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Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez… Enquête sur les liaisons dangereuses entre la droite et le groupe Bolloré

Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez… Enquête sur les liaisons dangereuses entre la droite et le groupe Bolloré

Rien de tel qu’un passage sur CNews pour embraser la droite. Ce 30 septembre, Roger Karoutchi est l’invité de l’interview matinale de Sonia Mabrouk. Le sénateur Les Républicains (LR) des Hauts-de-Seine balaie l’actualité, de la guerre à Gaza à la montée de l’antisémitisme. Puis survient l’inévitable sujet de l’union des droites. L’ancien ministre exprime ses réserves sur une telle alliance, mais annonce qu’il voterait « sans états d’âme » Jordan Bardella face à Jean-Luc Mélenchon au second tour de l’élection présidentielle. La sénatrice LR Sophie Primas se fend alors d’un SMS à son collègue : « Il n’y a pas que moi qui lâche des bombes devant Mabrouk ! » L’ancienne porte-parole du gouvernement avait été étrillée par Renaissance au printemps pour avoir enterré le « macronisme » lors d’un entretien avec la journaliste.

Roger Karoutchi est aussitôt accusé de collusion avec l’extrême droite, parfois par son camp. Au moins CNews ne se mêle pas au concert d’indignations. L’élu garde en tête cette question de hiérarques de la chaîne d’information conservatrice : « Vous n’iriez pas plus loin en parlant d’union des droites au premier tour ? » Bien, mais peut mieux faire ! Les médias du milliardaire Vincent Bolloré se sont engagés dans une bataille culturelle d’ampleur à l’aube de l’élection présidentielle de 2027. Autant que la promotion d’idées, ils souhaitent remodeler le paysage politique en poussant LR à se fondre dans le Rassemblement national. La droite est tétanisée par ce mastodonte, à la fois allié apparent et fossoyeur.

« Hégémonie médiatique » de la gauche

A l’origine était la gauche. Partout, tout le temps. La droite s’est toujours sentie minoritaire dans l’écosystème médiatique. Il y a ce service public – avec pour emblème l’épouvantail France Inter – forcément de mèche avec la gauche bon teint. Cet « esprit Canal » des années 1990-2000, soupçonné de conformisme derrière ses apparentes transgressions. Et qu’importe si TF1 était accusé dès 2002 de servir Jacques Chirac en investissant avec force le thème de l’insécurité ou si la gauche radicale n’a pas bonne presse à la télévision. Un sincère sentiment d’iniquité, parfois irrationnel, étreint ce camp. Comment parler d’immigration et de sécurité dans un environnement où les bons sentiments règnent ? Comment briser les tabous sans subir de procès en sorcellerie ?

L’émergence de l’empire médiatique de Vincent Bolloré s’est faite avec la bénédiction de la droite. Quand une grève éclate au Journal du Dimanche à l’été 2023 en protestation contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune – ex de Valeurs Actuelles – elle laisse faire. Au diable les tribunes en soutien aux journalistes attachés à leur indépendance ! Un propriétaire est maître chez lui. CQFD. LR observe avec une joie mauvaise les cris d’orfraie contre la droitisation du titre. « J’ai vécu, en tant que mec de droite, ce temps de l’hégémonie idéologique et médiatique de la gauche, confie le patron de LR Bruno Retailleau. C’était insupportable. Aujourd’hui, qu’il y ait des espaces médiatiques pluriels est une bonne chose. »

Quand Beauvau sonde un journaliste d’Europe1

Alors, va pour CNews et ses émissions autour de l’islam ou du lien entre immigration et délinquance. Les débats, d’une tenue toute relative, sont menés dans une atmosphère de consanguinité intellectuelle. « Quand j’y vais, je suis face à un bloc de gens qui pensent la même chose », s’est amusé un chroniqueur de la chaîne auprès d’un élu LR. Les médias du groupe Bolloré dégagent moins d’érudition que Le Figaro ? La droite s’en contente.

A Beauvau, Bruno Retailleau mesure la puissance de feu de l’empire Bolloré. Son action est louée par les médias du groupe, son entourage nourrit le soir les éditorialistes de CNews avant leur prêche du matin. Brice Hortefeux en est presque jaloux. L’ex-ministre de l’Intérieur avait moins d’appuis sous la présidence Sarkozy. « Tu as cette chance incroyable de t’appuyer sur CNews, Europe 1 ou le JDD« , glisse-t-il un jour à son successeur. « Mais moi, je dois faire avec les réseaux sociaux », lui répond le Vendéen. Après son élection à la tête de LR, Bruno Retailleau remodèle son cabinet. Sa garde rapprochée sonde Louis de Raguenel, chef du service politique d’Europe 1, pour rejoindre l’équipe. Le journaliste connaît la maison. Il a fait ses classes à Beauvau comme collaborateur de Claude Guéant. On en restera à la simple prise de contact.

