Loin des regards indiscrets. Le mercredi 16 octobre, Laurent Wauquiez et Véronique Louwagie ont rendez-vous à Matignon. Les députés La Droite républicains (DR) rencontrent Jérôme Fournel, le directeur de cabinet de Michel Barnier, et quelques hauts fonctionnaires de Bercy. Le binôme vient soumettre à l’exécutif une série de propositions d’économies afin d’alléger la hausse des impôts prévue dans le projet de budget 2025. Le bras droit du Savoyard prend acte de leurs arguments, sans s’étendre davantage. Pas plus qu’il n’avait formulé de réponse précise aux suggestions du député DR Jean-Didier Berger lors d’un échange au ministère des Relations avec le Parlement.Le même jour, le théâtre parlementaire s’ouvre avec l’examen du texte en commission des Finances. Ce folklore ne trompe personne. Le budget, promis à une adoption par 49.3 faute de majorité à l’Assemblée, s’écrit en coulisses. Dans une sourde lutte d’influences entre Michel Barnier et ses alliés « du socle commun ». Une guerre de contraintes, aussi. Chaque camp doit avaler des couleuvres idéologiques au vu de la dégradation des comptes publics. « C’est un budget technique, pas politique », note un conseiller DR. Mais chacun tente en parallèle d’obtenir quelques victoires à exhiber en trophées.Peut-être ce budget est-il né au mois d’août. Michel Barnier n’est pas encore à Matignon. A peine son nom circule-t-il dans la liste des prétendants envisagés par le chef de l’Etat. L’élu a pourtant quelques idées sur la teinte du projet de loi de finances. « Il y a un enjeu de justice fiscale, glisse-t-il à l’époque à un proche. Les riches sont devenus plus riches avec Emmanuel Macron. » Sacrilège ! Voilà le tabou fiscal levé par l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Tant pis pour LR, qui a érigé toute hausse d’impôts en « ligne rouge » dans son pacte législatif. Au diable le bloc central, hostile à toute déconstruction de l’héritage macroniste. Ce legs a presque chez les députés EPR valeur sentimentale. Une fois nommé, Michel Barnier fonce. Persuadé que sa coalition est contrainte de suivre ses orientations. « Je n’étais candidat à rien », aime-t-il rappeler pour mieux souligner sa liberté. »Ne te laisse pas entraîner par Gérald Darmanin »L’histoire ne lui donne pas tort. Le bloc central et la droite se sont résignés à ses deux grandes mesures fiscales : une surtaxe temporaire sur les hauts revenus et une augmentation de l’impôt sur les sociétés. Le patron des députés Ensemble pour la République (EPR) Gabriel Attal n’y oppose pas de veto et n’a pas souhaité que son groupe porte un amendement de suppression de la hausse de l’impôt sur les sociétés. L’ancien Premier ministre a assuré à ses troupes qu’il était délicat de trouver un dispositif alternatif à cette mesure, source de huit milliards d’euros d’économies.Un député lui a récemment conseillé de ne pas enfourcher ce cheval de bataille : « Ce serait une erreur de crédibilité économique. Ne te laisse pas entraîner par Gérald Darmanin. » L’ex-locataire de Beauvau, qui ne veut pas entendre parler de la moindre hausse d’impôts, suscite l’incompréhension de nombreux élus EPR. L’ancien ministre de l’Industrie Roland Lescure a enfin constaté combien cette mesure était comprise par les chefs d’entreprise, malgré leurs réserves.La droite a aussi levé le pied. La ligne rouge fiscale a été repeinte en orange. Laurent Wauquiez impute la responsabilité de cette inflexion aux macronistes, en pleine dérive des finances publiques. « On prend en compte la contrainte, confie le patron des députés DR. Il faut des accommodements par rapport à la pureté morale d’une politique de droite. »Note de la droite à MatignonMais il faut bien accrocher quelques victoires. En coulisses, la lutte continue. LR conteste le gel des pensions de retraite pendant six mois, du 1er janvier au 1er juillet 2025. Laurent Wauquiez a chargé la députée de l’Orne Véronique Louwagie de trouver une alternative à cette mesure répulsive à droite, mais gage de quatre milliards d’euros d’économies. Dans une note transmise à Matignon, la droite prône en compensation des économies sur l’immigration (suppression du « titre de séjours pour soins », réforme de l’Aide Médicale d’Etat) ainsi que dans l’administration, avec notamment le gel du recrutement d’un an dans l’administration d’Etat hors ministères régaliens. Laurent Wauquiez attend encore sa réponse.L’ex-patron de région a échangé ce week-end avec Michel Barnier. Il regrette en privé une emprise de la technostructure de Bercy sur l’hôtel de Matignon, guère réceptif aux pistes d’économies de la droite. Tout juste le ministre des Comptes publics Laurent Saint-Martin accepte-t-il d’évincer les « petites retraites » du dispositif. Insuffisant pour la droite. Au risque de fragiliser la coalition ? Un député DR a rassuré Michel Barnier : « Le rapport de force est de votre côté. Ils ne voteront pas la censure. »La bataille des charges patronalesLe bloc central est aussi en quête de gains politiques. Lors d’une réunion de groupe, Gérald Darmanin et Aurore Bergé ont prôné mardi 22 octobre l’identification de « buts de guerre » dans cette bataille budgétaire. Cette quête revêt une dimension existentielle. Si je ne connais pas mes doléances, sais-je qui je suis ? « Nous devons assumer notre identité pro-business au risque de disparaître », juge un cadre EPR. Alors, les macronistes ciblent à l’unisson l’allègement des charges patronales, mesure phare du budget de la Sécurité sociale. « En cas de déperdition de nos exigences, nous prenons le risque de l’illisibilité. On ne peut négocier sur tout, note Roland Lescure. L’allègement des charges est un combat existentiel pour nous, parce que nous en savons son efficacité sur l’emploi. »Ils souhaitent lui substituer la réforme de l’assurance chômage, mais l’exécutif freine des quatre fers. Un député EPR s’en est ouvert en privé à Laurent Saint-Martin, déja interpellé mardi en réunion de groupe : qu’il leur dise, parmi les économies qu’ils ont dans leur cartons, celles qu’ils n’ont pas endossées. Des députés sont prêts à les proposer pour obtenir l’abandon de la hausse des charges.Cette lutte d’influence illustre la crise traversée par le socle commun. Deux entités vivant côte à côte, quand elles ne sont pas face à face. Elus DR et macronistes ont des requêtes budgétaires distinctes et ne chassent pas en meute, malgré leur gémellité idéologique. Les caisses publiques sont vides, l’exécutif ne pourra pas contenter tout le monde. Des arbitrages de Michel Barnier, de nouvelles tensions naîtront-elles ?
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2024-10-24 03:30:00
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