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Bluff, intimidations et brutalité : « On ne comprend rien à Donald Trump si on ne comprend pas le catch »

Bluff, intimidations et brutalité : « On ne comprend rien à Donald Trump si on ne comprend pas le catch »


Entre toutes les nominations insolites à la Maison-Blanche, en voici une particulièrement extravagante : Linda McMahon, ancienne PDG de la Fédération de catch professionnel nommée au poste de… ministre de l’Education ! « Je n’arrive pas à prononcer simultanément son nom et sa fonction sans éclater de rire », s’esclaffe Larry Sabato, un politologue respecté. « D’autant, ajoute-t-il, que Trump lui a demandé, en substance, de faire disparaître le ministère de l’Education, lequel ne sert selon lui à rien ! » Déjà ministre des PME de 2017 à 2019 sous le premier mandat du républicain, Linda McMahon est aujourd’hui l’une des principales personnalités féminines du cabinet Trump II, au côté de la ministre de la Justice Pam Bondi ou de la directrice du renseignement national Tulsi Gabbard.

Un brin rébarbative mais dotée d’un caractère en acier trempé, cette septuagénaire est aussi l’épouse, séparée depuis peu, du sulfureux et testostéroné Vince McMahon, 79 ans, mis en cause dans plusieurs affaires sexuelles. Ensemble, le couple McMahon a amassé une fortune colossale au cours des quatre dernières décennies. Comment ? En transformant la fédération de catch, le World Wrestling Entertainment, ou WWE, en un business hyperlucratif. Récemment retirés des affaires – ils ont vendu leurs parts du WWE – ils pèsent chacun 3,1 milliards de dollars. Leur fortune a permis à Linda de financer la campagne de Donald Trump en 2016 à hauteur de 7 millions de dollars, soit le don le plus important reçu par le candidat cette année-là. En 2024, les McMahon lui ont octroyé 20,3 millions.

Comme ce couple richissime, d’autres personnalités liées au catch gravitent dans l’orbite du 47e président, à commencer par Hulk Hogan – de son vrai nom Terry Bollea. Légendaire catcheur reconnaissable à sa grosse moustache blonde et son bandana rouge, il a fait sensation lors de la convention républicaine de Milwaukee, en juillet, en déchirant son maillot de corps dans un hurlement rageur : « Trump-maniaaaaa ! »

Hulk Hogan monte sur scène lors d'un rassemblement de campagne pour le candidat républicain à la présidence, l'ancien président des États-Unis Donald Trump, au Madison Square Garden le 27 octobre 2024 à New York.
Donald Trump a clôturé son week-end de campagne à New York avec une liste d'invités comprenant son colistier, le candidat J.D. Vance (R-OH), le PDG de Tesla, Elon Musk, le PDG de l'UFC, Dana White.
Photo : Anna Moneymaker / Getty Images via AFP
Hulk Hogan monte sur scène lors d’un rassemblement de campagne pour le candidat républicain à la présidence, l’ancien président des États-Unis Donald Trump, au Madison Square Garden le 27 octobre 2024 à New York.
Donald Trump a clôturé son week-end de campagne à New York avec une liste d’invités comprenant son colistier, le candidat J.D. Vance (R-OH), le PDG de Tesla, Elon Musk, le PDG de l’UFC, Dana White.
Photo : Anna Moneymaker / Getty Images via AFP

Parmi les autres soutiens actifs de Donald Trump issus de l’univers du catch figure Mark Calaway, alias The Undertaker, soit le Croque-mort. Avant l’élection de novembre, le candidat républicain était l’invité de ce podcasteur millionnaire dans son programme Six Feet Under (Six pieds sous terre). « Pendant l’émission, les rôles se sont curieusement inversés : c’est Trump qui s’est mis à interviewer le colosse de 2,08 mètres, raconte Josie Abraham Riesman, auteure de Ringmaster (Le Maître du ring), un livre de 2023 consacré à Vince McMahon mais où Donald Trump est omniprésent. Soudain, on aurait dit que Trump retournait en enfance. Les catcheurs fascinent Trump. »

Dans l’univers des sports de combat, il faut encore ajouter le soutien du célébrissime podcasteur Joe Rogan, qui fut jadis commentateur vedette de l’Ultimate Fight Championship (UFC), la fédération de Mixed Martial Art ou MMA, ou celui du très viril Dana White, l’actuel PDG de l’UFC. Proche du combat de coqs humains, cet art martial se déroule dans une cage où tous les coups sont permis. Ce qui est aussi la philosophie de Trump. En 2023, l’UFC du médiatique Dana White et le WWE du couple McMahon ont fusionné pour donner naissance à la holding TKO, acronyme de « K.-O. technique », laquelle règne à la fois sur le catch et le MMA. Prise ensemble, ces deux activités de gladiateurs, très populaires chez les trentenaires, séduisent des dizaines de millions de fans… et d’électeurs trumpistes.