« Ne crois jamais Bolloré »

Pourquoi se priver de bâtir des ponts avec ce groupe médiatique ? L’écosystème Bolloré est ambivalent. Il mêle radicalité, férocité envers ses adversaires et servilité à l’égard de ses chouchous. Il y a les historiques, invariablement défendus à longueur d’émissions, comme Nicolas Sarkozy. Il a droit aux honneurs du groupe, entre entretiens fleuves dans le JDD et dénonciation de son traitement judiciaire sur CNews. Le 7 décembre, la langue de Pierre de Vilno fourche. Le présentateur du Grand Rendez-Vous souligne devant le ministre LR Vincent Jeanbrun que l’ancien président est « encore » en une du JDD. Pourquoi « encore » ? Cet adverbe pourrait prêter à confusion… Le journaliste se reprend. Après l’émission, il s’inquiète d’un appel de sa direction ou d’une reprise de la séquence par l’émission Quotidien. Il y a des mythes qu’on n’écorche pas.

Bruno Retailleau n’a pas le même statut. Il a eu droit à un documentaire à sa gloire sur CNews en pleine campagne interne de LR, lui qui a toujours traité avec soin les médias du groupe. En juin, Xavier Bertrand interroge Bruno Retailleau sur ses relations avec Vincent Bolloré, un interlocuteur régulier du Vendéen : « Tu es sûr que ça tient jusqu’au bout ? » Valérie Pécresse en doute. Elle met un jour en garde le patron de LR. « Ne crois jamais Bolloré, il te dit toujours qu’il te soutient mais il joue à la roulette, il met plusieurs boules. » Elle a payé pour apprendre. La promesse du milliardaire de soutenir « le candidat de la droite » en 2022 n’a pas été respectée. La Francilienne a constaté combien la candidature Zemmour avait les faveurs de CNews. Son équipe a bataillé contre la chaîne, pestant contre ces plateaux remplis de chroniqueurs hostiles à la candidate.

Le départ de Bruno Retailleau du gouvernement a donné raison à l’ex-candidate à la présidentielle. Une disgrâce ? Non, une simple relégation. D’autres têtes d’affiche ont gagné les cœurs. « Je les vois bien essayer de lancer un ticket Villiers-Knafo pour 2027 », anticipe en petit comité Gabriel Attal. Les fidélités du groupe sont successives. Le groupe Bolloré porte des idées plus que des hommes. Ces derniers sont de simples véhicules. Comme tout mouvement politique, il conjugue ligne idéologique et stratégie de conquête du pouvoir. Ici, l’union des droites. Les élus LR conviés sur CNews sont systématiquement interrogés sur cette grande alliance avec le RN, clé supposée de la victoire en 2027. L’interrogation est frappée du sceau de l’évidence. Chaque question est une injonction, l’accusation de « fausse droite » effleure. Gérard Larcher récuse tout rapprochement avec Reconquête ? Le voilà accusé « d’exclure » ses électeurs. « Sur CNews, il y a une pression nouvelle à l’union qui n’existait pas par le passé, se réjouit l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo. Elle a une charge culpabilisatrice forte. »

Campagne active pour l’union des droites

Le terreau est fertile. L’union est réclamée par une partie du peuple de droite. Chez les cadres, le refus de l’alliance obéit parfois davantage à des considérations stratégiques qu’à une opposition de principe. « Ils font une campagne active sur l’union des droites comme si on était en Italie où la droite de gouvernement a contribué à stabiliser le pays, analyse le vice-président délégué de LR François-Xavier Bellamy. Dans ce cas la question se poserait ! Mais nous ne sommes pas dans un système parlementaire. » Et dans un régime présidentiel, la survie des partis passe par une candidature au premier tour de l’élection reine.

La pression s’exerce aussi hors antenne. A l’automne, le tout-puissant directeur général de la chaîne Serge Nedjar accueille avec bienséance un cadre LR avant une interview. Quelques compliments envers Bruno Retailleau, les amabilités d’usage puis une leçon politique. Le bloc de droite doit s’unir face au péril de la gauche. Tant pis pour la droite républicaine, affaiblie par ses guerres intestines. « Personne n’est assez fort chez LR pour être à la tête du bloc. » A l’actuelle porte-parole du gouvernement Maud Bregeon (Renaissance), il lance un jour : « Pourquoi n’êtes-vous pas LR ? » Elle sourit intérieurement : quelle adhésion politique peut-il bien suggérer aux élus LR qu’il reçoit ?

L’échange est parfois plus vif. A l’issue d’une interview matinale en pleine campagne interne de LR, Laurent Wauquiez tombe sur Pascal Praud. L’animateur aime cueillir les invités de Sonia Mabrouk pour leur administrer un cours magistral. Laurent Wauquiez a droit à son sermon. « Il faut une alliance avec le RN. La droite perdra les élections tant qu’elle ne l’aura pas compris ! », lui lance le journaliste.

