achat.

L’opération conduite au cours de cette folle semaine pourrait s’intituler ainsi, à rendre baba tout électricien de France : « Faire sauter un fusible sans le changer », selon la formule d’un dirigeant de Renaissance. Le lundi 6, Sébastien Lecornu est retourné à l’Elysée l’après-midi. Le matin, il avait bien expliqué à Emmanuel Macron que sa démission, provoquée par la crise à LR, était la seule solution qui serve le chef de l’Etat. L’après-midi, le président lui a demandé de mener « d’ultimes négociations afin de définir une plateforme d’action et de stabilité pour le pays » – c’est beau comme de l’antique. En fin de journée, Le Figaro écrit : « Selon nos informations, Sébastien Lecornu a fait savoir au président de la République qu’il ne souhaitait pas être reconduit à Matignon. […] Quel qu’en soit le résultat, il ne poursuivra pas sa mission au-delà. » Un proche cité par le quotidien précise : « Il accepte de rempiler parce que c’est un moine-soldat, mais, pour lui, c’est la der des der. » Quelques minutes plus tard, Le Monde confirme… Info, intox ? Larvatus prodeo : « j’avance masqué », disait Descartes.

Le mardi 7 dans la soirée, Sébastien Lecornu revoit Emmanuel Macron. Et les deux hommes ne parlent pas seulement de la météo ou de la vie des partis, ils évoquent aussi la vie des bêtes, autrement dit… ils réfléchissent au prochain gouvernement. A plusieurs reprises pendant la discussion, le Premier ministre se saisit de son portable, sonde ses proches, teste des noms. Monique Barbut à l’Ecologie ? Anne Levade à la Justice ? Serge Papin à l’Artisanat ? « Le président a l’habitude de réfléchir à des castings avec différentes personnalités, ça ne vaut pas garantie de reconduction pour Lecornu », assure un collaborateur elyséen.

Le « moine-soldat »

Le mercredi 8, quand Le Parisien publie un article titré « Lecornu, parti pour rester ? », Matignon répond aussitôt : « Il faut cesser les rumeurs et les fausses informations qui ne permettent pas de sortir de la crise. » LCI ajoute même que le chef du gouvernement a indiqué à certains de ses interlocuteurs qu’il ne souhaitait pas continuer à Matignon. Info, intox ? Pendant ce temps, on l’a vu, son directeur de cabinet sollicite certaines personnalités pour entrer dans une future équipe ministérielle.

A 20 heures, Sébastien Lecornu est l’invité, pour la première fois, d’un journal télévisé. Il vient de passer 1h40 dans le bureau d’Emmanuel Macron. Sur France 2, il prend la place de Xavier Bertrand, décommandé dans la matinée. Il va crever l’écran. Le facteur sonne toujours deux fois ? Lui aussi. Deux fois, il indique qu’il « expédie les affaires courantes », deux fois il assure qu’il « ne court pas après le job » puisqu’il a démissionné, deux fois il lâche que « ce soir, [sa] mission est terminée » – ce faisant il joue sur les mots : parle-t-il de sa « mission » de Premier ministre ou de la « mission » que lui a donnée le président de consulter les différents partis ? Celui qui veille à se présenter à trois reprises comme « Premier ministre démissionnaire », lance également – toujours deux fois – l’expression de « moine-soldat » qui fera florès : on n’est jamais mieux décrit que par soi-même. Trop désintéressé pour être honnête ? « C’est là qu’il faut un peu de talent », observe l’un de ses amis. Cela s’appelle marcher sur un fil devant près de 7 millions de téléspectateurs…

A la toute fin de l’interview, Sébastien Lecornu se trahit pourtant, avec un conditionnel qui passe alors inaperçu : « Je ne vais pas retourner dans quelque chose dans lequel les conditions n’auraient pas changé. » Mais si elles ont changé ? « J’ai tout essayé », conclut-il. Encore une erreur de temps : il essaie tout pour sauver sa place, pourquoi parler au passé ? Les proches d’Emmanuel Macron saluent l’artiste : « Sébastien Lecornu a montré qu’il était dix crans au-dessus de beaucoup d’impétrants. Il a pris tout le monde par la main pour expliquer ce qu’il fait. »

« Il est malin »

Le plus important n’est pas ce qu’il montre, c’est ce qu’il cache. Puisqu’il a « plaidé coupable » à propos du « manque d’originalité » de son premier gouvernement, il passe des heures en coulisses à en imaginer un qui soit très différent. Après l’échange de mardi soir avec Emmanuel Macron, les travaux s’intensifient : Anne Levade est approchée pour remplacer Gérald Darmanin. Devant un proche, Gabriel Attal remarque : « Il est fort avec son air de mec à ne pas y toucher… Il parle de mission finie alors que toute la semaine son entourage intrigue pour qu’il soit renommé. Il est malin. » Ce n’est pas Gérard Larcher qui dirait le contraire. Il a vu celui qu’il avait beaucoup poussé pour qu’il succède à François Bayrou en septembre ; là, il n’a même plus la peine de pousser, tant Sébastien Lecornu lui confie sa grande disponibilité pour rester à Matignon « jusqu’à la fin de l’année ». Le message est passé.

Cette fois, il est en colère. Furieux, le Normand. Le président a décidé, au milieu de la nuit de jeudi à vendredi, de convoquer à l’Elysée les chefs de partis et les présidents de groupes à l’Assemblée. Rendez-vous à 14h30. A cet instant, Sébastien Lecornu est saisi d’un petit doute, pire, « il ignore ce qui se passe au palais », raconte l’un de ses amis, puisqu’il n’est pas convié à la réunion et que personne ne le tient au courant.

Il connaît son Emmanuel Macron, toujours prêt à prendre le contre-pied de ce qu’il a déjà en tête. D’ailleurs, dans la foulée de la rencontre, le chef de l’Etat appelle Xavier Bertrand et le taquine : « Tu n’as pas envie ? » Il connaît la réponse pour avoir expliqué la semaine précédente à Gérard Larcher qu’il savait que le président des Hauts-de-France ne rêvait plus de Matignon comme en 2024. En début de soirée, Emmanuel Macron acte auprès de ses conseillers que la meilleure option s’appelle Sébastien Lecornu. Jusqu’à quel point a-t-il envisagé un autre scénario ? Le communiqué tombe à 22 heures. L’ancien maire de Vernon avait bien fait de ne pas préparer ses cartons.



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-12-01 17:00:00

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