La milliardaire américaine Linda McMahon, créatrice d’ une ligue de catch aux Etats-Unis est la ministre des petites entreprises de Donald Trump, à Washington 24 janvier 2017

« A mi-chemin du ballet et du film porno »

« On ne comprend rien à Donald Trump si on ne comprend pas le catch, assure Josie Abraham Riesman à propos de ce divertissement qui combine performances sportives et théâtrales. Le catch le passionne depuis qu’il est en culotte courte et occupe depuis lors une place majeure dans sa vie. » Le petit Donald aurait découvert cet art à l’âge de 9 ans, sans doute le parc d’attractions de Coney Island, à New York, proche du domicile familial et où son père Fred investissait dans l’immobilier.

« Il est significatif, poursuit cette spécialiste, qu’à la différence de Richard Nixon, George W. Bush ou Barack Obama, respectivement passionnés de football américain, de baseball et de basket-ball, Donald Trump ne s’intéresse à aucun sport collectif. » Le locataire de la Maison-Blanche leur préfère un spectacle où tout est « fake », mis en scène, avec deux personnages – un gentil et un salaud – qui figurent une sorte de combat mythologique entre le Bien et le Mal. « Le catch n’est pas un sport mais un spectacle », rappelle Roland Barthes qui y consacre le premier chapitre de Mythologies, recueil de textes paru en 1957, peu après la fin de la carrière de catcheur du futur acteur Lino Ventura. « Les catcheurs sont parfois des grands comédiens et divertissent à l’égal d’un personnage de Molière, analyse encore Barthes. Au catch, comme sur les anciens théâtres, on n’a pas honte de sa douleur, on sait pleurer, on a le goût des larmes. » Et le sémiologue français de conclure : « Le public se moque complètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a raison. »

Josie Abraham Riesman propose une autre définition : « Les matchs de catch se situent à mi-chemin du ballet et du film porno, dit l’essayiste à L’Express. Ce sont des spectacles chorégraphiés qui mettent en scène deux corps où la douleur, à l’instar du plaisir dans les films X, est exagérée à l’extrême. » Quoi qu’il en soit, l’art du catch repose sur une notion essentielle : le « kayfabe » (du verlan « be fake »). C’est la tradition non écrite selon laquelle personne, jamais, ne doit admettre que le catch est truqué. Cela, afin de maintenir un certain niveau de vraisemblance et ainsi préserver la magie du spectacle.

« Comme des acteurs, les catcheurs interprètent des personnages, mais à la différence des acteurs, ils ne doivent jamais sortir de leur rôle, même dans la vraie vie », décrypte Riesman. Ainsi, si deux catcheurs sont ennemis sur le ring, ils ne doivent jamais être vus ensemble dans le civil, ni se fréquenter. Au contraire, leur antagonisme doit continuer en dehors du stade, dans les médias et ailleurs. Et ils doivent incarner leur personnage à tout instant, à chaque apparition publique, un peu comme Trump qui ne se départit jamais de son rôle de rouleur de mécaniques bravache. « Pour les catcheurs, le danger du kayfabe est que leur personnage peut prendre le pas sur leur personnalité profonde », explique encore l’auteur de Ringmaster. Pour Trump c’est déjà fait.

La tactique de Trump : créer le chaos mental, déconcerter le monde…

Mais l’essentiel est ailleurs. L’objectif du kayfabe est de noyer le public dans un flou artistique en mêlant fiction et réalité. C’est un monde de post-vérité où le vrai et le faux se confondent. C’est aussi le modus operandi de Donald Trump pour fragiliser ses adversaires (et même ses proches), en le plongeant dans un état de perplexité permanent. Créer le chaos mental, déconcerter le monde, obliger ses ennemis à tenter de le comprendre (sans y parvenir) c’est la tactique, maintes fois éprouvée, du président de la première puissance mondiale.

« Dans les années 2000, à l’époque de l’émission de téléréalité The Apprentice, rembobine la politologue Barbara A. Perry, il mêlait ainsi le vrai au faux pour faire avaler au pays qu’il était un businessman hors pair, ce qui était loin d’être le cas. En réalité, il avait à l’époque accumulé des faillites en série et n’était qu’un second couteau dans l’immobilier new-yorkais », précise cette biographe des Kennedy selon laquelle Donald Trump s’inscrit dans la lignée de P.T. Barnum, le fameux promoteur de cirque, entrepreneur et homme politique. Mort en 1891, ce showman, qui se définissait comme le « prince des mystificateurs », est passé à la postérité avec sa devise : « A chaque minute, il y a un pigeon qui naît ».

