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Jérôme Guedj : « Je considère avec effroi que l’attentat de Sydney pourrait se produire chez nous »

Jérôme Guedj : « Je considère avec effroi que l’attentat de Sydney pourrait se produire chez nous »

Face aux condamnations unanimes de l’attentat antisémite qui a fait 15 morts en Australie, le député PS dénonce une forme d’hypocrisie. « Quand on défile au cri d’intifada dans les rues des villes françaises, qu’on loue l’acte de résistance du 7-Octobre ou qu’on s’affiche aux côtés de militants islamistes notoires qui reprennent les mots du Hamas pour appeler au ‘déluge d’Al-Aqsa’, on porte une responsabilité évidente », dit-il à L’Express. Entretien.

L’Express : Dimanche, vous exprimiez votre crainte de voir surgir des « oui mais » après l’attentat antisémite de Hanoukka à Sydney. Cette fois, la classe politique a condamné l’attaque sans relativisation. Eprouvez-vous une forme de soulagement ?

Jérôme Guedj : La crainte était malheureusement fondée au regard de ce que nous vivons depuis près de deux ans. Depuis le 7 octobre 2023, après un meurtre antisémite de masse, des tentatives de contextualisation, de relativisation, parfois même de justification implicite sont apparues. Occultant en outre que la montée des actes antisémites a d’abord été libérée dès le lendemain des massacres du 7-Octobre, avant même la brutalité dans la durée de la riposte israélienne. Comme si cet antisémitisme latent n’attendait que cela pour exploser au grand jour. Là, le fait que l’attaque de Sydney ait lieu pendant une fête juive, durant une kermesse sur la plage, dans un pays éloigné géographiquement et géopolitiquement du conflit israélo-arabe n’a offert aucune prise aux idiots utiles du « oui, mais ».

Evidemment, je me réjouis de la clarté des expressions de condamnation venues de toutes parts. Puissent-elles être autre chose qu’un prurit émotionnel. Et une véritable prise de conscience que les mots peuvent armer. Quand on défile au cri d’intifada dans les rues des villes françaises, qu’on loue l’acte de résistance du 7-Octobre ou qu’on s’affiche aux côtés de militants islamistes notoires qui reprennent les mots du Hamas pour appeler au ‘déluge d’Al-Aqsa’, on porte une responsabilité évidente. Hier, j’ai vu passer quelques « oui mais », très minoritaires, mais suffisamment révélateurs pour rester profondément inquiet.

C’est-à-dire ?

Certaines prises de parole sont représentatives d’un courant de pensée qui cherche systématiquement à recontextualiser un crime quand il vise des juifs. C’était le sens de mon alerte, partagée avec d’autres : comment en est-on arrivé à ce point où, après un meurtre antisémite, on se demande si la condamnation sera pleine et entière, indépendante de tout contexte géopolitique ? Il y a une banalisation extrêmement dangereuse, une forme d’acceptation implicite de la violence antisémite, ou à tout le moins une complaisance. On flirte en permanence avec la ligne rouge, en remplaçant le mot « juif » par « sioniste », ce qui revient, concrètement, à mettre des cibles dans le dos des juifs de France.

Les actes antisémites se multiplient en France. La classe politique prend-elle suffisamment conscience de l’ampleur du danger ?

Il existe un décalage très profond. On entend des condamnations de principe – nécessaires – mais sans toujours mesurer à quel point chaque mot compte. Il y a une contradiction entre une condamnation parfois sincère et, dans le même temps, une complaisance avec des discours ambigus, portés par des « ingénieurs du chaos » qui jouent de l’ambivalence de leurs propos.

Dans une époque où l’on croit les victimes, le mal-être des Français juifs semble minimisé. Face aux chiffres alarmants de la hausse des actes antisémites, Jean-Luc Mélenchon s’est permis de parler, pendant ce temps, « d’antisémitisme résiduel »… Comment le comprendre ?

