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Romina Pourmokhtari, ministre suédoise : « En Europe, nucléaire et trafic d’être humains sont parfois mis dans la même catégorie ! »

Romina Pourmokhtari, ministre suédoise : « En Europe, nucléaire et trafic d’être humains sont parfois mis dans la même catégorie ! »

Ses interviews dans les médias sont rares. Romina Pourmokhtari, la ministre suédoise du Climat et de l’Environnement, a pourtant beaucoup à dire sur la stratégie européenne en matière de lutte contre le réchauffement. Directives contre-productives, erreurs de raisonnement… D’après la jeune ministre d’à peine 30 ans, membre des Libéraux, il reste tant à faire pour rendre la transition écologique acceptable auprès de la population et consolider la place du nucléaire. En dépit des difficultés, la Suède compte bien montrer l’exemple.

L’Express : un rapport récent épingle la Suède sur ses émissions de CO2. Par ailleurs, la faillite du géant des batteries électriques Northvolt hante encore les esprits. Le pays serait-il en train de perdre son leadership en matière de climat ?

Romina Pourmokhtari : Je ne le pense pas. Les statistiques parlent d’elles-mêmes. La Suède affiche les émissions de CO2 par tête les plus basses de toute l’Union européenne. Et à PIB comparable, nous avons 37 % d’émissions en moins que la France. On l’oublie souvent, la Suède vise des objectifs climatiques ambitieux. Mais elle part d’un niveau plus élevé, ce qui rend les progrès à accomplir plus difficiles encore. Par exemple, nous avons depuis longtemps déployé des pompes à chaleur dans le pays. Nous ne pouvons donc plus activer ce levier pour atteindre nos objectifs climatiques, contrairement à certains de nos voisins, qui à l’image de l’Allemagne utilisent encore des énergies fossiles pour le chauffage.

Je voudrais ajouter un autre point important. De nombreux observateurs se concentrent sur le chiffre global des émissions de CO2. Plus il est faible, mieux c’est, disent-ils. Pourtant, ce n’est pas un exploit d’avoir de faibles émissions. De nombreux pays sont dans ce cas. Ce qui est remarquable, c’est d’assurer en même temps de faibles émissions et une croissance économique forte dans un climat très froid qui requiert l’usage de beaucoup d’énergie. La Suède coche toutes ces cases, ce qui la rend unique.

Enfin, un mot sur Northvolt. L’échec de ce projet ne signifie pas la fin du rêve d’une industrie verte en Europe. Des milliers d’autres entreprises prennent chaque jour des décisions qui vont dans la bonne direction. Je pense même que nous arrivons à un point où la transition climatique devient beaucoup plus intéressante pour les Etats. Il ne s’agit plus tant de financer les investissements que de créer un cadre optimal dans lequel les entreprises vertueuses peuvent réussir. Développer une électricité propre, faciliter l’obtention de permis… Voilà les vrais enjeux lorsqu’il s’agit d’aider les entreprises.

L’Allemagne veut repousser l’arrêt des ventes de véhicules à moteurs thermiques prévu en 2035. Êtes-vous d’accord avec cette stratégie, que beaucoup jugent plus réaliste ?

Non. Contrairement à d’autres pays, la Suède a bien fait ses devoirs. Nous avons une part importante de véhicules électriques déjà déployés. Les modèles hybrides connaissent aussi un succès croissant dans notre pays. Et pourtant, nous ne pouvons pas compter comme nos amis Norvégiens, sur l’argent des énergies fossiles pour tout financer. Pour convaincre les citoyens, nous avons mis en place des réductions de taxes sur l’électricité quand ils rechargent un véhicule chez eux ou au bureau. Nous faisons aussi en sorte que l’accès aux bornes de recharges soit le plus simple possible pour les utilisateurs. Ces mesures ont montré leur efficacité. Mais on peut aller plus loin. Il existe beaucoup de réflexions innovantes visant à soutenir le déploiement des véhicules électriques. Doit-on par exemple, soumettre ces automobiles à moins de limitations de vitesse, ou moins de péages ? Si nous voulons atteindre nos objectifs climatiques, il faut trouver des méthodes et des réglementations qui gagnent la confiance du public et qui ne sont pas vues comme une atteinte à la liberté ou à la qualité de vie. Les discussions sur l’arrêt des ventes de moteurs thermiques au niveau européen sont finalement une bonne chose. Elles montrent que nous entrons dans le cœur de la transition écologique.