Donald Trump, un « homme de cirque », un « illusionniste sans substance »

A Washington, le politologue Jacob Heilbrunn abonde : « Donald Trump est un illusionniste, un homme de cirque qui doit constamment divertir son public afin de compenser son manque de substance. C’est un Berlusconi [NDLR : l’ancien chef du gouvernement italien et homme d’affaires], mais dans une version diabolique. » Larry Sabato, fondateur du Center for Politics de l’Université de Virginie, enfonce le clou : « Qu’il s’agisse de l’annexion du Groenland ou de la création d’une Côte d’Azur à Gaza, la plupart de ce que dit Trump est ‘fake’ et repose sur du bluff. Il fait également croire au monde qu’il est fou, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas. » Mais, là encore, comment en être certain, comment séparer le vrai du faux ?

Pour comprendre comment il a importé le kayfabe – l’art du mensonge, donc – en politique, mieux vaut remonter aux années 1988 et 1989. A l’époque, le promoteur immobilier accueille dans son hôtel d’Atlantic City, le Trump Plaza, les finales WrestleMania IV et V – des événements qui, pour le catch, sont l’équivalent du Super Bowl en football américain. La tête d’affiche est alors le mastard Hulk Hogan qui, bien plus tard, fera campagne pour Trump en 2024. Ces deux rencontres au sommet marquent le début d’un long partenariat entre le promoteur de catch Vince McMahon et le promoteur immobilier Donald Trump, le second étant irrésistiblement attiré par les talents de showman du premier. Au cours de la décennie suivante, le futur président apporte son soutien au gouverneur du Minnesota Jesse « The Body » Ventura (un ancien catcheur), assiste à des combats, fréquente des lutteurs et s’attire la sympathie des commentateurs télé qui ne manquent jamais de signaler sa présence autour du ring aux millions de téléspectateurs aficionados.

Mais le grand tournant arrive en 2007. Afin de relancer les audiences de The Apprentice et celles des matchs de catch, Vince McMahon imagine un scénario dont il a le secret. Ce sera la « Bataille des milliardaires », événement sportif qui fait un carton d’audience historique. Lors d’un de ses traditionnels discours d’avant-match, McMahon « vend » au public l’idée d’une rivalité (fausse évidemment) entre lui et Trump. Digne de la comédie à l’italienne, cette bouffonnerie prend la forme d’un feuilleton qui dure de février à avril et se prolonge dans les pages des tabloïds. Huit semaines d’affilée, les deux milliardaires s’affrontent au bord du ring par catcheurs interposés, chacun ayant son poulain attitré. A grand renfort d’outrances, d’insultes et de vantardises, les deux personnages font mine de se détester. « Je suis plus grand, plus beau, plus riche et meilleur que toi », fanfaronne Trump au micro. « Je vais te botter le cul », réplique McMahon. Le public exulte.

Vince McMahon, président de la WWE, se fait raser la tête par Donald Trump et Bobby Lashley après avoir perdu un pari lors de la bataille des milliardaires à la Wrestlemania 2007 de la World Wrestling Entertainment, le 1er avril 2007 à Detroit, dans le Michigan.

Umaga représentait McMahon dans ce match et a perdu contre Bobby Lashley qui représentait Trump. 

Photo : Bill Pugliano/Getty Images. Vince McMahon, président de la WWE, se fait raser la tête par Donald Trump et Bobby Lashley après avoir perdu un pari lors de la bataille des milliardaires à la Wrestlemania 2007 de la World Wrestling Entertainment, le 1er avril 2007 à Detroit, dans le Michigan.

Umaga représentait McMahon dans ce match et a perdu contre Bobby Lashley qui représentait Trump.

Photo : Bill Pugliano/Getty Images.

Chaque dimanche soir, micro en main, Trump s’adresse à 70 000 spectateurs en furie dans des stades pleins à craquer. « C’était la première fois qu’il se mesurait à une foule, raconte Riesman. Le premier dimanche soir, il n’était pas très bon. Mais de semaine en semaine, il faisait des progrès éblouissants. Pour la dernière, il maîtrisait à la perfection l’art de manœuvrer une foule qui hurle, chante et réclame du sang. J’y pense à chaque fois que je vois un de ses meetings politiques », confie l’auteure. La « Bataille des milliardaires » reste la séquence la plus mémorable de l’histoire du catch, notamment parce qu’à la fin du feuilleton, le vainqueur, Donald Trump – là aussi, les rôles avaient été distribués à l’avance – avait remporté le droit de raser la tête de son « rival » Vince McMahon. On peut revoir sur YouTube cette séquence grotesque : l’actuel chef de l’Etat américain asperge de mousse à raser le crâne de McMahon assis sur une chaise et immobilisé sur le ring par des catcheurs dans un stade en délire.