Le député de Haute-Loire connaît ce discours par cœur, lui qui échange de manière épisodique avec la star de CNews. Fin septembre, Laurent Wauquiez est dans le pétrin. La présidence de la commission d’enquête parlementaire qu’il a lancée autour des liens entre les partis politiques et l’islamisme menace d’échoir à Aymeric Caron, faute de volontaires au RN. L’élu LR s’en ouvre à Pascal Praud. Le lendemain, l’animateur de L’Heure des Pros reproche au vice-président du RN Louis Aliot de manquer de « clarté » sur le sujet, lors d’une émission. Il n’en reste pas là. En coulisses, il contacte Marine Le Pen, puis rend compte de l’échange à Laurent Wauquiez.

Pascal Praud et Marine Le Pen

Volonté de jouer les entremetteurs entre la droite et le RN ? Désir de celui qu’Emmanuel Macron surnomme monsieur Homais – le pharmacien vaniteux de madame Bovary – d’influer sur le cours des choses ? « Il m’a demandé pourquoi nous avions refusé et je lui ai expliqué », explique à L’Express la patronne des députés RN. On en reste là. Si la droite espère siphonner l’électorat frontiste en épinglant le discours économique du RN, le groupe Bolloré ne sera pas son meilleur allié. Parlez-en à Amélie de Montchalin. Le 16 novembre, la ministre des Comptes publics a toutes les peines du monde à étriller les propositions budgétaires du RN lors du Grand rendez-vous d’Europe 1. « Vous ne parlez jamais d’immigration », « Le RN a essayé de vous tendre la main, vous lui fermez la porte »… Une émission « folle », se dira Amélie de Montchalin en sortant du studio. Elle est alors félicitée par une collègue : « Tu as été héroïque mais franchement, c’est intenable. »

Sarah Knafo dépeint CNews en « média de toutes les droites ». Rien n’est moins sûr. Ce camp est travaillé par des contradictions internes, loin du bloc monolithique de la chaîne. Jusqu’où écouter ce groupe, représentant d’une droite libérale et conservatrice ? Gare au miroir déformant. Bruno Retailleau a décliné en novembre une invitation la soirée du JDD au Dôme de Paris, grand raout réunissant les stars du groupe. Le Vendéen a beau partager les valeurs du titre, il n’avait guère envie d’être l’homme le plus à gauche de l’événement.

« Le danger est que cela bouffe la tête »

A-t-il parfois eu un oreille trop attentive à la musique du groupe ? « A Beauvau, j’ai toujours été d’une très grande liberté, assure Bruno Retailleau. J’avais très peu d’images. » La liberté n’empêche pas l’écoute. Au printemps, il évoque avec un élu proche son avenir au gouvernement. « Le groupe Bolloré me pousse à sortir », lui confie le ministre. Il décide de rester, avant que la nomination de Sébastien Lecornu ne change le cours des choses. Une tribune publiée cet été par le patron de LR contre le financement public des énergies renouvelables a été précipitée par les attaques de CNews contre un vote du Sénat hostile à un moratoire sur l’implantation d’éoliennes en France. Valérie Pécresse l’appelle : « Ce n’est pas Pascal Praud qui dicte la ligne du parti ! »

« Le danger est que cela bouffe la tête », note Laurent Wauquiez, guère épargné sur les antennes du groupe en raison de son attitude conciliante avec le gouvernement Lecornu. « Ils ont tenu des propos épouvantables et au delà du raisonnable sur moi », glisse le député de Haute-Loire, surnommé « Laurent le Maléfique » par Pascal Praud. Son refus de censurer le Premier ministre ? « Je leur ai dit : ‘Vous vous trompez, une partie de vos lecteurs et de vos auditeurs ne veut pas le bordel. C’est une erreur de penser que vous êtes regardés uniquement par ceux qui veulent renverser la table. » Laurent Wauquiez dresse ici son autoportrait : celui d’un homme imperméable à l’influence médiatique. Une manière, aussi, d’épingler son rival Bruno Retailleau. Mais il mesure l’influence de cet empire. Comme en décembre 2024, lorsqu’il appelle Serge Nedjar pour se plaindre du traitement de sa brouille avec Bruno Retailleau après la chute de Michel Barnier.

Lui aussi est sensible à la force d’attraction du groupe. Gérald Darmanin est souvent apparu dans les colonnes du JDD, entre interviews exclusives et reportages sur son quotidien de ministre. « Cela fait longtemps qu’on ne t’y a pas vu. Il serait temps de faire une Une du JDD !’, le taquine parfois un complice. L’homme n’a aucune chance d’évangéliser ces médias, guère sensible à l’aile droite du bloc central. Tout juste utilise-t-il leur force de frappe pou servir ses intérêts, au risque de consolider un groupe qui a d’autres maîtres. Il n’est pas le seul à opter pour cette stratégie. Gabriel Attal a récemment enchaîné une interview au JDD avec un passage sur CNews. Selon L’Obs, l’ancien Premier ministre a dîné avec le directeur général de Canal+ Gérald-Brice Viret afin de retisser le lien avec le groupe. Il l’a confié à un proche : « On ne peut pas faire une campagne sans le groupe Bolloré. »



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2025-12-17 17:00:00

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