À ceux qui sont venus le 27 novembre observer les convives de l’élégant cénacle, les organisateurs du « Dîner des Bâtisseurs » n’ont pas facilité la tâche. Le cocktail, installé dans le théâtre parisien du Trianon, navigue dans une si puissante pénombre qu’il y est difficile d’y reconnaître les visages des 600 invités, tous des « leaders catholiques », se régalant de boules de foie gras déguisées en mandarine.
En plissant les yeux, on distingue entre quelques soutanes et cornettes de religieuses, le président LR, Bruno Retailleau, l’ancien secrétaire général de l’Elysée Jean-Pierre Jouyet, le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard et celui de Media Participations, également mécène des agapes, Vincent Montagne, le député PS Dominique Potier, le candidat RN à la mairie de Marseille, Franck Allisio, le député européen LR Christophe Gomart, le patron de Devoteam, Stanislas de Bentzmann, le ministre délégué chargé de l’Europe, précisant être venu « par amitié », Benjamin Haddad, et sa collègue de l’Agriculture Annie Genevard, le patron du directoire de M6, David Larramendy, l’ancien patron des Aéroports de Paris Augustin de Romanet, son épouse Sibylle Le Maire, directrice déléguée du groupe Bayard. Son frère, l’ancien ministre Bruno Le Maire, était manifestement lui aussi attendu, mais son badge est resté sur la table d’entrée, voisinant avec celui de Véronique Waché, l’indéfectible communicante de Nicolas Sarkozy, ou celui d’Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi.
Le « Dîner des Bâtisseurs » est le grand – et annuel – raout catholique, inventé voici trois ans par quatre copains, affirmant « ni revendiquer, ni militer, mais fédérer les forces vives », comme le résume Louise Chaulin, l’une des organisatrices avec Jérémie Berthon, directeur marketing chez Axa France, et Jonathan Langlois, créateur du podcast « Les Lueurs ». « Notre but c’est que personne ne puisse nous cataloguer », ajoute Stanislas Billot de Lochner, le quatrième fondateur, également engagé dans la Nuit du Bien commun, « nous ne sommes pas prêts à parler collectivement et nous nous interdisons toute prise de position politique, ici personne ne réclame rien ».
« On en a ras le bol d’être caricaturés »
Pour accréditer cette sainte prudence, il tombe bien que Vincent Bolloré, venu à l’édition 2024, ne se soit pas manifesté cette fois, ni Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire fondateur de Smartbox, présent lui en 2023. Épargné par ces deux têtes d’affiche d’un catholicisme identitaire et vindicatif, le conclave tente l’exercice périlleux. Car les fidèles du culte romain sont divisés en chapelles, travaillés par la tentation conservatrice et secoués par les scandales révélés dans les rangs de leur clergé, comme dans certains de leurs établissements scolaires. Partant, autour de quoi se rassembler et dans quel but ? « On en a ras le bol d’être caricaturés en permanence, donc on se retrouve pour témoigner de notre foi, source de notre engagement au service de la société », ajoute Louise Chaulin.
Ici donc pas de tribune, pas d’interpellation des pouvoirs publics, aucun mot sur la légalisation de l’euthanasie ou sur « le caractère propre » de l’enseignement privé, mais des discussions et des témoignages autour de valeurs communes, suffisamment « faibles » pour ne pas trop signifier politiquement. L’an passé, les commensaux ont ainsi réfléchi à la vulnérabilité, cette fois ils ont échangé autour du thème de l’espérance – le cadre évite d’aller fricoter du côté des sujets urticants. Ce que confirme Stanislas Billot de Lochner : « Notre diversité, c’est l’assurance que nous ne pourrions pas faire comme le Crif », l’annuel et politique dîner du conseil représentatif des institutions juives des France, sans pour autant choisir la sobre discrétion du dîner des Protestants, abrité par Anne Hidalgo dans les murs de l’Hôtel de Ville de Paris.