« Trump sait qu’en le bon et le méchant, c’est le second qui intéresse »

Rompu à l’exercice de chauffeur de salle, McMahon peut aisément être considéré comme le mentor de Trump en la matière. Mais la manière de s’adresser à une foule n’est pas le seul enseignement que ce dernier a tiré du catch. Il y a aussi appris l’importance de la mise en scène, la nécessité de la créer, de séquences narratives successives pour conserver l’attention du public et le besoin d’incarnation par des personnages facilement identifiables : les bons et les méchants. Trump y a aussi compris l’impact visuel des déguisements (chaque catcheur a un style différent) et des postures. C’est cette recette qu’il a appliquée en se grimant en employé de McDonald’s, puis en éboueur, pendant la campagne 2024.

« Donald Trump comprend parfaitement la mécanique des émotions, reprend la politologue Barbara A. Perry. De la même manière que les gens ne peuvent s’empêcher de ralentir lorsqu’il y a un accident de la route, il sait que le public est attiré par les choses extrêmes et ses discours no limit. » Plus important encore : il a compris que des deux catcheurs, le bon et le méchant, c’est le second qui éveille l’intérêt et fait la plus forte impression. Mal aimable, voire désagréable, Donald Trump se moque bien d’être sympathique.

Au contraire, il adore être détesté car il sait que ça paie. Fidèle à la règle du kayfabe, il ne s’éloigne pas du personnage de gros dur immodeste qu’il s’est fabriqué en montant sur un ring, micro en main, dans les années 2000. Maître dans l’art de générer des émotions, surtout négatives, il manie l’insulte sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Sans avoir lu l’essai de Roland Barthes, il a compris d’instinct ce que ce dernier théorisait voilà soixante-dix ans : « Le Mal est le climat naturel du catch. Seule l’orgie de mauvais sentiments fait le bon catch. » Lui l’applique à la politique.

Voilà pourquoi, il humilie ses adversaires, ment à ses interlocuteurs, ne respecte pas les règles, multiplie les volte-face. Aussi il affuble ses ennemis de sobriquets, autre coutume héritée du catch où chacun possède un surnom : « la fusée italienne » (Lino Ventura avant de devenir acteur), « le bourreau de Béthune » (ultérieurement devenu le garde du corps de Jean-Marie Le Pen) ou « André le géant », catcheur français admiré par Donald Trump et qui fit carrière aux Etats-Unis jusqu’à sa mort en 1993. Enfin, la posture arrogante du candidat « Maga » et son champ lexical s’inspirent des harangues d’avant-match où il s’agit de défier l’adversaire. En 2016, lors de débats télévisés, il arpente le plateau télé comme un ring, lance qu’il est « plus intelligent qu’Hillary », qualifie cette dernière de « diable » et explique qu’elle « devrait être en prison ».

« Fight ! Fight ! Fight ! »

Huit ans plus tard, il monte d’un cran : Kamala Harris est, selon lui, « une horrible personne », « dotée d’un faible QI », « déficiente mentale » et « quelqu’un incapable de prononcer deux phrases ». Ce mois-ci, devant le Congrès, c’est encore un festival de bravades lors de son premier discours annuel sur l’état de l’Union : « J’ai fait plus en quarante-trois jours que la plupart des administrations en quatre ou huit ans », lance-t-il aux parlementaires. Ou encore : « Le rêve américain est de retour, plus grand que jamais ! »

Mais il faut s’arrêter sur la scène iconique du 13 juillet dernier, en Pennsylvanie. Un instant terrassé par une tentative d’attentat en plein meeting, le candidat Donald Trump, blessé à l’oreille, sanguinolent, se redresse, lève le poing et, tel un guerrier, crie « Fight ! Fight ! Fight ! » à l’adresse au public. « Un moment invraisemblable et pourtant bien réel ; et une démonstration de virilité comme on en voit sur les rings », note la politologue Barbara A. Perry. Ce jour-là, la tête d’affiche Donald Trump a sans doute atteint le sommet de sa carrière de catcheur. Mais le match n’est pas terminé. Depuis sa prise de fonction, un changement de registre s’est opéré. La réalité et la fiction ne se confondent plus ; désormais, la réalité dépasse la fiction. A moins que cela ne soit le contraire…



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/bluff-intimidations-et-brutalite-on-ne-comprend-rien-a-donald-trump-si-on-ne-comprend-pas-le-catch-ZQG6JMRECNGTHFUJHPITASQQAU/

Author : Axel Gyldén

Publish date : 2025-03-08 07:45:00

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