Pendant sept longues années, c’est une ligne rouge qu’Emmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, s’étaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à l’urgence budgétaire, l’ancien commissaire européen envisagerait d’appliquer des hausses d’impôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de l’ancienne majorité présidentielle. »La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. J’ai demandé tous les éléments pour en apprécier l’exacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de l’AFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de l’offre entreprise par le chef de l’Etat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par L’Express, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur d’économie à HEC Paris, estime qu’une hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement sur notre économie. Il plaide en revanche pour l’activation d’autres leviers comme l’innovation et l’investissement.L’Express : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : l’augmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et l’investissement d’avenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que l’on va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la justice sociale. Or, c’est ce que je mets en doute.Pourquoi ?En France, nous avons en ce moment un problème d’offre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour l’ensemble de l’Europe. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de s’ajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce n’est pas vraiment une solution à privilégier.Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements d’avenir pour favoriser l’innovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors qu’elles doivent, au contraire, investir et améliorer l’offre, produirait l’inverse des effets recherchés.Qu’en est-il des ménages ?Si les entreprises sont moins compétitives, le taux d’emploi va inévitablement diminuer, alors qu’il avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de l’offre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir d’achat et l’égalité des chances. A l’arrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines d’années. Nous nous donnerons l’illusion à court terme d’avoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.Que vous inspire l’expression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de l’OCDE. Il n’y a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur l’égalité des chances qui n’est pas suffisante en France.Ce n’est pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de l’économie. Ce n’est pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire d’erreur de diagnostic.Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?Ce n’est pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce qu’ils l’ont déjà vécu. Les Français se diront qu’il y a moins de pouvoir d’achat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.Comment l’expliquer ?Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer qu’ils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur l’économie. Quand certains économistes nous disent que le choix d’augmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève d’un choix politique, je pense qu’ils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. L’effet final sur l’économie et les finances publiques sera donc très différent.Le débat actuel autour des hausses d’impôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?Jusqu’à présent, nous n’avons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses d’éducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés qu’en Allemagne, par exemple. C’est aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. L’organisation doit être repensée et nous devons améliorer l’efficacité de nos dépenses publiques. Il n’y a que cela qui sera durable.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2024-09-19 04:30:00
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