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Emballement médiatique, système de santé inégalitaire : l’affaire Luigi Mangione en infographies

Luigi Mangione




La vidéo est glaçante. Et malheureusement, si ordinaire pour les Etats-Unis. La scène se déroule le mercredi 4 décembre au matin. Un homme en costume ajusté longe l’hôtel Hilton de New York, situé à quelques encablures de Times Square. Un autre homme surgit calmement dans son dos, brandit un pistolet et tire au moins quatre fois en direction de sa cible. Il se penche sur sa victime agonisante avant de prendre la fuite tranquillement. La scène a été filmée par une caméra de surveillance de l’hôtel et est diffusée depuis sur plusieurs réseaux sociaux.Dans un pays où les armes à feu circulent librement, ce genre de scènes est devenu assez courant. Mais cet assassinat de sang-froid n’est pas un fait divers comme les autres. La victime ? Il s’agit de Brian Thompson, le PDG du groupe UnitedHealthcare, première société d’assurances santé aux Etats-Unis. Le tueur présumé ? Un jeune homme nommé Luigi Mangione, qui a été appréhendé dans un restaurant McDonald’s de Pennsylvanie cinq jours après le crime.Les médias de tout le pays décortiquent son parcours avec stupéfaction. Mangione n’est pas un marginal qui ferait étal de ses collections d’armes à feu sur les réseaux : c’est un ingénieur, diplômé d’une université de la Ivy League (moins d’une dizaine d’établissements extrêmement sélectifs) et ancien major de promo d’un prestigieux lycée privé. Il est sportif, vient d’une famille aisée de la côte est, propriétaire de plusieurs country clubs et n’a vraisemblablement jamais rencontré Brian Thompson avant la matinée du meurtre. Son mobile ? Prendre sa revanche sur le système de santé américain. « Ces parasites l’ont bien mérité », se justifie-t-il dans une note manuscrite retrouvée sur lui lors de son arrestation, avant de rappeler que « les Etats-Unis ont le système de santé le plus coûteux du monde alors qu’ils sont au 42e rang en termes d’espérance de vie. »Aussitôt, les réseaux sociaux s’emballent. Sur X (ex-Twitter), le profil de Mangione voit son nombre d’abonnés exploser en quelques heures. De nombreux internautes prennent la défense du criminel supposé, qui devient un symbole de la lutte contre un système souvent perçu comme injuste. Le sujet est hautement inflammable. D’autres plateformes comme Instagram et Reddit prennent alors la décision de suspendre les comptes du jeune homme.Puis, en quelques heures, les choses prennent un tour déroutant. Les messages de sympathie et les prises de position militantes laissent place à de nombreux memes humoristiques qui font du meurtrier présumé un véritable sex-symbol. Ses photos de vacances sont détournées et ses abdominaux sont largement commentés. Certains utilisateurs (et utilisatrices) expriment même une attirance amoureuse ou sexuelle à l’égard du jeune homme. Ces comportements ont un nom : l’hybristophilie. « On a des cas célèbres et documentés, comme celui de Ted Bundy qui recevait de nombreuses lettres d’amour, analyse le docteur Thomas James Vaughan Williams, chercheur en psychologie à l’université de Huddersfield (Angleterre), mais les réseaux sociaux facilitent vraiment ces phénomènes. » Effectivement, l’anonymat des plateformes permet souvent aux utilisateurs des réseaux sociaux d’exprimer certaines de leurs pulsions étranges sans crainte de représailles. L’effet de groupe renforce ensuite ces comportements.Le psychologue analyse : « il n’y a pas toujours de moyen clair d’identifier les internautes qui éprouvent de l’hybristophilie et ceux qui font simplement preuve d’une appréciation platonique vis-à-vis de l’accusé et de ses motivations. » Le fait que de nombreux Américains éprouvent eux-mêmes un certain ressentiment à l’égard des entreprises d’assurance santé a rendu le jeune homme presque « sympathique » à leurs yeux. « Ces comportements peuvent rendre les gens complètement insensibles aux vrais enjeux de l’affaire. Une culture qui se construit autour d’un manque de compassion pour les victimes de crimes et qui célèbre ceux qui les commettent, c’est un sérieux problème », questionne le Dr Vaughan Williams.Malaise américainReste que l’affaire secoue tout le pays et fait ressurgir des questions de société très peu abordées lors de la campagne présidentielle qui vient de s’achever. L’inflation importante qui a grevé le