Parce qu’il existe aujourd’hui un discours politique dans lequel l’identification du juif comme victime et comme minorité opprimée ne « colle » pas. Les grilles de lecture décoloniales dominantes tendent à percevoir les juifs non pas comme une minorité, mais comme l’incarnation du dominant. Dès lors, leur parole est invisibilisée, au mépris du « on vous croit » pourtant légitime et salutaire lorsqu’il s’agit de violences sexuelles, de protection de l’enfance ou d’autres formes d’oppression. C’est une rupture majeure avec l’universalisme républicain, qui devrait faire de l’antisémitisme une affaire collective, et non l’affaire des seuls juifs.

Synagogues incendiées, restaurants saccagés… L’attaque de Sydney s’inscrit dans un contexte de déferlement de haine antisémite en Australie. Craignez-vous que ce type de drame puisse se produire à nouveau en France ?

Hier, j’ai considéré avec effroi que ce qui se passait en Australie pouvait arriver chez nous. L’antisémitisme d’atmosphère finit toujours par rendre possibles des passages à l’acte. On l’a déjà connu. Mohammed Merah justifiait ses crimes au nom des enfants palestiniens. Aujourd’hui, la parole s’est encore libérée : certains sont sincèrement convaincus d’agir avec justesse au nom de la justice, en s’en prenant aux « sionistes » en France. Tout se cristallise autour de ce mot, que l’on l’utilise comme un anathème, sans expliquer ce qu’il signifie, et on lui adjoint parfois « génocidaire ». C’est une dérive extrêmement grave. A un moment donné, cette pseudo-distinction ne tient plus. A la fin, cela dit la même chose : tout juif devient une cible potentielle.

Comment lutter contre cette assignation identitaire ?

D’abord en combattant l’ignorance et les simplifications. Le conflit israélo-palestinien est, par nature, complexe. Assimiler le sionisme à l’extrême droite israélienne est une défaite sémantique et culturelle. On peut être, comme je me définis, sioniste et propalestinien, : pour moi, le sionisme, c’est le droit à l’existence d’Israël. Et c’est compatible avec la reconnaissance de l’Etat palestinien que j’ai soutenue, en fidélité à la solution à deux Etats, aussi délicate soit-elle à construire en ce moment. Je dénonce la colonisation israélienne en Cisjordanie, je combats l’extrême droite israélienne comme je combats l’extrême droite en France, je vomis le Hamas, je dénonce les slogans d’effacement d’Israël qui revendique une Palestine libre de la mer à la rivière autant que les suprémacistes religieux juifs et leurs relais qui rêvent d’un Grand Israël qui aurait expulsé tous les Palestiniens. Dans le campisme ambiant, ce courage de la nuance est marginalisé, et avec lui s’installe une mise à l’écart progressive des juifs, quoiqu’ils disent, quoiqu’ils fassent. C’est cela, au fond, qui est vertigineux.

Le grand rabbin de France appelle à un sursaut de fraternité. Est-ce la meilleure réponse ?

La fraternité n’est pas un grand moment d’émotion ponctuelle. Ce n’est ni une marche, ni une indignation épisodique. C’est une éthique du quotidien : refuser les amalgames, dénoncer les paroles qui glissent, combattre l’ambiguïté entretenue, rappeler que le soutien aux Palestiniens ou l’hostilité à Netanyahou ne justifie jamais qu’on s’en prenne aux juifs, où qu’ils vivent. L’acte de bravoure de cet homme, musulman et ancien militaire, qui a désarmé l’un des assaillants en Australie, est un symbole magnifique. Mais soyons lucides : nous sommes loin du compte. Nous avons reculé sur les réflexes universalistes dans le combat antiraciste.

Vous avez pourtant participé aux célébrations publiques de Hanoukka, dimanche dans votre circonscription. On vous sait très attaché à la laïcité. Pourquoi êtes-vous sorti de votre habituelle réserve ?

D’ordinaire, je m’abstiens effectivement, par principe, de participer aux événements publics religieux. Je considère que la parole publique n’a pas vocation à s’exprimer lors d’un événement religieux. Mais hier, comme après tout acte antisémite, c’était précisément l’endroit où il fallait être. Je suis venu comme élu de la République exprimer une solidarité à des concitoyens plongés dans le chagrin et l’inquiétude. Dans ce moment-là, il était essentiel de dire que la République était à leurs côtés.



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Author : Mattias Corrasco, Sébastien Schneegans

Publish date : 2025-12-15 17:00:00

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