Face à la logique impériale de la Russie et des Etats-Unis, l’Europe doit, pour préserver sa sécurité et la paix sur son sol, se réarmer massivement. Cela passe par deux impératifs. Le premier, c’est de dire à l’administration Trump que nous prenons acte de son soutien à Vladimir Poutine – pour des raisons au passage qu’il faudra soigneusement investiguer – et de sa volonté plus ou moins explicite de mettre fin à son alliance avec l’Europe.
Le futur chancelier allemand Friedrich Merz en a pris acte et a déclaré au soir de sa victoire sa volonté de sortir l’Allemagne de sa dépendance militaire à l’égard des Etats-Unis. Bravo ! Que ce courage et cette clarté tranchent avec son insipide prédécesseur ! La France est aussi sur cette ligne gaullienne. Si le gouvernement polonais de Donald Tusk décide lui aussi de suivre ce chemin, on pourra dire que l’Union européenne s’émancipe enfin militairement pour se protéger. Un changement historique et salutaire qui ne nous empêchera pas, au contraire, de renouer des liens fraternels avec les Etats-Unis le jour où ce pays sera de nouveau dirigé par des personnes responsables. Grâce à l’autonomie stratégique européenne, le monde démocratique post-Trump sera plus fort.
Le deuxième impératif, c’est d’augmenter nos budgets de défense. Toute l’Europe va plus ou moins vite dans cette direction, mais il faut le faire en comprenant et en expliquant ce qui est en jeu du point de vue économique. En 2024, les dépenses militaires des pays européens membres de l’Otan et du Canada étaient déjà de l’ordre de 430 milliards d’euros (d’après l’organisation) ce qui est supérieur aux dépenses de la Russie (415 milliards en parité de pouvoir d’achat). Ce chiffre est rassurant.
Le régime de Poutine essaie de faire croire que l’Europe est un bonsaï militaire face au baobab russe. C’est absolument faux. La France et le Royaume-Uni sont dotés de l’arme nucléaire. Les dépenses européennes sont élevées et, comme je l’expliquais dans ces colonnes la semaine dernière, les entreprises européennes de défense couvrent la quasi-totalité de la chaîne de valeur de la filière. Atteindre l’autonomie militaire est donc un objectif envisageable.
Le PIB, la clef du réarmement européen
Il y a néanmoins un sujet qui n’est pas encore évoqué par les gouvernements européens et qui est pourtant crucial pour se protéger face aux logiques impériales. Le financement de cet effort de défense et donc de la paix relève autant de la volonté politique que de considérations macroéconomiques dont il faut faire la pédagogie. En effet, les dépenses de défense sont le produit de leur part dans le PIB et du PIB. Vouloir augmenter notre effort de défense à 3, 4 ou 5 % du PIB sans évoquer le PIB en question, c’est omettre l’essentiel du sujet : l’Europe ne connaîtra pas la paix sans une croissance économique beaucoup plus élevée. Pour se protéger, notre continent doit donc produire plus et générer davantage de revenus.
Voilà donc l’Europe face à une exigence macroéconomique classique : augmenter sa croissance. Non pas seulement, comme c’est souvent le cas, pour répondre à des défis sociaux (augmenter les salaires ou les transferts sociaux) mais pour protéger notre civilisation. C’est cet impératif que le Front populaire de Léon Blum n’avait pas compris ou voulu comprendre, comme le restitue Robert Marjolin dans ses Mémoires, lui qui fut conseiller de Blum avant, pour ces raisons macroéconomiques, de s’en éloigner et de devenir l’un des proches de Raymond Aron. En diminuant le temps de travail (et en refusant par ailleurs de voter des crédits militaires), le Front populaire a affaibli la France face à l’Allemagne. Ne refaisons pas cette erreur.
Augmenter le temps de travail, restreindre l’accès à l’assurance-chômage, partir en retraite plus tard, simplifier radicalement la vie des entreprises, libérer l’innovation sont désormais des impératifs sécuritaires. On s’entendra répondre que la configuration du Parlement ne permet pas l’adoption d’un tel programme. Dans ce cas, plaçons les parlementaires et les figures politiques de la gauche et du RN devant leur responsabilité. Raphaël Glucksmann, bien qu’il ait soutenu la honteuse alliance du NFP, se veut en pointe dans la lutte contre la menace russe. Qu’il le montre factuellement en soutenant un programme de puissance économique. Quant au RN, il aurait là l’occasion de montrer où il se situe économiquement et diplomatiquement : du côté de la faiblesse économique et de la dépendance militaire ou du côté du patriotisme. Car, pour l’instant, ce n’est pas très clair.
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Author : Nicolas Bouzou
Publish date : 2025-02-28 07:00:00
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