Un plan de table tiré au sort
Après le cocktail dans l’obscurité, la foule rejoint en effet pour dîner l’immense salle de l’Élysée-Montmartre, empruntant un espace zébré de flashs lumineux. La déambulation surprend le cardinal François Bustillo, évêque d’Ajaccio, dont la tenue de franciscain paraît peu habituée à fréquenter l’espace festif des noctambules, que le décor abrite d’ordinaire. 75 tables de huit personnes, nappe blanche, bouquet de fleurs, et menu imprimé, tout justifie la place à 195 euros.
Seulement pour se régaler du tourteau en fine feuille végétale, saumon plein cœur et Pouilly Fumé, les convives ont dû s’abandonner au hasard, et accepter de remettre leur voisinage aux aléas du tirage au sort. Chacun des six cents participants a ainsi attrapé une carte dans une jarre de verre lui désignant sa table, aucun passe-droit, ni combine, et il est amusant de parcourir du regard les tablées baroques : un directeur de LVMH voisin d’une responsable d’accueil de SDF, l’humoriste Gad Elmaleh faisant rire l’éditeur Fayard Nicolas Diat, et l’écologiste Marine Tondelier, en tailleur bleu marine, nez à nez avec l’ancien député fillonniste, Jérôme Chartier. Deuxième règle : chaque invité décline son prénom, et passe sous silence son brillant CV. Enfin, troisième règle, les échanges se font autour de questions imposées par le maître de table. Ce soir, tous, dont un paquet de poids lourds des affaires, des médias et de la politique durent ainsi confier à leurs voisins à quel moment de leur vie ils se sont sentis au désespoir et comment leur foi les a soutenus, l’exercice décape.
Tondelier fait un selfie avec le Cardinal Bustillo
En sortant de table, la candidate déclarée à l’élection présidentielle, Marine Tondelier, chuchote avoir dû batailler dans son parti Les Ecologistes – EELV, où sa venue à un rassemblement étiqueté catholique hérisse. D’autant qu’une autre âme de gauche, Cécile Duflot, la patronne d’Oxfam, présente les deux éditions précédentes n’a pu la rejoindre, retenue par un déplacement à l’étranger, et que son camarade, François Ruffin, député Ecologiste et Social, ne s’est pas laissé convaincre d’affronter avec elle l’assemblée bien mise. Bien qu’isolée, la crâne secrétaire nationale du parti Les Ecologistes n’a pour autant rien perdu de sa bonne humeur, se prêtant même à l’exercice du selfie avec le cardinal Bustillo.
Si la soirée tisse ainsi d’improbables rencontres, elle rame pour s’ouvrir à gauche, peinant à convaincre dans les milieux populaires, consciente qu’elle risque la mue en événement catho mondain, nonobstant la présence de Javier Hongla, animateur de Fide génération, réseau de « cathos des cités », ou de cinq jeunes de l’association « La cité céleste », rassemblement de jeunes chrétiens des quartiers populaires de l’Île-de-France.
Les administrateurs du « Dîner des Bâtisseurs » réfléchissent d’ailleurs à délocaliser l’édition 2026 dans la proche banlieue. Au risque de perdre la flopée de patrons et de responsables politiques ? 40 % des inscrits pourront revenir l’an prochain, mais les 60 % autres devront passer leur tour, les organisateurs imposent le roulement, tout comme ils veillent à ce qu’un cinquième des convives ait moins de quarante ans. Ils ont aussi décidé qu’aucun candidat déclaré à l’élection présidentielle ne pourra prendre publiquement la parole. Si Marine Tondelier et Bruno Retailleau sont invités de nouveau au prochain « Dîner des Bâtisseurs », les voici prévenus.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/des-patrons-des-ministres-et-bollore-invite-les-secrets-du-tres-catho-diner-des-batisseurs-4SQHHAT77FEKTORJYX44BMJMM4/
Author : Emilie Lanez
Publish date : 2025-12-10 16:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
