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Un générateur nucléaire introuvable dans l’Himalaya : l’opération secrète de la CIA qui inquiète encore l’Inde

Un générateur nucléaire introuvable dans l’Himalaya : l’opération secrète de la CIA qui inquiète encore l’Inde

Un secret de la Guerre froide refait surface. En 1965, au cœur des tensions entre le bloc soviétique et le bloc de l’Ouest, la CIA commet l’une de ses plus graves erreurs. Cette année-là, un dispositif nucléaire américain disparaît dans l’Himalaya. Pas lors d’un accident industriel ni d’un test raté, mais au cours d’une mission clandestine menée à très haute altitude, sur l’une des montagnes les plus redoutables de la planète. Le générateur, saturé de plutonium, n’a jamais été retrouvé, met en lumière le New York Times. Et depuis soixante ans, Washington fait comme s’il n’avait jamais existé.

Un dispositif nucléaire abandonné à 7 800 mètres d’altitude

Tout commence dans le massif de l’Himalaya, sur les pentes du Nanda Devi, deuxième plus haut sommet d’Inde et 23e plus haut du monde. Une équipe réduite de grimpeurs américains progresse lentement dans la neige, aux côtés de partenaires indiens. Ces hommes n’ont pas été choisis au hasard. Ils savent évoluer dans l’extrême, supporter l’altitude, le froid, le danger. Mais surtout, ils savent se taire. La CIA les a sélectionnés pour cela. Leur mission n’a rien de sportif. Juste sous le sommet, ils doivent installer un équipement de surveillance destiné à espionner la Chine, qui vient de faire exploser sa première bombe atomique quelques mois plus tôt. À plus de 7 800 mètres d’altitude, ils sortent le matériel : une antenne, des câbles, et un objet hors-norme, le SNAP-19C, un générateur portable alimenté par du combustible radioactif, comparable à ceux utilisés dans l’espace ou dans les profondeurs océaniques.

Depuis cette montagne, le dispositif doit capter les signaux radio liés aux essais de missiles chinois. À l’époque, ni les États-Unis ni l’Inde ne disposent de véritables sources humaines en Chine. Les relations entre Washington et New Delhi sont tendues, mais les deux capitales partagent la même inquiétude : la montée en puissance nucléaire de Pékin, sur fond de rivalité avec l’Union soviétique et de tensions autour de l’Afghanistan. Le projet est poussé par le général Curtis E. LeMay, figure centrale de l’US Air Force. La CIA valide.

Les grimpeurs montent, avec sur le dos un engin nucléaire de 50 livres (soit plus de 22 kilos), de la taille d’un ballon de plage. Mais au beau milieu de la mission, une tempête de neige engloutit le sommet du Nanda Devi. Depuis le camp de base, le capitaine indien M.S. Kohli tente de joindre l’équipe. Longtemps, il n’obtient aucune réponse. Puis une voix finit par percer le grésillement de la radio. M.S. Kohli ne tergiverse pas et ordonne la retraite immédiate. Pour sauver les hommes, il prend une décision irréversible : l’équipement doit être abandonné sur place. Les grimpeurs sécurisent le matériel sur une corniche de glace et redescendent en urgence. Ils laissent derrière eux un générateur nucléaire contenant du plutonium Pu-239, utilisé dans la bombe de Nagasaki, et surtout de grandes quantités de Pu-238, un combustible extrêmement radioactif. L’engin disparaît ensuite, emporté par la montagne. Le dispositif ne sera jamais récupéré.

Silence radio depuis 60 ans

Soixante ans ont passé. Le Nanda Devi reste l’un des sommets les plus difficiles d’accès de l’Himalaya. Mais depuis 1965, il est devenu source d’inquiétude car ses glaciers alimentent le Gange, le fleuve sacré de l’Inde, long de plus de 2 500 kilomètres, dont dépendent des centaines de millions de personnes. Des responsables locaux, des scientifiques et des habitants de villages d’altitude redoutent que le générateur ait glissé dans la glace et que le plutonium puisse, un jour, contaminer les eaux en aval.

Le risque est difficile à quantifier. Le volume colossal d’eau qui s’écoule dans le Gange pourrait diluer une éventuelle pollution, soulignent de nombreux scientifiques le soulignent. Mais le plutonium reste l’une des substances les plus toxiques connues. Inhalé ou ingéré, il peut provoquer des cancers graves. Et surtout, le contexte a changé. Le réchauffement climatique accélère la fonte des glaciers : partout dans les Alpes et l’Himalaya, la glace relâche ce qu’elle avait autrefois englouti : du matériel ancien, des déchets, parfois même des corps de grimpeurs disparus depuis des décennies.

Un jour, quelqu’un pourrait ainsi tomber sur cet objet sans savoir ce qu’il contient. Si les experts assurent que le générateur ne peut pas exploser seul, un autre scénario inquiète : celui d’une récupération malveillante. Dans le cas où le cœur de plutonium serait extrait, celui-ci pourrait servir à fabriquer une « bombe sale », un mélange d’explosifs, de la dynamite avec de la poudre ou des pastilles radioactives.

L’affaire, loin d’être close, ressurgit régulièrement. L’été dernier encore, un parlementaire indien a publiquement interpellé les autorités : « pourquoi lInde devrait-elle payer le prix d’une opération américaine menée en secret il y a soixante ans ? », avait-il fustigé. La question était restée sans réponse…



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Author : Aurore Maubian

Publish date : 2025-12-14 16:28:00

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