budget des Américains lors du mandat de Joe Biden a certainement facilité la victoire de Donald Trump, mais la question des dépenses sanitaires en revanche, n’a pas fait l’objet d’une très grande attention. D’après le Pew Research Center, seulement 33 % des électeurs américains affirment que le futur président a « bien expliqué sa politique en matière de santé » et savent donc à quoi s’attendre pour le mandat à venir.Pourtant, la situation sanitaire est préoccupante. L’espérance de vie moyenne des Américains n’a presque pas augmenté depuis le début des années 2010 et peine à rattraper le décrochage que le pays a connu – comme beaucoup d’autres – au moment de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, les dépenses de santé aux Etats-Unis sont les plus importantes au monde : en 2022, la dépense courante de santé au sens international (DCSI, un indicateur calculé par l’OCDE pour établir des comparaisons) était de 18,2 % du PIB aux Etats-Unis (environ 6 500 euros en parité de pouvoir d’achat) contre seulement 11,9 % du PIB français (soit 4 550 euros).Ces dépenses colossales s’expliquent par l’importance du système assurantiel privé aux Etats-Unis. Contrairement à la France, où l’essentiel des dépenses est couvert par la Sécurité sociale, les Américains souscrivent largement à des contrats d’assurance individuels, soit via leur emploi, soit par achat direct. Conséquence : 8 % de la population du pays (et 5,8 % des moins de 19 ans) ne disposait d’aucune assurance santé en 2023, selon des statistiques officielles. Et parmi les 92 % restants, les remboursements offerts sont très inégaux. Les données exactes sont difficiles à obtenir mais toutes pointent dans la même direction : une enquête de l’ONG Kaiser Family Foundation (KFF) estime à 17 % la part des actes ayant fait l’objet d’un refus de remboursement en 2021 tandis que l’Association nationale des commissaires d’assurance américains (qui régule le secteur outre-Atlantique) évalue cette part entre 14 et 16 % l’année dernière. Et les choses s’aggravent. »Aux Etats-Unis, les assurances maladie sont des entreprises privées qui se doivent de maintenir un niveau de marge élevée. Par conséquent, elles multiplient les barrières administratives d’accès au soin par souci d’économies », constate Miranda Yaver, professeure associée à l’université de Pittsburgh (Pennsylvanie). La chercheuse a interrogé plus de 1 300 Américains pour un ouvrage à paraître sur le système de santé des Etats-Unis : plus d’un tiers des répondants affirment qu’on leur a déjà refusé des remboursements médicaux. Dans le même temps, les profits des entreprises d’assurance montent en flèche.UnitedHealthcare, l’entreprise que dirigeait Brian Thompson, a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de 14,6 % entre 2022 et 2023. L’année dernière par ailleurs, ses profits totaux s’élevaient à 22 milliards de dollars, soit 2 milliards de plus qu’en 2022. Dernièrement, la société a dû faire face à plusieurs affaires, une dans laquelle l’entreprise était accusée de traiter les dossiers de ses clients avec l’IA ainsi qu’une investigation de l’administration antitrust américaine pour l’empêcher d’acquérir un concurrent. « C’est un peu injuste de blâmer uniquement ces entreprises qui ne font que jouer le jeu du marché, appuie Miranda Yaver, en réalité, c’est tout le système qui est à repenser. »Société malade cherche remèdeLors d’une conférence de presse depuis sa résidence personnelle à Mar-a-Lago en Floride, le futur président Donald Trump a déclaré lundi 16 décembre qu’il allait « abattre les intermédiaires qui ne font rien et qui se remplissent les poches, pour baisser le prix des médicaments à des niveaux que personne n’a jamais vu. » Il a ensuite précisé qu’il ne savait pas bien qui étaient ces intermédiaires à ce stade, mais aussitôt, les actions des principales sociétés d’assurance dans le pays ont commencé à dévisser.Dans les rues de New York, certains ont plutôt cherché à s’inspirer de Luigi Mangione en faisant justice eux-mêmes. Des affiches avec le visage des directeurs d’assurance ont été placardées dans toute la ville avec une dénonciation des profits réalisés au cours des dernières années. Une invitation effrayante à la chasse à l’homme.



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Author : Mathias Penguilly

Publish date : 2024-12-19 05:30:00

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