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« Nous pouvons devenir un leader en Europe » : les vérités d’un dirigeant du Medef espagnol

« Nous pouvons devenir un leader en Europe » : les vérités d’un dirigeant du Medef espagnol

Tourisme, économie diversifiée, croissance de la population… L’Espagne dispose de solides atouts. Mais pour maintenir le rythme, elle a besoin d’un secteur privé capable d’investir, ce qui suppose moins de paperasse et d’impôts, plaide Iñigo Fernández de Mesa, le vice-président de la Confederación Española de Organizaciones Empresariales (CEOE), l’équivalent du Medef de l’autre côté des Pyrénées, également président de la banque d’affaires Rothschild & Co à Madrid.

L’Express : Les excellents chiffres de croissance de l’Espagne vous ont-ils surpris ?

Iñigo Fernández de Mesa : A la CEOE et à l’Institut d’études économiques, nous avons toujours été réalistes concernant la croissance de l’Espagne. Nous ne pensons pas que l’économie fonctionne comme une machine parfaitement huilée, mais nous ne croyons pas non plus qu’elle rencontre de graves difficultés. Depuis un certain temps, il est vrai que le secteur extérieur espagnol se porte très bien. Nous enregistrons des chiffres historiques dans le tourisme, avec 95 millions de visiteurs, soit pratiquement deux touristes par habitant. Une tendance qui s’observe depuis la crise du Covid. Les exportations de services non touristiques enregistrent également de bonnes performances. Des domaines comme l’ingénierie, par exemple, ont connu un grand succès. Nous ne pouvons ignorer que les dépenses publiques ont représenté 60 % de la croissance économique de l’Espagne au cours des quatre dernières années. Autre facteur majeur : la croissance de la population, à hauteur de 1,3 million de personnes en trois ans.

Quels risques pourraient néanmoins peser ?

Ils sont d’abord extérieurs : la géopolitique, les barrières douanières, la politique de Trump et la situation en Europe. Ensuite, la croissance économique ne peut pas reposer uniquement sur la dépense publique, d’autant plus que le déficit public reste très élevé – il dépasse encore 3 % malgré une forte croissance du PIB. Certes, la consommation des ménages pourrait progresser davantage, car le niveau d’épargne est historiquement élevé, mais pour cela, il faut donner plus de place au secteur privé. Quant à l’investissement, il demeure inférieur aux niveaux d’avant la crise du Covid.

Enfin, le logement est un enjeu crucial en Espagne, avec un nombre de ménages qui augmente à un rythme de 200 000 à 250 000 par an, alors que seulement 70 000 logements sont construits chaque année. Ce déséquilibre pose un sérieux problème qui pourrait également peser sur la croissance.

Le dynamisme actuel peut-il perdurer, en dépit du ralentissement économique mondial ?

L’Espagne est l’économie la plus ouverte d’Europe et elle est très compétitive. Nos exportations sont fortement diversifiées, tant au niveau sectoriel que géographique. Nous vendons pratiquement de tout : des composants automobiles – un secteur capital -, des biens d’équipement, des produits chimiques, pharmaceutiques et des services non touristiques.

De plus, nous ne dépendons pas uniquement des Etats-Unis et de la Chine – le poids de ces deux pays est moindre que dans d’autres pays européens. Bien entendu, l’Allemagne et la France sont nos principaux partenaires commerciaux, et si leur économie ralentit, l’Espagne en subira inévitablement les conséquences. Indirectement, donc, nous ressentirons l’impact de la conjoncture mondiale. Mais directement, notre économie possède une grande capacité de résilience grâce à sa diversification. J’ajouterai qu’en Espagne, l’endettement des entreprises est plus faible que dans d’autres pays, ce qui leur donne plus de marge de manœuvre face à une hausse des taux d’intérêt.

Quelles sont aujourd’hui les attentes des entreprises espagnoles ?

Elles aspirent à plus de stabilité politique, un besoin partagé dans toute l’Europe. Sur le plan juridique, les règles du jeu ne doivent pas changer en permanence. Il nous faut aussi une fiscalité plus légère, car si les Etats-Unis mettent en place de fortes réductions d’impôts pour les entreprises, nous risquons de voir les entreprises européennes perdre en compétitivité.

Il est contre-productif de modifier chaque année la réglementation du travail

En Espagne, la charge fiscale a considérablement augmenté ces dernières années. Environ 80 % de cette hausse a pesé sur les entreprises. Pour nous, la fiscalité est un levier essentiel pour encourager une plus grande dynamique d’investissement, qui reste l’un des grands défis de notre économie. La simplification administrative est aussi un sujet. De nombreuses sociétés, en particulier les PME, rencontrent de grandes difficultés en raison de la bureaucratie.