Le 7 octobre dernier, la Suède a organisé un sommet sur le nouveau nucléaire dans la région de la Mer Baltique, montrant un intérêt fort pour cette énergie. En même temps, les investissements dans les énergies renouvelables (EnR) semblent marquer le pas. Est-ce un tournant majeur dans la politique du pays ?

Pendant des années, nous avons eu, au niveau européen, des discussions que je qualifierais de stupides sur l’énergie. Comme s’il s’agissait de choisir entre deux équipes de foot, il fallait absolument prendre position en faveur du nucléaire ou des énergies renouvelables. En réalité, nous aurons besoin des deux. Il convient de rappeler deux éléments importants. Tout d’abord, si nous n’avions pas investi dans le nucléaire civil au cours des années 1980, nous ne serions pas aujourd’hui un pays leader en ce qui concerne les objectifs climatiques. Bien sûr, en faisant grimper les cours du pétrole, le choc pétrolier a poussé certains pays vers le nucléaire. Mais il ne faut pas oublier que cette énergie bas carbone est celle qui permet de concentrer le plus de production d’électricité dans une zone réduite. Le nucléaire se montre efficace d’un point de vue environnemental.

Ensuite, il ne faut pas oublier qu’en Suède, nous n’aurions pas pu développer autant les énergies renouvelables sans notre socle nucléaire. Entendons-nous bien. Notre gouvernement n’est pas opposé aux éoliennes et aux panneaux solaires. Il a d’ailleurs plus que doublé les capacités de l’éolien offshore par rapport au gouvernement précédent. Cependant, les entreprises de ce secteur doivent comprendre que le nucléaire est leur ami. C’est un stabilisateur de prix, un amortisseur contre la volatilité.

Qu’attendez-vous de l’Europe ? Elle semble toujours hésitante à financer largement le nucléaire.

Nous souhaitons moins de discrimination. Nous avons besoin d’une expansion de l’énergie nucléaire sur le Vieux Continent. Or, celle-ci ne peut pas bénéficier du fonds européen pour une transition juste (FTJ) par exemple. Ce mécanisme d’aide met le nucléaire et le trafic d’êtres humains dans la même catégorie ! C’est ce genre d’obstacle réglementaire qui augmente les coûts et crée les plus grands risques pour l’industrie. En Europe, nous avons également la directive RED III qui oblige les pays membres à afficher une certaine part d’énergies renouvelables dans leur mix électrique. Cette politique peut inciter certains gouvernements à fermer des centrales nucléaires pour faire monter mécaniquement la part des EnR dans le système électrique national. Ce n’est pas la bonne manière de procéder.

Notre objectif est donc de faire évoluer le cadre fixé par l’Union plutôt que de mettre en place de nouveaux fonds. Pour être franche, les mécanismes de financement européens sont souvent trop compliqués à mettre en œuvre. Nous avons nos propres systèmes nationaux de réduction des risques, qui fonctionnent très bien. Le problème de l’Union, c’est qu’elle veut décider du contenu de la politique énergétique mise en œuvre par ses membres. Elle le fait, par exemple, en fixant une proportion d’énergie renouvelable à atteindre. En Suède, nous définissons d’abord nos besoins en énergie. Ces derniers ont été évalués à 300 térawattheures d’ici à 2045. A partir de là, nous réfléchissons à la meilleure manière d’atteindre ce chiffre. Inverser la logique qui prédomine au niveau européen, voilà notre priorité. Pour cela, il serait bon de sortir des discours populistes sur l’énergie.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-12-11 06:30:00

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