Entre l’envoi de deux mails, c’est décidé. Vous ouvrez LinkedIn pour vous lancer dans la rédaction d’un post valorisant votre nouvelle fonction, votre dernier projet ou ces résultats impressionnants du genre + 200 % de clics sur votre récente campagne marketing. Quitte à faire dire aux chiffres ce qui vous arrange. Combien de fois ne vous a-t-on répété : il faut apprendre à se « vendre ». Une bien laide expression quand on y pense. Puis vient la liste des remerciements façon cérémonie des Oscars. Un post peu inspiré mais qui se veut inspirant, saupoudré de trois émojis — idéalement une fusée en mode décollage — et de quelques hashtags. Vous guettez, presque fébrile, l’arrivée des premiers likes. Un j’aime, c’est bien. Un j’adore, c’est mieux. Et si un recruteur vous repère, encore mieux. Vous commencez à vous inquiéter de l’absence de réaction de ceux « qui comptent » dans votre entreprise. Le grand huit émotionnel a commencé. Pendant ce temps, votre productivité, elle, n’a pas quitté la ligne de départ. Car entre le moment où vous avez eu l’idée de votre post et celui où vous l’avez conçu, 45 minutes se sont déjà évaporées. Sans compter les multiples rafraîchissements de la page pour vérifier si de nouveaux likes apparaissent. On connaît tous ces adeptes du marketing de soi sur les réseaux sociaux. Une tendance plus marquée chez les hommes que chez les femmes selon plusieurs études.
En interne, tout le monde vous observe…
Évidemment, rien de condamnable à célébrer une promotion ou à partager une bonne nouvelle avec son réseau. Rien de choquant non plus à vouloir donner de la visibilité à un projet dont on est fier et pour lequel on s’est investi. Il ne s’agit ni de jouer les rabat-joie, ni de se bercer d’illusions : se mettre en avant sur les réseaux sociaux n’est peut-être pas indispensable, mais cela peut attirer l’attention de potentiels recruteurs, ouvrir des opportunités, mettre en lumière une réussite personnelle et offrir ce que l’open space ne donne plus toujours : un peu de reconnaissance. Jusqu’à un certain degré, toutefois.
Car en interne, ce que vous affichez en externe n’a parfois rien à voir avec vos compétences, mais beaucoup plus avec… vos insécurités. Ce besoin de vous rassurer avant l’arrivée de votre nouvelle N + 1, ou face à ce manager déjà en place qui ne vous accorde plus assez d’attention. Cette envie de paraître proactif, à la barre, quand la réalité, elle, se révèle parfois un peu moins flatteuse. Et inutile de vous livrer au humblebrag — cette manière de s’auto-promouvoir sous couvert de fausse modestie. Comme l’indique une étude menée par Benjamin Kunz et Erin O’Mara, professeurs de psychologie à l’Université de Dayton, les gens savent faire la différence entre une modestie authentique et une modestie feinte. « Il est probablement plus efficace que les autres découvrent l’étendue de vos qualités par l’intermédiaire d’une tierce personne », rappelle Benjamin Kunz.
Autrement dit, les stratégies d’autopromotion déguisée ne trompent pas grand monde. Vous aurez sans doute aussi remarqué que certains messages s’achèvent par un « merci pour ta confiance », glissé comme un clin d’œil appuyé à ce supérieur qui vous a recruté deux ans plus tôt. Un petit geste destiné, peut-être, à s’assurer une forme d’avenir dans l’entreprise, comme si ces quelques mots pouvaient sceller d’un vernis de loyauté une relation qui reste, au fond, purement contractuelle. Mais de véritable gratitude, il n’est pas vraiment question ici. Les professionnels du marketing de soi le savent — ou devraient le savoir : le jour où ce même recruteur devra, à tort ou à raison, se séparer de vous, ce « merci » que l’on pensait si stratégique ne pèsera plus grand-chose. En revanche, le collègue que vous aurez omis de citer dans votre longue liste de remerciements, lui, n’oubliera pas votre passagère indélicatesse.
Mieux vaut donc être solide avant de se montrer triomphant sur les réseaux. Ceux qui, dans l’entreprise, vous voient vanter vos « compétences » alors que vos performances ne suivent pas ne vous le pardonneront pas à la machine à café. Vous vous fichez du quand dira-t-on ? Erreur. Réussir dans la vie et au travail ne dépend pas d’un alignement parfait entre nos actions et notre « moi intérieur », mais surtout de notre capacité à gérer les impressions que nous laissons, explique le psychologue Tomas Chamorro Premuzic dans son dernier livre Don’t be yourself (HBR, 2025, non traduit) : « On est embauché, licencié, rétrogradé ou promu non pas en fonction de ce que l’on pense de soi, mais de ce que les autres pensent de nous. » De quoi offrir, malgré tout, une note d’espoir aux aficionados de l’autopromo qui ne misent plus sur le soutien en interne : celle de parvenir à faire illusion à l’extérieur, auprès d’un recruteur potentiel qui, lui, n’y verra que du feu.
Quand les recruteurs tombent dans le panneau
A cet égard, une étude publiée en juillet 2025 par deux chercheurs de la School of Economics and Management de l’Université Tsinghua à Pékin, en Chine, ayant passé en revue les profils LinkedIn de 727 analystes financiers couvrant plus de 3 000 entreprises cotées aux États-Unis, apporte un éclairage saisissant. Intitulée Empty Vessels Make the Most Noise (« Ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit »), elle montre que les plus enclins à l’autopromotion et employant un langage optimiste sont aussi ceux qui produisent les prévisions les moins fiables — « en particulier les analystes masculins, les professionnels les moins expérimentés et ceux comptant peu d’abonnés sur LinkedIn ». Les auteurs interprètent « cet effet inverse entre le ton et la performance non pas comme un biais comportemental, mais comme un comportement stratégique d’autopromotion destiné à compenser des lacunes en compétences et à accroître leur visibilité ».
Paradoxalement, ce sont pourtant ces mêmes analystes qui « obtiennent les taux de promotion de carrière les plus élevés par rapport à leurs pairs », les investisseurs et employeurs étant plus sensibles à ce « ton expressif ». « En théorie, conclut l’étude, si les employeurs sont rationnels, ils devraient fonder leurs décisions sur les compétences réelles des analystes. Mais si les analystes à ton élevé (et faible précision) obtiennent plus d’opportunités professionnelles, cela suggère que les employeurs, comme les investisseurs, sont sensibles à la gestion d’image. » Recruteurs, à vous d’apprendre à gratter le vernis…
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Author : Laurent Berbon
Publish date : 2025-12-08 11:00:00
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