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S’opposer au Mercosur ou louer le rapport Draghi, il faut choisir

S’opposer au Mercosur ou louer le rapport Draghi, il faut choisir

La rhétorique du « en même temps », signature de l’exécutif, n’est pas à un paradoxe près. A quelques semaines du vote européen sur le Mercosur, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a rappelé que la France ne signerait pas l’accord en l’état. Pour calmer la colère agricole, Emmanuel Macron s’y est lui-même longtemps opposé. Pourtant, à peine revenu de Chine, le président a livré un plaidoyer sur la compétitivité européenne, tout droit inspiré des préconisations du rapport Draghi. Or ce dernier mentionne un impératif clé : l’autonomie stratégique.

Ce projet d’accord commercial avec plusieurs pays d’Amérique du Sud n’est pas incompatible avec ce vœu, au contraire. Concrètement, il s’agit pour l’Europe de renforcer son tissu économique tout en réduisant ses dépendances extérieures. Arrêt du gaz russe, offensive commerciale chinoise, accord léonin avec les Etats-Unis… il aura fallu quelques douloureuses leçons pour que Bruxelles en comprenne la nécessité. Et aujourd’hui, il y a urgence. Ses exportateurs souffrent d’un accès à l’Amérique devenu plus coûteux, tandis que l’avalanche de produits à prix cassés depuis la Chine plombe son industrie.

Pragmatisme et diversification

Pour autant, autonomie ne signifie pas isolement. « L’Europe ne pourra pas atteindre cet objectif dans l’autarcie, souligne Guillaume Duval, conseiller à l’Institut Jacques Delors. Pour préserver le pouvoir d’achat de ses citoyens, elle va devoir trouver des sources d’importations à bas coût, tout en prenant ses distances avec la Chine ». Dans ce contexte, Bruxelles joue sur plusieurs tableaux – accord avec l’Indonésie, négociations avec les Emirats arabes unis… – et le Mercosur, en tractations depuis un quart de siècle, n’en devient que plus pertinent.

En ouvrant un vaste marché aux industriels européens, il leur permet d’écouler leurs produits, pas seulement agricoles. Bruxelles y voit un potentiel de 25 milliards d’euros d’exportations supplémentaires d’ici 2035. Or pour l’instant, les firmes du continent butent sur les barrières douanières de l’Amérique du Sud à 35 % pour les pièces automobiles, ou encore 18 % sur la chimie – deux piliers européens aujourd’hui fragilisés.

Contrer l’influence de Pékin

L’accès aux matériaux critiques fait aussi partie de l’équation. A l’heure où Pékin utilise ces minerais comme levier de pression, l’accès au lithium dans le désert argentin et les réserves de manganèse du Brésil seraient de précieux atouts pour l’Europe. Par ailleurs, l’accord permet à Bruxelles de conserver ses ambitions environnementales. « Pas question pour l’Europe de sacrifier sa capacité de régulation, bien au contraire, assure Ignacio Garcia Bercero, chercheur à l’Institut Bruegel. Si un pays du Mercosur envisageait de se retirer de l’accord de Paris, le traité commercial avec ce pays pourrait être suspendu ».

L’enjeu, enfin, est géopolitique. « L’UE tente d’occuper une place auprès de partenaires que la Chine a su courtiser ces dernières années, explique Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. En 1999, l’UE représentait 35 % du commerce de biens du Mercosur, contre 16,8 % en 2024. Nous sommes de moins en moins un partenaire privilégié, et cette perte d’influence se reflète dans le rapprochement croissant entre le Brésil et la Chine au sein des Brics ». A l’Europe de prouver qu’elle maîtrise, elle aussi, l’art du deal.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-12-10 05:30:00

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