L’Express

Impôt sur les milliardaires : une idée stupide, par Emmanuelle Mignon

Le Premier ministre Michel Barnier à Menton, le 18 octobre 2024




Dans une tribune publiée récemment, l’économiste Thomas Piketty a proposé une taxation exceptionnelle des 500 Français les plus riches dont la fortune globale est passée de 200 à 1 200 milliards d’euros depuis 2010. A hauteur de 10 % de cet accroissement de patrimoine, cet « impôt des milliardaires », comme il l’a habilement désigné, rapporterait 100 milliards à la France, soit les deux tiers du déficit : une aubaine pour un Premier ministre bien en peine de faire voter sa loi de finances.Cette idée est fondamentalement stupide. D’une part, parce que ces fameux 1 000 milliards ne sont pas liquides, mais investis dans le capital d’entreprises. « Qu’à cela ne tienne », répond l’économiste, « que chacun paye son impôt en actions » : une idée assurément brillante qui ferait de l’Etat, mondialement connu pour ses éclatantes capacités de gestionnaire, un immense propriétaire de valeurs mobilières. D’autre part, parce qu’il s’agit d’une mesure à un coup, laissant la question inchangée l’année prochaine.Les inégalités de revenus ne s’aggravent pasS’il est un point que l’on peut toutefois concéder à Piketty, c’est que l’impôt des milliardaires relève effectivement d’un débat politique. Et cela sous trois aspects. Le premier porte sur le rôle de l’impôt comme critère de la justice sociale et celui de la justice sociale comme objectif de l’impôt. Contrairement au matraquage oratoire de la gauche, les inégalités de revenus ne s’aggravent pas dans notre pays.Après redistribution, l’écart de niveau de vie entre le décile le plus privilégié de la population et le décile le moins favorisé oscille autour de 3,4 depuis environ quarante ans (selon l’Observatoire des inégalités.). Grâce à la mondialisation, une petite frange de Français a certes vu ses rémunérations exploser, mais ce dont souffre l’immense masse de nos concitoyens, c’est l’inquiétude face à l’avenir, l’absence de perspectives, la stagnation du pouvoir d’achat, la smicardisation des salaires et la faillite des services publics. S’approprier 10, voire 20 % du patrimoine des super riches flatterait la passion égalitariste des Français, mais ne résoudrait en rien les problèmes fondamentaux de l’économie française qui ont pour nom le déficit de travail, la désindustrialisation, l’insuffisance d’investissement, les dysfonctionnements de l’Etat et l’appauvrissement généralisé.Le deuxième concerne l’incapacité des responsables publics à promouvoir l’égalité autrement que par l’impôt et la prestation. Bien sûr, égaliser par les revenus en taxant d’un côté et en subventionnant de l’autre est adapté à une gestion de masse, mais quel manque de finesse et d’imagination quand il faudrait combattre l’inégalité des conditions par l’égalité des chances ! Nous sommes dans le nouveau millénaire depuis bientôt un quart de siècle, mais nous continuons à penser les politiques sociales avec les concepts et les outils des années 1950.La France a épuisé toutes ses marges de manœuvreLe troisième relève de la prise de conscience de la gravité de la situation budgétaire et économique de notre pays. Intégralement consacré au désendettement, l’impôt des milliardaires réduirait la dette publique de 3 %, une paille. Avec le taux de prélèvements obligatoires le plus haut de l’OCDE, le niveau de dépenses publiques le plus élevé du monde et un seuil d’endettement public qui la place à la merci de ses créanciers, la France a épuisé toutes ses marges de manœuvre budgétaires et fiscales.Sa politique économique consiste à subventionner la productivité des entreprises et soutenir le pouvoir d’achat des ménages par la dérive des finances publiques, un désastre. Seules des mesures drastiques et cumulatives, pesant sur une large part de la population, comme le gel des retraites ou l’augmentation de la TVA, seraient de nature à amorcer un début redressement, mais elles sont injustes et pèseraient sur une population déjà en mal de pouvoir d’achat. Pour rétablir les finances publiques, la seule option est donc la croissance, qui suppose de baisser massivement les impôts et les charges sociales tout en investissant dans les services publics. C’est l’impasse. La situation des finances publiques est devenue le boulet algérien de la Ve République. De cela, comme de la responsabilité collective et individuelle de ceux qui nous ont conduits là, il faut politiquement débattre, autrement qu’en fin de mandat, le dos au mur. Car chacun sait comment se termine l’histoire des Républiques qui courent avec des boulets aux pieds.



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Publish date : 2024-10-22 07:04:27

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