Après son puissant discours de la semaine dernière à la convention du Parti démocrate, Kamala Harris était attendue avec impatience jeudi soir 29 août sur CNN pour sa première interview télévisée de candidate. Portés par l’euphorie du moment et les sondages favorables, ses supporters espéraient que la « guerrière joyeuse » – l’expression est de son mari Doug Emhoff – galvanise encore davantage son camp. Les trumpistes, eux, attendaient la vice-présidente au tournant, priant pour qu’elle rate ce rendez-vous médiatique. Ni les uns ni les autres n’ont obtenu satisfaction. Lors de sa brève émission – 27 minutes seulement – sur une chaîne « amie », c’est-à-dire démocrate, Harris a assuré le service minimum face à une journaliste relativement complaisante qui, à aucun moment, n’a cherché à la bousculer Harris ni la mettre « sur le gril ».Elle se présente en « présidente normale »En répondant à des questions générales sur l’économie, l’immigration ou Israël, Kamala Harris n’a guère crevé l’écran. C’était voulu : l’un de ses objectifs était visiblement de se présenter comme une candidate (et possible présidente) « normale » et de projeter l’impression d »une force tranquille » en marche. Et cela, afin d’accentuer le contraste avec son adversaire Donald Trump, de plus en plus agressif. Ces dernières semaines, il a qualifié successivement Kamala Harris sur les réseaux sociaux de « folle », de « communiste », d' »idiote », de « vraie ordure », de « clocharde », de « méchante » et on en passe.Interrogée sur ce qu’elle ferait au premier jour de son mandat, la démocrate a répondu qu’elle s’occuperait du pouvoir d’achat de la classe moyenne qui est sa priorité. Sur le « fracking » – elle était contre cette technique d’extraction de gaz de schiste en 2019 mais elle est pour aujourd’hui – elle s’est contentée d’asséner que ses valeurs n’avaient pas changé et qu’elle était favorable au Green New Deal, cette politique de lutte contre le changement climatique et les inégalités économiques. Et peu importe si les trumpistes l’accusent de changer d’avis.Sur l’immigration, elle a rappelé qu’en raison de son expérience de procureure de Californie de 2011 à 2017, elle est la seule candidate à avoir concrètement eu à affronter les trafiquants de drogue et d’êtres humains dans un Etat frontalier. Elle a aussi répété que Trump avait donné des consignes aux élus républicains du Congrès afin de bloquer une loi bipartisane, la Border Security Bill, visant à un meilleur contrôle de la frontière au motif cynique que cela aurait favorisé politiquement Joe Biden.Sur Israël, elle s’en est tenue à de prudents éléments de langage. Oui, elle soutient le droit d’Israël à se défendre « surtout après le massacre de jeunes fêtards le 7 octobre et les viols qui ont été perpétrés sur des femmes ». Mais « il est important d’arriver à un accord à Gaza », estime-t-elle. Et elle est favorable à « la solution à deux Etats ». Rien de nouveau, donc. »Harris doit juste continuer à surfer sur la vague »En, somme, la candidate démocrate a joué « en défense », comme on le dirait au football, et son colistier Tim Walz, pourtant excellent orateur, a fait low profile (profil bas). Ce dernier était également présent en plateau, conformément à la tradition consistant à faire une interview conjointe juste après la présentation du « ticket » présidentiel lors des conventions. Lui aussi a répondu à quelques questions sans prendre de risques et sans être mis en difficulté par l’intervieweuse.On voit ainsi se dessiner la stratégie de campagne du ticket démocrate pour les neuf semaines qui restent avant le scrutin du 5 novembre. Ce sera la même que celle de Joe Biden en 2020 qui, en pleine crise du Covid avait limité ses interventions au minimum – menant sa campagne par vidéo depuis le studio de télévision installé au sous-sol de sa villa du Delaware. « Kamala Harris doit avant tout continuer de surfer sur la vague d’enthousiasme et d’énergie née lors du renoncement à la réélection de Joe Biden fin juillet », estime Barbara A.Perry, une experte des présidences américaines à l’université de Virginie. « L’important est de rester sur sa crête en espérant que la vague ne se brise pas en raison d’un imprévu », ajoute Perry.En dehors du débat – crucial – contre Trump le 10 septembre, tout indique que la « machine » démocrate ne laissera aucune place à l’improvisation, limitera les interviews télé de la candidate, bannira les conférences de presse et se limitera à des événements très scénarisés tels que des meetings, des sorties « sur le terrain », des clips de campagne ou des allocutions.Il est l’heure de « tourner la page Trump »Le flou du programme de Kamala Harris ne devrait, quant à lui, guère se dissiper. Car l’essentiel est ailleurs et son vrai programme est de faire barrage à un retour de Trump à la Maison-Blanche. Comme elle l’a dit en répondant en visant son adversaire, l’objectif est de « tourner la page de la décennie écoulée, qui est contraire à l’esprit des Etats-Unis ». « Un bon leader ne se mesure d’ailleurs pas à sa capacité à abaisser les autres mais, au contraire, à les élever », a-t-elle précisé, visant Trump sans le nommer.Fou de rage, ce dernier qui, comme on sait, raffole des impromptus devant les caméras, accuse Kamala Harris de les fuir. Il lui reproche de n’avoir donné aucune interview pendant les 39 jours suivant sa nomination et ironise sur le fait que celle de CNN n’a duré que vingt-sept minutes face à une journaliste qui, visiblement, ne voulait aucun mal à la candidate démocrate. Tout cela est vrai mais est calculé à dessein par la « team Harris ». Et plus le républicain s’agace et vitupère, plus le contraste avec la candidate « normale » paraît évident. Et moins Trump semble convaincre.
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Author : Axel Gyldén
Publish date : 2024-08-30 08:17:45
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