Le gouvernement soutient-il suffisamment les entreprises ?

Nous ne pensons pas que le secteur privé ait besoin de subventions, mais plutôt d’une réglementation adéquate. En Espagne, il existe une multitude de règles différentes selon les communautés autonomes. Nous devrions avancer vers un véritable marché intérieur en Espagne et dans l’Union européenne, conformément aux recommandations du rapport Draghi.

L’essentiel est que le gouvernement établisse des règles claires et simples, ainsi qu’un système fiscal favorable aux entreprises. Celles-ci, de leur côté, se chargeront d’investir et de générer des bénéfices. Il est contre-productif de modifier chaque année la réglementation du travail, de faire varier la fiscalité en permanence ou d’imposer une pression fiscale trop lourde.

Quels sont les leviers pour modifier les règles et faciliter l’investissement ?

Au niveau européen, le rapport Draghi plaide pour le renforcement du marché intérieur. En Europe, il y a encore beaucoup à faire en matière de R & D et dans les secteurs bancaire, de la défense, de l’énergie et des télécommunications. En Espagne, certaines communautés autonomes dirigées par le Parti populaire [droite] ont lancé des initiatives pour garantir l’unité du marché. Si une norme est valable dans une communauté autonome, elle devrait l’être partout ailleurs. Cela simplifierait grandement la réglementation. Il est également fondamental d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques. Il ne s’agit pas de réduire les services publics, mais d’offrir les mêmes services, voire de meilleurs, à moindre coût grâce à une gestion plus efficace.

Dans quels secteurs les entreprises espagnoles doivent-elles encore se développer ? L’intelligence artificielle, par exemple ?

L’Espagne a lancé certaines initiatives publiques en matière d’intelligence artificielle, mais de manière générale, elle reste, comme l’Europe, en retard par rapport aux Etats-Unis et à la Chine dans ce domaine. La clé n’est pas tant une action nationale qu’une stratégie européenne qui valorise les talents et la capacité d’investissement du continent.

L’Espagne pourrait-elle faire émerger des champions européens ? Devrait-elle encourager davantage de fusions d’entreprises ?

90 % des entreprises espagnoles sont des PME et TPE. Cependant, nous commençons à voir des entreprises de plus grande envergure émerger dans des secteurs comme l’agroalimentaire, la pharmacie et les cosmétiques. Par exemple, la société Puig [NDLR : maison mère de Paco Rabanne et Jean-Paul Gaultier] est récemment entrée en Bourse. Il est essentiel de mettre en place des politiques qui encouragent la croissance des entreprises. Il ne faut pas avoir peur de la consolidation paneuropéenne. Dans le secteur bancaire, par exemple, elle serait bénéfique.

L’Espagne a-t-elle le potentiel pour devenir l’une des principales économies européennes ?

Elle dispose d’une source d’énergie propre et bon marché, ainsi que d’entreprises leaders sur ce marché, tant dans la production d’énergie renouvelable que dans la fabrication d’équipements pour le secteur. Avec les Etats nordiques, nous sommes le pays d’Europe où l’énergie est la plus abordable et la plus propre.

L’Espagne est une destination de référence pour le tourisme et la retraite

Ensuite, l’Espagne possède une infrastructure 4G et 5G de pointe à l’échelle mondiale et bénéficie d’une position géostratégique privilégiée. D’importants câbles de transmission de données relient le pays à l’Amérique, l’Asie et l’Afrique. Cela en fait une destination très attractive pour l’investissement dans les centres de données, un secteur qui suscite actuellement un grand intérêt et où de nombreux projets sont en développement.

Enfin, le pays est également une destination de référence pour le tourisme et la retraite. Dans un monde où la population vieillit, il dispose d’infrastructures de premier plan, de services de santé avancés et d’une offre de loisirs de qualité, ce qui en fait un lieu privilégié pour les visiteurs et les investisseurs. Pour toutes ces raisons, l’Espagne a le potentiel de devenir un leader en Europe.

De plus en plus d’entreprises françaises investissent en Espagne. Comment voyez-vous cette évolution ?

C’est une très bonne chose, tout comme il est important que leurs homologues espagnoles puissent faire de même dans l’Hexagone et dans des conditions similaires. L’investissement bilatéral est essentiel. D’ailleurs, à la CEOE, nous entretenons d’excellentes relations avec le Medef, et les réunions annuelles entre nos deux organisations favorisent ces échanges.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2025-02-13 07:00:00

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